Les entreprises des Pays de la Loire revoient leurs façons de recruter
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Les entreprises des Pays de la Loire revoient leurs façons de recruter

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Job dating sportif ou dans un bar. Dans les Pays de la Loire, les initiatives originales de recrutement se multiplient. Une tentative de réponse aux difficultés de recrutement auxquelles sont confrontées les entreprises. Les résultats sont plutôt positifs, même s’ils ne suffisent pas à résoudre les questions de fond de l’emploi.

Les activités sportives permettent de mettre en avant des compétences de candidats, ici réunis à la base de loisirs de Brûlon, par l’agence Leader intérim de Sablé-sur-Sarthe — Photo : Leader interim

Dans les Pays de la Loire comme ailleurs, recruter relève bien souvent du défi. Selon une enquête de la CPME réalisée cet été, 94 % des chefs d’entreprise français déclarent rencontrer des difficultés à trouver le bon profil. "Je ne connais pas un secteur d’activité qui n’ait pas de difficulté à recruter", confirme Samuel Tual, président du Medef Pays de la Loire et PDG du groupe mayennais d’intérim Actual Leader (3 150 employés, 1,38 Md€ de CA). "Avec 7,4 % de taux de chômage, on n’est pas loin du plein-emploi conjoncturel. Le marché s’est inversé, ce sont aujourd’hui les candidats qui choisissent". Les attentes ont évolué : "La crise sanitaire a interpellé les salariés sur la place du travail dans leur vie, générant un questionnement sur le sens. Dans ce contexte, soit on râle, soit on s’interroge sur nos méthodes. Est-ce que la façon dont on s’adresse aux différents publics est adaptée ?" Les recruteurs ont pris conscience du décalage et n’hésitent plus à sortir des sentiers battus.

Les méthodes de recrutement évoluent, pour les agences spécialisées comme pour les entreprises, explique Samuel Tual, président de Actual Leader Group — Photo : ACTUAL

Sur le plan d’eau de Brûlon, dans la Sarthe, l’agence Leader Interim mise ainsi sur des jobs dating originaux avec des candidats à l’emploi qui s’adonnent à une partie de football ou de möllky. "Les activités sportives font ressortir des valeurs de savoir-être", explique Estelle Parizet, chargée de recrutement pour l’agence Leader Interim de Sablé-sur-Sarthe. "Elles permettent aux candidats de ne pas être évalués sur leur CV". Ces compétences sportives se retrouvent dans les univers professionnels : l’esprit d’équipe et de compétition (football), le respect de consignes de sécurité, la concentration et la minutie (tir à l’arc). "C’est une réussite", estime Estelle Parizet. Elle a engendré quatre prises de poste et fait se déplacer des personnes "qui ne seraient pas venues en agence". Ce job dating sportif devrait être repris par d’autres agences du groupe.

Recruter dans un bar

Dans les V and B, candidats et recruteurs se retrouvent autour d’un verre, sans CV. Les échanges sont plus détendus — Photo : V and B

Cadre différent mais objectif proche chez le caviste V and B. "Nous accueillons une clientèle multi-générationnelle dans nos magasins et nous savons qu’indirectement de nombreuses personnes, à travers les rencontres, ont trouvé un emploi chez nous", expose Céline Lebreton, responsable Expérience collaborateurs du groupe mayennais de 1 500 salariés. Les agences Randstad (3,6 Md€ de CA en France) ont sollicité le caviste pour créer des jobs dating. "Dans un bar V and B, on organise des échanges entre candidats et recruteurs, sans CV. Tous sont anonymes. Les discussions durent dix minutes", décrit Laurence Stephan, directrice de l’agence Randstad de Saumur. "Le message : la personnalité est plus importante que le CV. Chaque entreprise note les gens qu’elle souhaite revoir, et nous les sollicitons ensuite pour des entretiens d’embauche". Expérience concluante. "Le lieu a d’abord étonné, mais a désinhibé les personnes. Certains ont pu approcher des directeurs. Ils n’auraient jamais osé autrement", apprécie Laurence Stéphan. "Nous réunissons en moyenne entre 50 et 120 candidats par événement avec plus d’une dizaine d’emplois directs créés", ajoute Céline Lebreton. Douze jobs dating se sont tenus dans la région, le prochain est prévu à Brest. "Nous cherchons à les dupliquer partout en France".

