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L'essor du secteur du bâtiment plombé par le surcout des matériaux
Enquête Maine-et-Loire # BTP # Conjoncture

L'essor du secteur du bâtiment plombé par le surcout des matériaux

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Le secteur du bâtiment n’avait enregistré un tel carnet de commandes depuis des années. Déjà en rebond avant la crise sanitaire, il est boosté par les projets de construction, tant dans le neuf que dans l’ancien, et par la politique de rénovation énergétique. Mais le tableau n’est pas idyllique : depuis plusieurs mois, le prix de certains matériaux flambe, les marges diminuent et la durée des chantiers s’allonge.

Le secteur du bâtiment souffre actuellement d’un surcoût des matériaux — Photo : DR

Quel paradoxe ! Le secteur du bâtiment déborde de commandes et il reste pour certains égards en proie à des difficultés. Après la crise de 2008-2009, il avait fallu quasiment une décennie pour qu’il se relève. Jusqu’à ce que la pandémie et ses conséquences ne viennent lui glisser un autre caillou dans la chaussure : la forte demande mondiale avec une relance quasi-simultanée dans tous les pays a fait flamber les prix de nombreux matériaux.

Le prix du bois de construction multiplié par deux

Champion toute catégorie de la hausse des prix des matériaux dans le secteur du bâtiment, le bois, principalement celui de construction, comme le douglas ou l’épicéa. La faute à une reprise en flèche de l’activité fin 2020-début 2021 et à une importante demande internationale, notamment des États-Unis et de la Chine. D’aucuns pensent aussi que quelques spéculateurs peu scrupuleux ont profité de l’aubaine… L’augmentation des prix a débuté fin 2020 : "La hausse a été très forte jusqu’à l’été 2021, témoigne Régis Rousseau, dirigeant de l’entreprise angevine du même nom à Longuenée-en-Anjou et par ailleurs président de la FFB des Pays de la Loire. En juillet-août, la hausse était de 100 % par rapport au début 2020. Depuis cet automne, on est revenu à des tarifs moins élevés mais encore supérieurs de 20 % à ce qu’ils étaient avant la crise et cela semble se stabiliser."

"J’ai bien cru qu’on allait droit au dépôt de bilan"

Au surcoût du bois s’est ajoutée sa pénurie : face à la forte demande internationale, il a été parfois difficile de s’approvisionner. Les entreprises, comme celle de Régis Rousseau (13,7 M€ de CA en 2020), ont dû puiser dans leurs réserves de bois.

Régis Rousseau, dirigeant de la société de construction bois Rousseau et président de la FFB des Pays de la Loire — Photo : Florent Godard

"Entre hausse des prix et difficultés d’approvisionnement, témoigne-t-il, le stock a été vite mangé ! De plus, cela a engendré une désorganisation dans notre travail." L’entreprise travaille très majoritairement pour des promoteurs, des collectivités ou des bailleurs, et la fabrication en atelier a pris du retard. Le dirigeant confie avoir pris des risques pour tenter de se fournir en matière première : "J’ai même versé des acomptes à un courtier pour acheter du bois que je n’ai jamais reçu !" Régis Rousseau est allé jusqu’à craindre pour la pérennité de son entreprise. "L’été 2021, j’ai bien cru qu’on allait droit au dépôt de bilan. Je suis allé voir tous nos clients pour leur expliquer la situation. Mon discours était simple : je leur ai dit que si j’étais en rupture et sans leur compréhension, je finirai par ne plus exister, alors j’allais privilégier ceux qui me soutiendraient."

Selon le dirigeant, au moins la moitié des clients eux ont été réceptifs à ses arguments et ont bien saisi les difficultés auxquelles était alors confrontée l’entreprise. L’activité est repartie, l’entreprise devrait finir l’année à l’équilibre mais a pour l’heure revu ses projets d’investissement à la baisse. Elle s’est dotée d’une nouvelle ligne d’assemblage mais l’investissement de 8 millions d’euros pour étendre son site de 3 000 à 6 000 m² d'ici fin 2022 attendra encore un peu.

