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Les entreprises de Paca à la découverte de l'intelligence artificielle
Enquête Région Sud # Informatique # High-tech

Les entreprises de Paca à la découverte de l'intelligence artificielle

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Chat GPT, MidJourney… : depuis un peu moins d’un an, l’intelligence artificielle générative s’est démocratisée. Création de textes, d’images, de musique, de vidéos, tout semble aujourd’hui possible sans réelles compétences. En Région Sud, les entreprises ne peuvent pas passer à côté de ces outils qui peuvent accroître leur productivité et augmenter la qualité de leurs actions.

L’intelligence artificielle permet d’accroître la productivité au sein des entreprises. (Image entièrement virtuelle, générée par l’intelligence artificielle générative MidJourney) — Photo : D.Gz.

Intelligence artificielle. Ces deux mots sonnent comme un oxymore, d’ailleurs, à leur énoncé, le monde se divise rapidement en deux catégories. Il y a d’un côté ceux qui s’enthousiasment de la démocratisation de cette technologie et y voient des gains de productivité indéniables pour les entreprises et les humains en général, et, de l’autre, ceux qui s’affolent, voyant dans cette intelligence sans conscience, que ruine de l’âme, voire de l’Humanité. La vérité est sans doute entre les deux, mais une chose est désormais certaine : la mise sur le marché, gratuitement en novembre dernier de Chat GPT par la société américaine Open AI, créée en 2015 par Sam Altman, a engendré, en quelques mois, une adhésion à faire pâlir les rêves les plus fous des Gafam (Google – Amazon – Facebook – Apple – Microsoft). En effet, il n’a fallu à Chat GPT que deux mois pour atteindre les 100 millions d’utilisateurs alors que, selon les chiffres de Sensor Towers, spécialiste de l’économie numérique mondiale, Instagram a mis deux ans et demi pour parvenir à cette étape et TikTok, neuf mois. Les deux applications cumulent toutefois aujourd’hui respectivement plus de 2 milliards et 1 milliard d’utilisateurs actifs mensuels.

"L’intelligence artificielle générative c’est l’IA à la portée de tous. C’est cette universalité qui la rend disruptive", commente Pierre Grand-Dufay, président du fonds d’investissement marseillais Tertium, qui depuis quelques années s’est passionné pour les développements de l’intelligence artificielle au point d’en écrire deux romans d’anticipation, (Le monde de Tim et Les vagues ne meurent jamais), qui évoquent un futur optimiste où les humains seront assistés par l’IA. "La révolution de Chat GPT et des IA génératives est comparable à l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutemberg en 1440, qui a donné accès à l’information écrite au plus grand nombre", poursuit-il.

"80 % des tâches dans les métiers du service seront automatisées avec de l’intelligence artificielle dans les deux à trois prochaines années"

Un avis partagé par Florian Clarté, leader AI chez Onepoint, qui intervenait lors du Grand Bain organisé par la French Tech, à la mi-septembre à Marseille : "Jusque-là, l’IA était une capacité technique qui classait, triait, réalisait de la prédiction à partir de données et des spécialistes étaient nécessaires pour s’interfacer avec la machine. Aujourd’hui, la grande différence, c’est que l’IA générative peut produire de la donnée dans un langage qui permet l’interaction", précise-t-il. Et ces données sont souvent des contenus au sens créatif du terme (texte, image, son, musique, vidéo, code…). Autant d’éléments qui n’étaient auparavant créés que par des humains.

Alors, soit, nous voilà capables d’entamer une discussion avec la machine, rejoignant les rêves les plus fous des auteurs de science-fiction, mais en quoi les entreprises peuvent-elles être intéressées par ces nouveaux outils ?

"Nous vivons une révolution comme il y en a rarement eu dans l’histoire de l’Humanité. Nous sommes à la croisée des chemins, l’IA générative se rapproche des niveaux de compétences de l’homme et 80 % des tâches dans les métiers du service seront automatisées avec de l’intelligence artificielle dans les deux à trois prochaines années", annonce clairement Olivier Aloccio, qui dirige l’agence aixoise en marketing digital, WSI (50 salariés).

