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Les scale-up, ces PME lilloises "nouvelle génération"
Enquête Lille # Création d'entreprise

Les scale-up, ces PME lilloises "nouvelle génération"

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Nées à Euratechnologies, incubateur et accélérateur lillois, toute une série de jeunes pousses affichent à présent l’ampleur de belles PME. Préférant se qualifier de « scale-up », elles revendiquent quelques particularités : l’hypercroissance, la prise de risques et de fortes ambitions.

En cette rentrée 2019, l’écosystème Euratechnologies fête ses dix ans. Ayant rendu ses lettres de noblesse au site d’une ancienne usine textile, cet incubateur et accélérateur s’étend sur 80 000 m², dans lesquels il abrite près de 300 entreprises. Projet ambitieux à ses débuts, Euratechnologies est à présent un organisme reconnu dans les milieux économiques. Cet anniversaire est l’occasion de faire un point sur les entreprises qui ont grandi entre ses murs. Que sont devenus ces start-uppers pleins de rêves et d’ambitions, qui ont un jour posé leurs valises au sein de ce géant de briques rouges ?

Premier constat, Euratechnologies ne compte dans ses rangs aucune licorne, ces entreprises à la croissance fulgurante et valorisées à plus d’un milliard de dollars, à l’image d’OVH, Blablacar ou Doctolib. Avec la start-up Giroptic, l’essai a pourtant bien failli être transformé. Un temps objet de toutes les attentions médiatiques, championne des levées de fonds, la start-up créée par Richard Ollier en 2008 a fini par mettre la clef sous la porte début 2018. Malgré les espoirs suscités par sa caméra à 360 degrés, Giroptic n’a jamais rencontré son marché. D’autres entreprises, nées ou accélérées depuis 2009 entre les murs d’Euratechnologies, ont quant à elles connu de beaux succès, avant d’être rachetées et de poursuivre leur forte croissance sous un autre étendard, à l’image d’Adictiz, la start-up connue pour son jeu Paf le chien, reprise par Webedia en 2018.

Hypercroissance et prise de risques

Mais il existe une troisième typologie d’entreprises nées au sein de cet écosystème, plus discrètes et non moins prometteuses. Des jeunes pousses qui possèdent l’ampleur de PME, sans toutefois se revendiquer comme telles. « Nous n’utilisons pas le terme PME, car dans l’univers des start-up, il peut avoir une connotation négative », souligne Gonzague Lefebvre, codirigeant de la start-up CleverConnect, dont le siège est à Paris. Celle-ci trouve ses origines dans la société Visiotalent, qu’il a fondée à Euratechnologies en 2014. En 2016, la start-up accélère en fusionnant avec la jeune pousse Meteojob, pour donner naissance à CleverConnect. Cette société accompagne les entreprises dans leurs recrutements, en enrichissant le CV des candidats par un court entretien vidéo qui met l’accent sur la personnalité. CleverConnect réalise un chiffre d'affaires de 15 M€ avec 120 salariés. Une taille de PME, mais un fonctionnement différent selon son dirigeant : « Notre rythme de croissance et nos ambitions sont plus élevés. Notre CA croît de 40 % par an et nous repensons notre organisation tous les six mois, en raison de l’augmentation des clients ou de l’élargissement de notre périmètre. »

Cofondateur et codirigeant de CritizR, Nicolas Hammer a un point de vue similaire. Sa société, qui propose à la grande distribution des solutions pour optimiser l’expérience client, va réaliser cette année un CA de proche de 10 M€, avec 70 salariés. Une ampleur digne d’une PME, mais le jeune dirigeant pointe plusieurs différences : « Nous sommes davantage dans la prise de risques qu’une PME classique. Notre CA double chaque année et nous sommes sur un secteur d’activité où il faut aller vite. Cette intensité, c’est d’ailleurs ce qui nous anime ».