D’autres entreprises du secteur n’ont pas résisté à cette situation : En Sarthe, le constructeur de maisons en bois Nature et Logis (3,7 M€ de CA 2020, 25 collaborateurs) a été placé en liquidation judiciaire le 26 octobre 2021, malgré une activité en plein développement et un carnet de commandes bien rempli : "Nous avons fait face à des difficultés de production, accentuées entre l’été et la fin 2020, témoigne le PDG de Nature et Logis Thaddé Girandier. Nous avons sorti nettement moins de maisons que prévu et terminé l’année en ayant mangé beaucoup de trésorerie. Notre besoin en fonds de roulement a explosé du fait de l’allongement des durées de chantier et de l’augmentation considérable du nombre de commandes. L’augmentation des prix sur l’approvisionnement en matériaux a sérieusement compliqué les choses." Les contrats de construction ne prévoyaient pas de possibilité de révision des prix et le dirigeant dit aussi avoir été confronté à un problème de disponibilité des artisans avec les retards accumulés lors du confinement.

De nombreux matériaux concernés

Dans le secteur du bâtiment, le retard d’un corps de métier a des incidences sur tous les autres, qui doivent alors revoir leur planning. "Il n’y a plus un chantier livré à l’heure actuellement, confie Régis Rousseau, et c’est préjudiciable pour les entreprises comme pour le client." Outre ces problèmes d’organisation, les devis sont signés plusieurs mois à l’avance et ne prennent pas souvent en compte, en période normale, des éventuels surcoûts de matières premières. Lorsque ces hausses atteignent des pourcentages importants, le préjudice peut être grand pour les entreprises dont les marges déjà peu élevées, de l’ordre de 2 à 3 % en moyenne, fondent comme neige au soleil.

Et le bois n’est pas le seul à avoir été impacté par les hausses de prix : "Il y a une surdemande", constate Yannis Borjon-Piron, président de la FFB 49 et dirigeant de l'entreprise de plâtrerie, carrelage et isolation familiale du même nom à Trélazé.

Yannis Borjon-Piron, dirigeant de l’entreprise Borjon-Piron, à Trélazé, et président de la FFB 49 — Photo : Olivier Hamard

"Les usines ont du mal à produire et la loi de l’offre et de la demande prévaut. L’acier, les produits à base de pétrole comme les isolants, le ciment, la brique, la laine de bois, les agrégats, les plaques de plâtre, la couverture sont aussi concernés. Cela touche aujourd’hui tous nos métiers avec des ampleurs différentes. Pour exemple, le mètre linéaire de profilés aluminium que nous utilisons pour les cloisons a augmenté chaque mois de 10 % environ de janvier à juin 2021. Il valait en janvier 50 centimes. Il coûte aujourd’hui 1,50 euro." Un prix multiplié par trois, difficile à répercuter dans les factures. Et si le chantier prend du retard, les prix des matières premières, eux, n’attendent pas pour augmenter : "On ne peut pas revaloriser nos devis déjà signés, surtout pour nos clients particuliers, ajoute Yannis Borjon-Piron. Certaines entreprises essaient de négocier une partie de la prise en charge par leurs gros donneurs d’ordres, qui peuvent se montrer compréhensifs mais cela se termine aussi quelquefois par une fin de non-recevoir. Pour les marchés publics, on peut faire jouer une réactualisation à la fin du chantier si elle est prévue dans le contrat, ce qui n’est pas toujours le cas. L’indice de compensation est en moyenne de 3 à 4 % et ne couvre pas la totalité de la hausse."

Une formule de révision

Pour les devis les plus anciens, qui peuvent dater d’avant la crise pour d’importants projets de construction, des entreprises doivent donc rogner sur leurs marges, avec parfois même des chantiers effectués à perte. Pour les devis établis depuis la flambée des prix des matériaux, certaines les ont réévalués, et sans répercuter la totalité du surcoût, elles y ajoutent, quand c’est possible et que le client l’accepte, des clauses de révisions tenant comptent des éventuelles hausses à venir.

