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Les stations de montagne se mettent à l’heure d’été
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Les stations de montagne se mettent à l’heure d’été

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Confrontées aux affres du changement climatique, qui va bouleverser l’activité ski d’ici une quinzaine d’années, les stations de montagne d’Occitanie se réinventent pour devenir des destinations touristiques 4 saisons. Cette transition passe par des investissements d’ampleur pour les entreprises qui gèrent les domaines skiables.

Le Grand Tourmalet fait le bonheur des vététistes en été — Photo : Paul Quintana N'PY

350 stations de ski, 120 000 emplois directs ou indirects, top 3 mondial des destinations touristiques hivernales : les montagnes françaises caracolent en tête des lieux touristiques les plus prisés. Pourtant, la crise sanitaire est apparue comme un révélateur de leurs vulnérabilités, et l’on peut craindre qu’elles soient accentuées dans les prochaines années en raison du dérèglement climatique. Les territoires de montagne sont sujets à de grandes mutations : difficultés d’enneigement, fonte des glaciers ou érosion de la biodiversité. Alors, les stations tentent de se réinventer pour établir un modèle touristique plus diversifié et plus durable, qui améliore la qualité de vie des habitants et qui garantit l’expérience d’un séjour réussi pour les touristes, notamment l’été. En Occitanie, les montagnes (Massif Central et Pyrénées) s’étendent sur 41 000 km2, soit 55 % du territoire régional. Habitées par 1,1 million de personnes (1 habitant de la région sur 5), elles hébergent 12 000 entreprises (artisanat et TPE essentiellement) et accueillent 3 millions de nuitées touristiques chaque année. Le ski reste, de loin, la principale activité économique des stations de montagne de la région.

25 millions d’euros à Piau Engaly

Celle de Piau Engaly (Hautes-Pyrénées), la plus haute des Pyrénées, a terminé la saison d’hiver sur une bonne note : un chiffre d’affaires de 5,20 millions d’euros, en croissance de 10 %, et une hausse de la fréquentation de 7 %. Mais elle voit plus loin. Elle mène un projet de requalification, baptisé Natura Piau, dessiné par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, qui vise à la transformer en destination 4 saisons. La SEML Piau-Aragnouet, société d’économie mixte qui gère le domaine skiable et la promotion de la station, mobilise à cet effet une enveloppe de 25 millions d’euros sur la période 2023-2025, notamment pour la construction d’un nouvel Appart’hôtel (19 M€) d’une capacité de 302 lits, répartis en 57 logements du T1 bis au T5. Certaines nouveautés de l’hiver vont aussi fonctionner l’été. C’est le cas du tapis couvert construit au niveau du Jardin des découvertes, en pied de piste. Utilisé par les skieurs débutants, il facilitera cet été l’accès à une piste pour s’initier au VTT ou à de la trotti rando. Le projet concerne également la réfection de l’ensemble des chemins piétons et leur couverture, la configuration de la station permettant de ne pas se servir de sa voiture pendant son séjour. Les travaux seront suspendus au plus fort de la saison, du 15 juillet jusqu’à la fin août, pour ne pas perturber les vacanciers.

Tyrolienne de grande ampleur

Reconduite en 2022 comme concessionnaire, pour une durée de vingt ans, de la station Font-Romeu Pyrénées 2000 (Pyrénées-Orientales, CA 2022 : 15,70 M€), la société toulousaine Altiservice, leader dans la gestion des domaines skiables pyrénéens, engage, pour sa part, un plan d’investissement de 30 millions d’euros sur trois ans. "Le modèle économique de la station reste axé d’abord sur le ski, avec 530 000 skieurs par an, contre 44 000 piétons l’été. Mais l’activité ski ne représente que 16 % des sommes que nous investissons. Nous nous donnons les moyens de nous diversifier pour devancer l’impact du réchauffement climatique", décrypte Jacques Alvarez, directeur de Font-Romeu. Altiservice s’appuie sur une étude de Météo France, qui garantit le même taux d’enneigement pendant 35 ans : au-delà, elle identifie les zones, à partir de 1 700 m d’altitude, où il deviendra nécessaire d’implanter de nouvelles activités quand la neige ne tombera plus. Ainsi, Altiservice investit dans la construction d’une tyrolienne de grande ampleur (1 km de long, 150 m de dénivelé) qui sera exploitée en hiver et en été. Elle mobilise aussi 2,5 millions d’euros dans la construction d’une luge sur rails. Dans le cadre d’un programme de renouvellement, elle adapte certaines remontées mécaniques à de nouveaux publics (piétons, VTTistes) ou les rend plus modulables, pour transporter skieurs et non-skieurs en même temps. "Chaque investissement répond à une double réflexion sur les usages hiver/été", résume Jacques Alvarez. Dernier point stratégique pour Altiservice : grâce à cette logique de bisaisonnalité, la société parvient à fixer les travailleurs saisonniers. "Nous en avons déjà fidélisé 25 (sur les 150 employés de la station, NDLR), et les nouvelles activités devraient en retenir dix de plus", se félicite Jacques Alvarez.