Gains de productivité

Premier impact notable, les capacités de traitement et de réponse de l’IA générative peuvent offrir aux entreprises des gains de productivité dans le cadre de tâches répétitives. "Le but de l’IA, c’est de faciliter le travail et d’accroître les capacités des utilisateurs. Avec de tels outils, les entreprises vont pouvoir réduire des postes de coût : relances mail, résumés de réunions, synthèses de l’information…", précise Marguerite Leenhardt, directrice du Riality Lab, filiale de la CCI Aix-Marseille-Provence créée en 2021. Le tout premier Lab d’IA focalisé business porté par une CCI en France et issu d’une coconstruction entre des acteurs publics et privés, dont Microsoft France. La création de contenu peut ainsi être optimisée en utilisant de l’IA générative. "Quand on a des ressources contraintes et peu de temps, l’IA peut fournir du texte et des contenus visuels pouvant être utilisés pour générer des présentations par exemple. Il s’agit typiquement d’une utilisation où l’on gagne en productivité sur des sujets où les collaborateurs perdaient du temps", poursuit la directrice du Riality Lab, rejointe par Olivier Aloccio qui ajoute : "L’IA générative peut effectuer la synthèse de la prise de notes de réunion en quelques secondes, et elle peut créer un power point en quelques minutes en partant de zéro. L’IA générative ne va pas remplacer les individus, mais nous pourrons devenir des professionnels augmentés, grâce à l’IA".

Générer de la communication

"Nous n’en sommes qu’aux prémices, mais nous avons testé la version gratuite de Chat GPT pour la rédaction de fiches explicatives concernant les semences de plantes aromatiques et potagères", confie Christophe Matakis, dirigeant d’Agrosemens (20 salariés), société familiale aixoise, créée en 2002 et spécialisée dans les semences maraîchères certifiées 100 % biologiques. "Nous testons les outils d’IA générative pour l’élaboration des fiches produits. C’est intéressant car Chat GPT fournit du contenu en quelques minutes et, ensuite, nous retravaillons la mise en forme", poursuit-il. Ces fiches, qui expliquent de façon simple comment travailler le sol pour mettre en place des semis et entretenir son potager, seront glissées dans un coffret de six semences pour les enfants de 5 à 9 ans, prochainement commercialisés dans les magasins alimentaires et les jardineries bio. L’entreprise, qui devrait bientôt refondre son site internet, envisage également de recourir à l’IA générative pour mettre en place un chatbot.

"Nos directeurs artistiques gagnent beaucoup de temps"

De son côté, l’agence aixoise en marketing HighCo (500 salariés, CA : 77 millions d’euros) s’est rapidement intéressée au développement des IA génératives, que ce soit Chat GPT où les applications dédiées à la création d’images comme Dall-e, Midjourney ou Stable Diffusion. "L’IA générative a aujourd’hui un impact sur le processus de création", affirme Nicolas Cassar, directeur marketing et communication chez HighCo. "Elle permet notamment aux créatifs de s’inspirer. Nos collaborateurs ne vont plus simplement sur Google pour trouver de nouvelles idées ou perspectives, ils utilisent Chat GPT pour brainstormer. Ils envoient ensuite des requêtes dans Midjourney et, parfois, nous obtenons des idées sur lesquelles on ne se serait jamais naturellement engagé. Nos directeurs artistiques gagnent beaucoup de temps". Ainsi, l’une des agences du groupe a travaillé avec l’Opco Commerce afin de promouvoir les métiers du bureau et du numérique auprès des jeunes. "L’idée était de rendre ces métiers plus attractifs et nous avons pensé les décliner comme si nous parlions de super-héros". Les équipes d’HighCo ont demandé à MidJourney de générer une série de personnages de fiction en fonction de caractéristiques précises et les créatifs ont affiné le travail.

Dans la même idée, Christophe Tourneur, responsable communication et développement à l’IRCE (Institut régional des chefs d’entreprise), basé à Aix-en-Provence, utilise l’IA générative pour optimiser ses communications. "Pour certains textes, nous nous inspirons de Chat GPT. Et pour notre charte graphique, que nous sommes en train de refondre, plutôt que d’acheter des photos dans des banques d’images où nous passions un temps fou à rechercher la bonne illustration, nous générons maintenant les images que nous voulons à l’aide de MidJourney. Nous les travaillons ensuite pour les personnaliser".