Spécialisée dans le chauffage, la climatisation et la maintenance et l’entretien, ATCS, à Trélazé, emploie 35 collaborateurs — Photo : ATCS

"Au-delà d’une augmentation des prix de plus de 2 %, j’inscris une formule de révision, indique Stéphane Thibault, dirigeant d’ATCS (35 personnes, 3,73 M€ de CA 2021) à Trélazé. Je joue la transparence et le client particulier est prêt à l’entendre, ce qui n’est pas toujours le cas de donneurs d’ordres plus importants." ATCS, qui travaille principalement en rénovation pour des particuliers, des institutionnels et des entreprises dans le secteur du chauffage, de la climatisation et de la maintenance et l’entretien, est, elle aussi, soumise à des hausses importantes. "Pour exemple, ajoute Stéphane Thibault, une chaudière que nous installons a subi en octobre la troisième hausse de prix de l’année, de l’ordre de 4,7 %, Sur les devis établis en novembre, nous l’avons répercutée, mais on nous annonce déjà une nouvelle hausse de 7,5 % en février 2022. Avant, les prix augmentaient en général une fois par an, en avril. Avec certains fournisseurs, on en est à quatre hausses dans l’année et, sur certaines chaudières, on sera à 15 à 16 % d’augmentation par rapport à 2020." Pourtant, les demandes de devis n’ont jamais été aussi importantes pour ATCS, à tel point que le dirigeant ne répond pas à toutes les sollicitations : "Je n’ai jamais autant raté d’affaires, confie-t-il, mais je ne réponds plus s’il n’y a pas de formule de compensation." Stéphane Thibault n’est pas le seul entrepreneur dans ce cas, et aujourd’hui, des appels d’offres peinent à être pourvus, faute de candidats.

S’organiser pour limiter les dépenses

À Cholet, SN Alugo affiche un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros en 2021, soit 20 % de plus qu’en 2020, tout en maintenant sa rentabilité. Pour cela, la PME d’une trentaine de salariés, qui fabrique et installe, elle-même ou via des poseurs, des menuiseries aluminium pour des collectivités, des clients professionnels ou des bâtiments industriels, a anticipé au début de la crise la hausse des prix de l’aluminium, qui a grimpé de 40 à 45 % : "J’avais effectué un gros réapprovisionnement fin 2020, témoigne son dirigeant Stéphane Brossard, et nous avons travaillé avec nos stocks au premier trimestre. Début juin 2021, nous avons encore approvisionné, grâce à une trésorerie saine et une partie du PGE que nous avons contracté. Pour l’instant, les tarifs sont toujours à la hausse mais restent contenus, et nous essayons de retarder les achats en commandant au cas par cas selon les chantiers". Le dirigeant de SN Alugo a aussi négocié les prix avec les maîtres d’ouvrage privés et, pour les marchés publics, a mis en place un système de révision des prix. "Nos devis ont une validité d‘un mois, au bout duquel on renégocie. Par ailleurs, nous nous sommes organisés pour diminuer ses dépenses : réduction des déchets, amélioration de la logistique, en se reposant sans cesse des questions pour faire la même qualité en moins de temps." Quoi qu’il en soit, l’entrepreneur est confiant, avec un carnet de commandes encourageant et déjà 2,5 millions d’euros de commandes signées pour 2022.

Mais si les carnets de commandes sont bien remplis pour les entreprises du bâtiment, certaines inquiétudes demeurent. Outre le coût des matériaux, une autre difficulté du secteur du bâtiment apparaît avec la désorganisation des chantiers, dans un secteur où les corps de métier sont interdépendants. La crise sanitaire en a retardé certains, d’autres sont dépendants de la disponibilité de certaines matières. Et la demande continue d’affluer : les programmes de construction sont nombreux, les chantiers de rénovation également, ce qui devrait pourtant réjouir les professionnels. "Mais je reste inquiet pour nos entreprises pour 2022, confie Yannis Borjon-Piron. Pour reconstituer leur stock ou se fournir en matériaux, certaines entreprises ont affaibli leur trésorerie, voire pioché dans leur PGE. Nous n’aurons sans doute pas d’autre choix que d’augmenter les montants de nos devis si nous voulons conserver nos marges." Et surtout, ce satané surcoût qui touche presque tous les corps de métier, s’il montre un ralentissement pour le bois, ne semble pas encore prêt à prendre la trajectoire inverse.

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