Peyragudes à l’honneur

Il faut du monde pour faire vivre les stations en toutes saisons. Créée en 2018, la société publique locale (SPL) qui gère la station de Peyragudes (à cheval entre la Haute-Garonne et les Hautes-Pyrénées) s’est aussitôt dotée d’un schéma directeur de diversification des activités à l’horizon 2027. Son objectif était de réduire la part de la saison d’hiver dans l’activité économique de 95 % à 65 % grâce au vélo, à la randonnée et aux sports aériens ou aquatiques. Pour accompagner cette transformation, Laurent Garcia, le directeur général de la station, a imaginé avec son équipe et le soutien de l’Agence des Pyrénées un dispositif visant à fidéliser les salariés en proposant un parcours professionnel plus attractif par une polyvalence sur les métiers hiver/été, en rallongeant les contrats de travail et en offrant des parcours professionnels internes qui favorisent l’employabilité. En avril, la station a été récompensée aux Mountain Tourism Awards, organisés dans le cadre du salon Alpipro Digital Montagne à Chambéry (Savoie), lauréate de l’award "diversification touristique". Ces trophées honorent les innovations et réalisations remarquables qui contribuent à renforcer l’attractivité touristique des stations de ski et des territoires de montagne.

Prototype

"Chaque station de montagne est un prototype, estime Régis Lignon, directeur général délégué de la société anonyme d’économie mixte La Compagnie des Pyrénées (50 collaborateurs, CA : 7 M€), dépendant de leur position géographique et de leur environnement. Le plus important est que chacune d’entre elles travaille ses points d’attractivité. La diversification, ce n’est pas l’installation de luges ou de tyroliennes. Les modèles économiques de ces petites activités divertissantes ne vont pas venir remplacer le ski." Basée à Lourdes (Hautes-Pyrénées), celle-ci a vocation "à accompagner la diversification des entreprises exploitantes de domaines skiables afin de leur permettre de maintenir un modèle économique équilibré dans le moyen et long terme", indique sa directrice générale Christine Massoure. La SAEM Compagnie des Pyrénées intervient au travers de ses trois filiales. La SAS Compagnie des Pyrénées Participations a pour vocation de prendre des participations au capital des sociétés locales d’économie mixte en charge d’exploitation de stations de montagne. En 2020, elle est par exemple entrée au capital de la SEML du Grand Tourmalet (15,60 M€) à hauteur de 19 % au côté du syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) du Tourmalet (81 %). En 2021, la SEML du Grand Tourmalet a été recapitalisée par la SAS Compagnie des Pyrénées Participations, ce qui porte sa participation à hauteur de 25 %. Cela a notamment permis d’engager une première tranche de travaux de plus de 4 millions d’euros, sur un montant d’investissement global de 32 millions d’euros.

Besoin de lits marchands

Deuxième filiale, la SAS N’PY Résa, elle, se charge de la promotion et de la commercialisation des domaines skiables et sites touristiques. La marque collective N’PY, créée en 2005, qui a généré un volume d’affaires de 28 millions d’euros en 2021, regroupe les stations et sites touristiques de Peyragudes, Piau Engaly, le Grand Tourmalet, le Pic du Midi, Luz Ardiden et Cauterets dans les Hautes-Pyrénées, ainsi que Gourette, la Pierre Saint Martin et le Train de la Rhune (Pyrénées-Atlantiques). La Compagnie des Pyrénées est également actionnaire de la SAS Foncière des Pyrénées, une société d’investissement qui a pour mission de lutter contre les "lits froids". "C’est le plus gros problème que rencontrent les stations des Pyrénées, affirme Régis Lignon. Elles ont besoin de plus de lits marchands et de monter en gamme en rénovant les bâtiments existants et en les mettant aux normes environnementales. Dans la profession, on a l’habitude de dire qu’un euro investi en station de montagne, c’est entre 5 et 7 euros de recette pour le territoire. Les Pyrénées sont habitées. Il y a aussi un enjeu territorial."

Un fonds tourisme Occitanie de 111 millions d’euros

La Région Occitanie y est donc évidemment sensible. En 2019, avec le concours de la Banque européenne d’investissement (BEI) et des caisses régionales du Crédit Agricole, elle a créé le Fonds Tourisme Occitanie dont elle a confié la gestion à la société toulousaine d’investissement M Capital. Doté de 111 millions d’euros, ce fonds de prêts est destiné à toutes les entreprises du tourisme en Occitanie (55 % réservé au secteur public ou assimilé), pour accompagner l’évolution et la diversification de l’offre touristique dans la région. "Ce fonds permet de prêter jusqu’à un horizon de 20 ans avec des souplesses que le monde bancaire ne peut pas apporter", précise Adrien Raphet, directeur d’investissement chez M Capital, chargé du déploiement du Fonds Tourisme Occitanie sur la clientèle publique et qui a opéré pour de nombreuses stations de montagne. "La diversification, pour l’instant, n’est pas en capacité de totalement remplacer la neige, conclut-il. Dans les 15 années à venir, il y aura moins de neige, elle arrivera plus tardivement et elle tombera plus en altitude. Quand j’ai commencé dans la banque, on considérait que, sur une prospective de cinq années, il y avait une mauvaise saison, une saison moyenne et trois saisons correctes. Aujourd’hui, on est plutôt sur un scénario où l’on considère qu’on a une très mauvaise saison dans les 5 ans, une mauvaise et trois années moyennes."

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