Aider les fonctions marketing

L’IA générative peut également inspirer les entreprises dans leurs démarches marketing. La société B2Wise (56 salariés, CA : 6 millions d’euros), créée en 2016 par Laurent Vigouroux, basée dans les Bouches-du-Rhône à Carry-le-Rouet, est positionnée sur l’optimisation de la supply chain. "Nous faisons nos premiers essais sur Chat GPT en essayant de challenger nos mots-clés ce qui nous permet d’avoir des messages plus percutants, dans nos mails, dans notre newsletter", explique le dirigeant, dont la démarche demeure empirique. Dans le cadre d’appels d’offres, l’IA générative peut également faire la synthèse de dossiers importants afin d’avoir rapidement une vue d’ensemble. "Tout le monde balbutie avec l’IA générative et nous sommes conscient d’avoir besoin de structurer notre démarche. Nous sommes une entreprise d’ingénieurs, pas de littéraires et l’IA nous permet de rédiger des mails efficaces et bien tournés. Nous ne gagnons pas forcément en productivité mais en qualité…" Chat GPT peut également générer en quelques secondes ce qu’en marketing on appelle des cartes d’empathie, une synthèse visuelle sous forme de tableau, des ressentis d’un utilisateur d’un produit afin de mieux cibler sa communication.

Le roi du code, en no-code

Chat GPT peut non seulement répondre à toute question posée en langage naturel, mais également générer du code informatique à partir d’une simple demande. "Les codeurs utilisent déjà un outil de génération automatique de codes créé par Open AI qui préfigurait l’arrivée de la programmation en langage naturel", confie-t-on chez Onepoint. Pour Arnaud Colas, fondateur et dirigeant de la société aixoise Solucielle (8 salariés, CA : 400 000 euros), qui propose à ses clients des développements spécifiques d’applications de gestion, "quand un code n’est pas très propre, il est possible de demander à Chat GPT de le commenter et de l’optimiser. Il remplace alors dix lignes en trois". S’il avoue ne pas encore avoir le réflexe de l’utiliser, Chat GPT est bien ouvert en permanence sur le bureau de son ordinateur. "Nous avons soumis un code sur lequel nous nous interrogions à Chat GPT. Il a commenté le code et il a même compris qu’il était dédié à de la logistique", s’enthousiasme-t-il. Pour Olivier Aloccio, "les interfaces no-code, comme Chat GPT, vont permettre de se débarrasser des contraintes techniques". En revanche, Thomas Houdaille, directeur de la Plateforme (50 salariés, 800 élèves), école du numérique et des nouvelles technologies, basée à Marseille, Toulon et Cannes, est plus prudent : "Nous formons nos étudiants sur le code, mais bien évidemment également sur l’intelligence artificielle afin de voir comment elle va impacter les entreprises. L’outil est en effet puissant, mais si on ne sait pas coder, l’IA générative ne va pas faire des miracles", précise-t-il, tout en ajoutant : "Il y a un savoir-faire à acquérir. En revanche, les IA génératives peuvent servir d’outils d’aide à l’optimisation, mais ce n’est pas nouveau. Des codes en open source, il y en a déjà un peu partout". Le directeur de la Plateforme conseille toutefois aux entreprises d’aller tester les outils existants. "Il en sort presque tous les jours. La valeur ajoutée repose surtout dans l’utilisation des données de l’entreprise par une IA générative, dans le cadre d’un chatbot par exemple".

