La Vendée roule aux déchets agricoles
Enquête # Production et distribution d'énergie

La Vendée roule aux déchets agricoles

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Et s’il était possible de rouler grâce à une énergie renouvelable et locale ? C’est ce que proposent dix agriculteurs vendéens qui ont ouvert leur station-service de biogaz naturel pour véhicules. Ils comptent dupliquer ce modèle économique un peu partout en France. Mais entre réticence des transporteurs et frilosité politique, les obstacles sont nombreux.

Depuis 2017, la station-service Agricarbur' de Mortagne-sur-sèvre propose du BioGNV, issu d'une unité de méthanisation située à proximité. — Photo : Jéromine Doux - Le JDE

Fiscalité plus rude pour le diesel, pollution pointée du doigt par les experts climatiques : la fin des moteurs thermiques approche. Si la France a fait récemment marche arrière, alors qu’elle s’était engagée à interdire les véhicules thermiques en 2040, d’autres pays européens, comme l’Islande, la Norvège ou le Royaume-Uni, sont bien décidés à les interdire à la vente dès 2025. À Nantes, la métropole a pris les devants, en lançant un appel à innovation pour inciter les livreurs à passer au vert. À la clé pour les lauréats : des livraisons autorisées toute la journée, contre seulement le matin pour les autres.

En Loire-Atlantique et en Vendée, des alternatives au diesel et à l’essence sont déjà opérationnelles. Depuis quelques mois, le Conseil régional des Pays de la Loire s’active pour construire 1 000 bornes de recharge électrique d’ici deux ans. Dans le même temps, AS24, la filiale de Total basée à Saint-Herblain (2,85 Mds € de CA, 89 salariés), est en train d’implanter 110 stations de gaz en France, plus de 350 en Europe. Elle fournira du gaz naturel comprimé, principalement importé de Russie ou de Norvège et acheminé depuis le terminal de Montoir-de-Bretagne. Et à Mortagne-sur-Sèvre, en Vendée, dix agriculteurs se sont lancés dans la production de carburant renouvelable et local.

Des revenus agricoles en hausse de 20 %

Sur l’une des voies de circulation les plus importantes de la commune, juste en face l’usine agroalimentaire La Boulangère, une petite station-service affiche un carburant à 0,99 €. « Bio GNV, producteur et distributeur de gaz vert », lit-on sur un panneau à l’entrée. Derrière elle, à quelques centaines de mètres, quatre exploitations de bovins, cochons et canards, s’étendent sur 650 hectares. C’est la propriété de dix agriculteurs. En 2014, ils se sont associés pour créer une unité de méthanisation, gérée par la société Agribiométhane. Avec leurs fumiers et leurs lisiers, ils produisent du biogaz, qu’ils revendent au réseau public.

« Grâce à cela, nos revenus ont augmenté d’environ 20 % », précise Damien Roy, agriculteur et président d’Agribiométhane, qui réalise également 20 000 € d’économies par an en épandage. « Auparavant, nous devions épandre le fumier et le lisier sur nos parcelles. Aujourd’hui, le méthaniseur traite ces déchets, il les transforme en digestat et paye son épandage. Cette substance n’a plus d’odeur et elle a en plus une forte valeur fertilisante. » Résultat : les éleveurs font des économies d’engrais et améliorent leurs relations de voisinage. Pour ceux qui souffraient des fortes baisses du prix du lait, l’unité de méthanisation donne une bouffée d’air.

« Nous pouvons être distributeurs de carburant et aller au bout de la filière. Ne laissons pas cette valeur ajoutée aux pétroliers. »

Mais Damien Roy voulait aller encore plus loin. « Nous sommes producteurs, nous pouvons être distributeurs de carburant et aller au bout de la filière. Ne laissons pas cette valeur ajoutée aux pétroliers », rabâche l’agriculteur, à la tenue soignée et au discours rodé. En 2017, il se lance donc dans une nouvelle aventure. Avec ses associés, il crée Agribiométhane Carburant, une filiale de leur première société. Ensemble, ils investissent 960 000 € dans une station-service qui leur permet de sécuriser le modèle et de lui donner du sens. Vendée Énergie, producteur d’énergie renouvelable, achète 10 % des parts. L’Europe, la Région Pays de la Loire et la communauté de communes les aident à hauteur de 200 000 €.

Avec tous ces arguments, Damien Roy incite ses pairs à franchir le pas. « Pour quelqu’un qui a déjà créé une unité de méthanisation, faire une station-service à proximité est beaucoup plus facile. Il faut simplement être à proximité d’une voie de circulation ou d’industries agroalimentaires. » Et le projet semble rentable. La station-service de Mortagne-sur-Sèvre n’a qu’un an et demi, mais elle est déjà quasiment à l’équilibre.