"Aujourd’hui, si on ne forme pas, on a du mal à trouver"

Pour beaucoup d’entreprises, "il est nécessaire d’élargir la typologie des profils, de chercher des candidats qu’elles n’auraient pas visés spontanément : des personnes plus jeunes, plus anciennes, avec des trous dans leur CV", explique Samuel Tual. Pour cela, "on revient à des pratiques qui datent - pour certaines - de trente ans : on amène des camions sur les marchés de villages, on sponsorise des pochettes de baguette en boulangerie. On organise parfois des recrutements dans les stades les soirs de matches", poursuit le dirigeant d’Actual, qui sponsorise le SCO d’Angers et le Stade Lavallois.

Avec cette approche, "la notion de poste disparaît au profit des compétences : si la personne possède deux compétences sur trois requises, on la forme pour la troisième compétence". Du coup, de plus en plus d’entreprises forment leurs nouvelles recrues. "Aujourd’hui, si on ne forme pas, on a du mal à trouver", témoigne Jérôme Housseau, directeur de Rapidhome (Mayenne, 300 salariés), qui a récemment recruté 80 personnes. Celles-ci suivent une formation en interne, de trois à quatre semaines. Pour les formations, les entreprises peuvent solliciter certains outils, tels la Préparation opérationnelle à l’emploi collective (POEC) proposée par Pôle emploi, ou encore le parcours emploi-tutorat financé par le Conseil régional des Pays de la Loire.

En enjeu : la réorganisation du travail

En juin, les métiers de la propreté sont venus au cœur du Mans assurer des démonstrations, et recruter — Photo : Espace 72

Autre initiative : le 21 juin, sept entreprises de propreté sarthoises ont organisé un job dating et des démonstrations dans le centre-ville du Mans, dans le cadre de la Semaine de la Propreté. 72 candidatures ont été recueillies ce jour-là. Mais Pascal Gahéry, président de l’entreprise Espace Propreté, se réjouit surtout d’avoir fédéré pour la première fois employeurs, fournisseurs et organismes de formation. "D’habitude, chacun travaille seul, selon un schéma standard, en faisant appel à Pôle Emploi, Le Bon Coin, Linkedin. Là, il ne s’agissait pas forcément de recruter le jour même, mais de présenter nos métiers pour que les gens viennent vers nous plus tard". Toutefois, lucide, il poursuit : "Ces nouvelles formes de recrutement, c’est du paquet-cadeau". L’enjeu est ailleurs : "C’est la réorganisation du travail, qui pose la question de l’attractivité des métiers".

Car au-delà de la façon d’entrer en contact avec les candidats à l’emploi et des questions de formation, les difficultés de recrutement amènent les entreprises à se remettre en question et à travailler leur marque employeur. Le réseau Apef témoigne de cette prise de conscience. Filiale du groupe sarthois Oui Care spécialisée dans les services d’aide à la personne, Apef (18 000 salariés, 348 M€ de CA) a recruté mille personnes l’an dernier, et en recrute mille de plus cette année. Il opte pour une méthode de recrutement "inversé" : il propose aux candidats de "choisir et recruter Apef" en poussant la porte d’une des agences, sans passer par un envoi de CV et sans nécessairement justifier d’une expérience.