La machine s’invite dans les ressources humaines

Même les ressources humaines sont désormais impactées par les IA génératives. En juin 2023, l’agence d’innovation RH Tomorrow Theory a publié un rapport dans lequel elle indique clairement qu’en 2040, "le recrutement se fera de manière proactive grâce à des algorithmes capables d’identifier les candidats compatibles avant même qu’ils ne postulent, tant qu’ils se sont déclarés en veille active ou en recherche". À la tête du Cabinet de recrutement marseillais Manajob (3 salariés) Nathaniel Benarroche Elbaz, confie ainsi qu’il s’est rapidement penché sur la problématique de l’IA générative. "J’ai suivi pas mal de webinaires. Dans nos métiers, l’IA générative peut être un atout pour beaucoup de tâches de back-office, comme notamment la rédaction d’offres d’emploi, mais pour le cœur de notre métier, l’appréciation des candidats, cela reste utopiste. Comment un robot pourrait-il nous aider ?", lance-t-il.

"Depuis une décennie, on nous annonce que l’IA remplacera les recruteurs. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas le cas !"

Avis partagé par Thomas Sentis, l’un des deux fondateurs du cabinet de recrutement indépendant LM5P (Le mouton à cinq pattes, 20 salariés, CA : 2 millions d’euros), basé à Marseille, Avignon, Rennes et Lyon. "Depuis une décennie, on nous annonce que l’IA remplacera les recruteurs. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas le cas ! Notre cœur de métier, à savoir la mise en relation des entreprises et des candidats à l’embauche, est toujours réalisé par des hommes et des femmes. Chat GPT apporte toutefois du confort au quotidien. Il nous aide à sourcer des candidats". Lorsqu’une entreprise issue de la biotech confie la recherche d’un profil, LM5P demande ainsi à Chat GPT de lister les entreprises du même secteur, qui sont autant de pistes où aller chasser le candidat. "Nous l’utilisons aussi pour qu’il nous livre tous les synonymes d’un même métier et ainsi gagner du temps dans le ciblage des candidats". Mais, comme le rappelle Nathaniel Benarroche Elbaz, "à l’heure actuelle, l’IA générative est encore trop impersonnelle et nous travaillons sur de l’humain. Certes, à la vitesse où elle évolue, l’IA pourrait, à terme, mettre en péril nos métiers". De son côté, Olivier Aloccio, demeure serein : "Les PME ont avant tout besoin de conseils, d’avoir une stratégie. Plus il y a de technologie, plus les tâches seront automatisées, plus nos clients auront besoin d’être écoutés et nous sommes là pour cela".

Intelligence sans conscience

En fait, l’actuel frein de l’IA générative, c’est son absence de conscience. Chat GPT converse avec son utilisateur, donne l’illusion de la compréhension, mais, en fait, comme le dit Jean-Marc Santi, qui a fondé en 2022 la start-up Skilit (CA : 300 000 euros), "la machine ne comprend pas. Elle ne fait que des statistiques. À chaque question, nous n’obtenons au mieux qu’une réponse moyenne, comme si nous avions interrogé 10 000 individus. Et la machine est une boîte noire dont aucun humain ne peut connaître le fonctionnement. D’où les 30 % d’erreur, les hallucinations de Chat GPT qui affirme parfois des informations totalement fausses. Skilit, qui travaille en partenariat avec le chercheur Pierre Jourlin du laboratoire informatique de l’université d’Avignon, spécialiste en intelligence artificielle, a pour ambition de contextualiser les mots afin de donner à la machine une notion de sens, et rendre le numérique plus humain. "La machine aura alors un premier niveau de conscience, comme un enfant qui apprend. Le taux d’erreur de ses réponses pourrait alors passer en dessous de 5 %".

L’idée est que l’IA finisse par comprendre une requête par son sens et pas simplement par l’analyse statistique des mots utilisés. Skilit vise le marché des ressources humaines et les acteurs du recrutement. La société aixoise Matcheed, spécialisée dans le recrutement et plus précisément dans la qualification des pré-candidatures, mais également l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspe) d’Aix-Marseille ou la Cité des Métiers ont fait confiance à la jeune entreprise qui envisage une prochaine levée de fonds de 900 000 euros.

Autant d’exemples qui montrent que les entreprises doivent dès aujourd’hui se positionner et se former aux nouvelles possibilités offertes par l’IA générative, car, comme le fait remarquer Laurent Vigouroux, "même si personne ne va perdre son job à cause de l’IA, en revanche, peut-être perdrons-nous nos jobs à cause de quelqu’un qui utilise l’IA".

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