80 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins

Car l’idée de rouler avec des déchets agricoles, en circuit court, séduit. Grâce à ce biogaz naturel pour véhicules (BioGNV), les émissions de gaz à effet de serre diminuent de 80 % et quasiment aucune particule fine n’est rejetée. À Mortagne-sur-Sèvre, 14 camions de transporteurs et 12 véhicules légers viennent s’approvisionner en BioGNV.

Agribiométhane Carburant fournit 25 000 kg de gaz par mois et vise les 30 000 kg pour dégager du bénéfice. Mais l’ambition de Damien Roy est aussi et surtout de voir son modèle se dupliquer. Le chef d’entreprise accompagne donc les agriculteurs qui souhaitent créer des stations de biogaz et leur cède sa marque « AgriCarbur ». Une nouvelle station devrait bientôt voir le jour à Saumur (Maine-et-Loire) et une troisième sera inaugurée dans le nord de la France d’ici à quelques mois. L’idée : récupérer un petit pourcentage du chiffre d'affaires de ces stations, afin de communiquer plus efficacement grâce à une seule marque, sur tout le territoire.

Le grand flou sur l'origine du gaz

Le label « Agricarbur » se veut être un gage de qualité. Il atteste que le BioGNV provient en majorité d’une unité de méthanisation agricole, située à proximité, et qu’il est en grande partie bio. Même si, dans les faits, c'est invérifiable.

Faute de pouvoir injecter directement du biométhane dans la station, le gaz produit par Agribiométhane est d'abord vendu au réseau public. Agribiométhane Carburant rachète ensuite la quantité de gaz nécessaire au fonctionnement de sa station. Le biométhane effectue donc un va-et-vient dans les tuyaux situés à proximité de la société. Pour Damien Roy, le gaz qu'il revend comme carburant est donc en grande partie issu de son méthaniseur.

Toutes les stations-services s'alimentent en gaz, via le réseau public. Dans ces tuyaux, le biométhane est mélangé au gaz classique, importé de Norvège ou de Russie. Ce dernier est une énergie fossile, qui ne limite les émissions de gaz à effet de serre que de 10 à 20 %. Aujourd’hui, on estime que le biométhane représente à peu près 10 % du gaz circulant dans le réseau public. Quand les stations-service vendent du gaz naturel pour véhicules (GNV) ainsi que du BioGNV via deux tuyaux distincts, il s’agit finalement du même gaz. Pour autant, acheter du BioGNV permet de rémunérer les unités de méthanisation, et donc de soutenir la filière.

Huit stations-service d’ici à 2025

En Vendée, le producteur local d’énergie renouvelable co-investit directement dans les unités de méthanisation pour développer la production de biogaz. Vendée Énergie devrait d’ailleurs déployer huit stations-service, d’ici à 2025. Des sites qui vendent du GNV et du BioGNV. Une autre station existe déjà à La Chaize-le-Vicomte et une troisième sera inaugurée en juin aux Essarts. Fontenay-le-Comte, Challans, La Mothe-Achard, Montaigu et La Roche-sur-Yon devraient suivre.

Au total, Vendée Énergie va investir près de 12 M€, soit environ 1,5 M€ par station. « Mais il faut que les transporteurs nous suivent », insiste Olivier Loizeau, directeur général de Vendée Énergie. Car pour rentabiliser une station de gaz, 25 à 30 camions doivent venir faire le plein chaque jour. La station de La Chaize-le-Vicomte n’en compte pour l’instant que 10.

Pour aider les transporteurs vendéens à franchir le pas, Vendée Energie, lauréat d'un appel à projets de l’Ademe, octroie donc 1,4 M€ de subventions. Ainsi, un transporteur peut économiser jusqu’à 10 000 € pour changer de véhicule. Car un camion qui roule au gaz coûte en moyenne 30 000 € de plus qu’un poids lourd diesel.

Onze unités de méthanisation en projet

En matière de transition énergétique, le département vendéen est définitivement précurseur. Quatre unités de méthanisation sont en service sur le territoire et sept projets sont en attente. La Loire-Atlantique ne compte pas encore de méthaniseur, mais quatre unités pourraient bientôt voir le jour. Au niveau national, on en compte 76.

Mais les principaux acteurs de la filière s’inquiètent. Encore une fois, la France est trop frileuse. Elle vient de fixer un objectif de 10 % de biométhane dans le réseau public à l’horizon 2028. Or, ce seuil est déjà quasiment dépassé. « Cela risque de freiner la filière et les projets d’unités de méthanisation ne se concrétiseront peut-être pas », regrette Amaury Mazon, délégué territorial de GRTgaz. Pourtant, selon l’Ademe, nous serions capables, à l’horizon 2050, de répondre à la totalité de nos besoins en gaz grâce aux énergies renouvelables. Nous ne sommes donc pas condamnés à importer du gaz fossile.

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