"Aujourd’hui, c’est aussi à l’entreprise d’apporter ses preuves", constate Sébastien Cogez, directeur de l’Apef — Photo : APEF

"Aujourd’hui, c’est à l’entreprise d’apporter des preuves"

"Cette campagne, nous la lançons tout juste. 75 % de notre budget communication est utilisé pour le recrutement", explique Sébastien Cogez, directeur général. "Aujourd’hui, c’est à l’entreprise d’apporter des preuves. On insiste donc sur le fait de considérer les salariés comme des clients, en écoutant leurs contraintes, en adaptant nos plannings. Les difficultés de recrutement nous obligent à penser différemment. Nous sommes aussi face à une nouvelle génération qui a des demandes différentes par rapport à l’entreprise. Il faut donc que celle-ci travaille son image et ses engagements sociaux, environnementaux et sociétaux. Par exemple, nous reversons 5 % des bénéfices à un institut qui œuvre contre les violences faites aux femmes. Avec Oui Care, nous proposons aussi des véhicules en location pour les collaborateurs pour 100 euros par mois. C’est un autre argument qui peut faire que les gens nous choisissent."

Entre l’inflation galopante et les tensions de recrutement, la rémunération devient, plus que jamais, un élément central. "Qu’est-ce qui va motiver un candidat à travailler ?", s’interroge ainsi Fabrice Chapuzet, PDG de Lou Légumes, qui a ouvert une champignonnière à Landivy (Mayenne), fin 2021. "Il y a les raisons économiques. Si je ne gagne que 1 250 euros, et que je dois pour cela payer une voiture et la garde des enfants, je ne sais pas pourquoi je vais travailler. Chez nous, 95 % des opérateurs gagnent plus que le Smic (les 5 % restants sont en formation). Ensuite, que fait l’entreprise pour apporter des solutions à mes problèmes périphériques à l’emploi, comme le transport, le logement, la garde des enfants ? On a recruté une personne pour aider nos salariés, pour organiser le covoiturage avec les nouveaux collègues. Le troisième point est la motivation. Quand le salarié rentre chez lui, il faut qu’ait quelque chose à raconter de sa journée. Bien sûr, il y a de la routine, mais je souhaite qu’il se passe des choses fortes dans l’entreprise. Les gens sont avides de retrouver un épanouissement dans le lien social au travail. Favoriser le bien-être au travail est important. Quand on s’est installé en Mayenne, un patron m’a dit qu’il n’arrivait pas à recruter quatre personnes. Nous, on a en a recruté 65 en quatre mois !"

Avant le recrutement, l’attractivité des métiers

Certains métiers peinent à trouver des candidats parce que les conditions d’exercice sont difficiles. Si besoin était, une enquête de la Darès, un service du ministère du Travail, a rappelé en juin cet enjeu de l’attractivité : les employeurs qui signalent que leurs salariés sont exposés à des conditions de travail difficiles sont plus nombreux à connaître des difficultés de recrutement. "Pour eux, recruter autrement ne fera pas avancer les choses. Il s’agit d’une problématique interne des entreprises, qu’elles doivent résoudre avant de passer au recrutement", commente Estelle Parizet. Les métiers de la propreté sont concernés. La mobilisation des entreprises sarthoises comporte un second volet : à l’automne, elles vont réunir des collectivités clientes (Région, Département, Le Mans Métropole, préfecture) pour envisager d’élaborer des plannings non fractionnés pour les agents qui nettoient les bureaux. Les journées à trous rebutent les candidats, avant même la question du salaire. Pascal Gahéry est persuadé qu’on peut "cotravailler sur un même site plutôt que de travailler tôt le matin ou tard le soir. Si demain on modifie cette organisation du travail, on va redonner de l’attrait."

Agir sur les méthodes, sur les conditions de travail, sur les filières. Le curseur peut encore bouger avec des éléments de contexte politique (la prochaine réforme du chômage) et de conjoncture économique. Les probables difficultés des mois prochains et une hausse du chômage pourraient détendre le marché du travail, notent les observateurs. Mais une crise économique ne peut être vue comme une solution.

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