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Les secouristes en santé mentale font leur apparition en entreprise
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Les secouristes en santé mentale font leur apparition en entreprise

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La formation aux "premiers secours en santé mentale" se diffuse peu à peu en France, aussi bien dans les universités, les associations que dans les entreprises. Le nombre de ces secouristes d’un genre nouveau a été multiplié par dix en seulement deux ans.

Les formations aux premiers secours en mentale, se diffusent dans l’Hexagone. L’association PSSM France initie à la détection des troubles psychiques des citoyens qui deviendront des formateurs, notamment en entreprise — Photo : Aude Lemaitre

Des secouristes d’un nouveau genre ont fait leur apparition en entreprise. 100 000 secouristes en santé mentale exercent aujourd’hui dans toute la France, dans les associations, les collectivités ou dans le monde économique. Leur nombre a été multiplié par dix en seulement deux ans. Parmi les premiers à avoir formé des équipes en interne, on retrouve pêle-mêle l’assureur Axa, Pernod Ricard, BNP Paribas, la Maison Ladurée, la Fondation ARHM, la CPAM, le ministère de l’Intérieur ou encore la Ville de Nantes.

En plein essor, le succès de la formation de secouriste en santé mentale a largement dépassé les ambitions annoncées en 2021 lors des assises nationales de la santé mentale et de la psychiatrie, appuyées par le gouvernement.

Détecter l’anxiété, la dépression, le burn-out…

Concrètement, maîtriser les gestes de premiers secours en santé mentale permet de détecter et d’accompagner des personnes en souffrance au sens large. Des personnes atteintes de troubles allant de l’anxiété à la dépression, jusqu’aux troubles psychotiques (bipolarité, schizophrénie, etc.), en passant par les problèmes d’addiction (alcool, drogue, médicaments, etc.).

"La formation aide notamment à mieux repérer les signaux faibles chez un collègue, un ami ou un membre de votre famille qui commence à avoir des fragilités", précise Muriel Vidalenc, présidente de Premiers Secours en Santé Mentale France (PSSM). Cette association nationale pilote le dispositif et forme les formateurs qui enseignent ce type secourisme dans l’Hexagone.
Outre la détection des problèmes, la formation apprend "à se positionner et à communiquer", en utilisant notamment les bons mots. Exemple avec le cas d’un salarié en burn-out. "Si un collègue s’isole, se renferme sur lui-même… Et prononce des phrases du genre : je suis complètement nul, je me demande vraiment ce que je fais ici, etc.", le secouriste va rapidement repérer ces symptômes. Il va d’abord venir vers lui pour discuter, pratiquer une écoute active et sans jugement, afin de construire un lien…", expose Muriel Vidalenc. Quitte à être très direct. "Il faut parfois savoir être cash. Et demander par exemple : J’ai l’impression que tu penses au suicide. Est-ce que j’ai raison ? Qu’est-ce qui t’amène à avoir ce genre de pensées…"

La méthode "AÉRER "

"La formation aide aussi à adapter son approche en fonction des situations. Car on ne va pas s’adresser avec les mêmes mots, ni de la même manière, à une personne atteinte de troubles psychotiques et à quelqu’un qui souffre de problèmes d’addiction", souligne de son côté Samir Toubal, chef de projet au sein de la Mutualité Française. Le syndicat professionnel a déjà ajouté une casquette de formateur à une vingtaine de ses salariés… Qui ont eux-mêmes pu former plus de 400 collaborateurs de ses mutuelles adhérentes (dont la MGEN et le groupe VYV).

La méthode utilisée en France s’appuie sur un programme né à l’origine en Australie (baptisé Mental Health First Aid), validé par des groupes d’experts composés d’universitaires, de professionnels, d’aidants… Et aujourd’hui bien rodé, ce qui lui a valu d’avoir été adopté dans une trentaine de pays du monde.

Cette méthode peut se résumer sous l’acronyme AÉRER : pour Approcher, Écouter, Réconforter, Encourager et enfin Renseigner. Une dernière étape aussi importante que les autres… "L’une des clés est que la personne en difficulté ne reste pas seule. Et qu’on puisse l’orienter vers des ressources disponibles, par exemple vers un médecin, un psychologue, voire vers le 31 14, le numéro de prévention du suicide. En aucun cas, on ne va se substituer ou remplacer les professionnels de santé", rappelle Samir Toubal.

Deux jours de formation

Devenir secouriste suppose de suivre deux jours d’enseignement. Deux jours agrémentés de vidéos, d’exemples de cas concrets et de mises en situation. Prix conseillé : 250 euros, indique PSSM France. Pour guider les entreprises, l’association affiche sur son site une liste des formateurs accrédités pour dispenser la formation. Le module pour accéder au statut de formateur dure, lui, cinq jours, pour un tarif de l’ordre de 1 500 euros, prix recommandé là aussi. À noter qu’il n’est actuellement pas possible de mobiliser son Compte personnel de formation (CPF) pour ces programmes.

Sujet tabou en entreprise

Cela n’empêche pas de nombreux organismes et entreprises de se lancer, comme La Mutualité Française. "Aujourd’hui, c’est encore tabou de parler de santé mentale en entreprise. Le but est de faciliter l’accès au soin mais aussi de déstigmatiser les personnes en situation de souffrance psychique", argumente Samir Toubal. Un objectif partagé par l’association PSSM France.

Une stigmatisation qui reste forte

"La stigmatisation reste forte, confirme sa présidente. Aujourd’hui, on a par exemple tendance à cacher qu’on est pris en charge par un psychiatre. Pas simple de trouver du travail quand vous êtes diagnostiqué bipolaire… Il faut changer les mentalités. Et répéter qu’on peut aller voir un psy quand ça ne va pas, comme on va voir son médecin quand on se casse la jambe…"
Même si Muriel Vidalenc reconnaît que la crise du Covid "a permis de libérer davantage la parole", les employeurs ayant poussé plus loin la réflexion sur les risques psychosociaux en entreprise, notamment à l’occasion de la mise en place du travail à distance.

Pour réussir la nouvelle formation, Muriel Vidalenc conseille de "ne pas l’imposer", mais de la proposer sur la base du volontariat aux salariés. La formation exigeant un intérêt pour les questions de santé mentale, l’envie d’apprendre à aider les autres et bien sûr des qualités d’empathie. "L’idéal est aussi d’intégrer cette démarche dans un projet RSE de l’entreprise", ajoute-t-elle encore.

Les troubles psy, première cause des arrêts longue durée

L’enjeu est immense. Selon l’observatoire "Place de la Santé" de la Mutualité Française : un Français sur cinq est touché par un trouble psychique chaque année, soit 13 millions de personnes.

Pour l’employeur l’intérêt s’avère multiple : améliorer la prévention en matière de santé, le bien-être au travail, mais aussi le fonctionnement des équipes. Car il faut savoir que les troubles psychologiques constituent la première cause d’arrêts de travail de longue durée. Et représentent 22 % des arrêts de ce type survenus en 2022, comme le souligne un autre observatoire, celui de l’absentéisme, piloté par Axa France. La première cause devant les troubles musculosquelettiques… Après ses débuts prometteurs, PSSM France se fixe comme objectif de former 750 000 secouristes en santé mentale d’ici 2030.

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