Un modèle économique éprouvé

Refusant d’être assimilés à des PME, les start-uppers en croissance préfèrent la dénomination "scale-up". Un statut différent de celui de "start-up" qui implique que l'entreprise change d'échelle via une stratégie d'accélération de la croissance, décrit Bpifrance. « C’est le moment où une start-up tient enfin la bonne recette et sa mission, c’est d’aller plus loin, décrit pour sa part Nicolas Hammer, de CritizR. Nous connaissons nos clients, nos forces, nos faiblesses et nous nous en servons pour mener la réflexion suivante : comment faire les choses plus vite et en plus grand ? »

En l’espace de dix ans, Euratechnologies a donc créé une génération de PME à part. Celles-ci ont toutes un point en commun : l’hypercroissance. « Avec un CA de 7,5 M€, nous nous considérons comme une PME », reconnaît Guillaume Spriet, fondateur et codirigeant de Drawer. Née à Euratechnologies en 2011, celle-ci vend du mobilier milieu de gamme sur son propre site, et sur certaines marketplace comme La Redoute. Le sourcing étant réalisé directement par le dirigeant, un ancien acheteur, Drawer propose du mobilier de qualité à des prix intéressants, rendus possibles par l’absence d’intermédiaires. « Notre particularité, c’est de réaliser aujourd’hui deux fois plus de CA qu’il y a trois ans, et de tabler cette année encore sur une croissance de 20 % », ajoute-t-il.

Ces PME nouvelle génération sont des start-up qui ont pris leur temps pour trouver et tester leur modèle économique, avant de le déployer et d’en récolter les premiers fruits. « Nous avons stabilisé et rendu viable notre modèle économique en 2017. Jusque-là, nous ne faisions que l’affiner », affirme Rémi Lengaigne, fondateur et dirigeant de Colisweb. Née en 2013 à Euratechnologies, cette société propose aux commerçants et e-commerçants d’assurer leurs livraisons en moins de deux heures ou sur rendez-vous, pour des colis de toute taille. En 2019, Colisweb va réaliser un CA de 20 M€, avec 45 salariés. Il complète : « Nous avons fait des erreurs, perdu de l’argent. À présent nous tenons notre solution et sommes en pleine croissance. Nous comptons multiplier le CA par deux en 2020, et l’entreprise sera rentable dès le deuxième trimestre. » Et quand il s’agit de qualifier son entreprise, le dirigeant n’emploie plus le terme start-up « qui peut faire peur aux grands comptes », ni celui de PME : « Nous restons en forte croissance et dans un fonctionnement agile. Nous préférons dire que nous sommes une entreprise capable de répondre à de gros projets ».

Des ambitions intactes

Chacune des entreprises interrogées affiche l’ambition d’être rapidement leader sur son marché, à l’échelle mondiale pour CritizR, en Europe pour ColisWeb et CleverConnect, et en France pour Drawer. Rémi Lengaigne, dirigeant de Colisweb, lance d’ailleurs : « Aller chercher un chiffre d’affaires d’un demi-milliard d’euros, c’est possible ». Cette génération de scale-up n’a donc rien perdu de ses ambitions de départ.

Mais elle est loin d’entretenir le rêve de la licorne. Rémi Lengaigne commente : « Nous n’avons pas pris cette trajectoire. Pour moi, les licornes de demain ce ne sont pas les entreprises valorisées à un milliard, mais celles qui ont du sens pour la société et un impact sur l’environnement ». Un avis partagé par Nicolas Hammer (CritizR), qui accorde plus d’importance « au fait d’apporter de la valeur aux clients qu’à l’évaluation d’une boîte », ou par Gonzague Lefebvre (CleverConnect) : « On motive une équipe à aller de l’avant en lui donnant du sens, pas en cherchant à devenir une licorne ». D’autres, comme Guillaume Spriet, ont grandi sans renoncer à leurs valeurs : « Nous n’avons jamais réalisé de levée de fonds : nous voulions garder notre indépendance. »

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