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La Normandie se voit en leader du recyclage du plastique
Enquête Normandie # Plasturgie # Attractivité

La Normandie se voit en leader du recyclage du plastique

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La plasturgie entame sa mue avec le développement du recyclage de ses matériaux. Un mouvement qui s’installe durablement en Normandie avec l’arrivée d’industriels comme l’américain Eastman à Port-Jérôme-sur-Seine, en Seine-Maritime, et le belge Futerro avec son projet de bioraffinerie, ou encore le français Skytech qui a choisi d’installer son siège social dans l’Eure au Val d’Hazey. Des entreprises qui s’implantent pour bénéficier d’un écosystème déjà performant en matière de recyclage.

Le site de Port-Jérôme-sur-Seine offre une proximité d’approvisionnement en déchets de polyester pour alimenter la future usine de recyclage plastique de l’américain Eastman — Photo : Gérard - CC BY-SA 4.0

Plus de 850 millions d’euros, c’est le montant pharaonique que l’américain Eastman (14 000 collaborateurs dans le monde, 10,5 Md$ de CA en 2021), basée à Kingsport dans le Tennessee, va investir pour installer une usine de recyclage de plastique à Port-Jérôme-sur-Seine, en Seine-Maritime. Avec à la clé la création de 350 emplois et jusqu’à 1 500 autres indirects dans les secteurs du recyclage, de l’énergie et des infrastructures. Le projet, qui doit devenir la plus grande usine au monde de recyclage du plastique, devrait permettre de recycler environ 160 000 tonnes de déchets polyester difficilement recyclables (comme le polyéthylène téréphtalate dit PET ou les textiles colorés ou dégradés) par an. C’est l’un des plus importants investissements étrangers en France de ces trente dernières années. Selon la Région Normandie, qui a dirigé les tractations avec les Américains via son agence de développement (ADN), la venue de l’entreprise américaine résulte de la qualité du tissu industriel régional et d’une situation géographique enviable : "Ce résultat a été obtenu dans un contexte de très forte concurrence avec d’autres régions françaises, notamment celle du Grand Est. La Normandie et le site de Port-Jérôme-sur-Seine offrent ainsi une proximité d’approvisionnement en déchets de polyester pour la matière première, l’espace requis pour une installation de cette envergure, l’infrastructure nécessaire pour de larges opérations mais aussi une qualité d’accompagnement et une implication dans le projet. Et c’est ce qui a fait la différence, pas l’argent. Avec aussi la capacité à mettre en place des solutions qui facilitent la vie des arrivants sur le territoire. Pour cela, il faut des relations interpersonnelles au plus haut niveau, aller les voir sur place, trouver des réponses et mettre de l’humain au centre des débats. Et ils viennent chez nous car ils veulent être proches des marchés", souligne Alexandre Wahl, directeur de l’ADN.

Un terreau favorable

Skytech a breveté un procédé innovant permettant de séparer toute une gamme de polymères durs et complexes présents dans de nombreux objets du quotidien — Photo : Sébastien Colle

Et pour faire venir ces grands industriels, la Normandie peut compter sur toute une filière structurée de l’amont à l’aval, une des rares régions où sont produites des matières plastiques, notamment par des entreprises pétrolières comme Total et ExxonMobil, implantés sur le site de Port-Jérôme. La Vallée de la Seine compte ainsi de nombreux acteurs de la plasturgie, dont 200 transformateurs, essentiellement concentrés en Seine-Maritime et dans l’Eure, mais aussi des entreprises spécialisées dans les plastiques composites dans la Manche, pour un total de 10 800 emplois en région, et 70 % d’entreprises de moins de 50 salariés. Le reste étant composé de 20 % d’entreprises de 50 à 250 salariés et 10 % d’ETI. "Si Eastman vient s’installer en Europe, et particulièrement chez nous en Normandie, c’est parce que la filière de recyclage est au point. Ils ont vu que tout était en place à Port-Jérôme, avec un accès à la Seine pour amener les plastiques déjà utilisés et refaire du PET neuf", se félicite Pierre-Jean Leduc, patron du plasturgiste Demgy à Saint-Aubin-sur-Gaillon dans l’Eure (660 salariés ; 74 M€ de CA) et président de Polyvia Formation, centre de formation aux métiers de la plasturgie (dont l’établissement le plus important se situe à Alençon). Et c’est bien le "caractère industriel de la Normandie" qui a permis à de nombreux acteurs de la plasturgie de s’installer en région, notamment pour les secteurs de l’automobile avec l’équipementier Plastic Omnium à Vernon (spécialiste des pare-chocs de voitures ; 200 salariés) et de l’électroménager, avec Seb, également installé à Vernon, pour la fabrication de leurs grosses pièces d’aspirateurs. Comme aussi l’usine d’Arkema à Serquigny dans l’Eure, spécialisée dans la fabrication de polymères, et produit les Rilsan® et Rilsamid® qui servent notamment au revêtement d’objets métalliques et à la fabrication de pièces pour l’impression 3D. Une grande partie de la production de l’usine est biosourcée, c’est-à-dire fabriquée à partir de matériaux d’origine végétale. Toujours dans l’Eure, au Vaudreuil, dans le secteur de la pharmacie, Aptar (1 200 salariés ; 300 M€ de CA) fabrique des pompes pour les domaines de la santé et de la cosmétique, capables de pulvériser une dose de parfum ou une molécule de façon précise, et livre ses équipements à Sanofi et Pasteur, notamment. Dans l’Orne à Flers, le groupe Lemoine (900 salariés ; 140 M€ de CA), spécialisé dans la fabrication de produits de soin et d’hygiène à base de coton, dispose de son propre atelier de plasturgie pour réaliser ses boîtes. "Injection, thermoformage, extrusion, on retrouve ces activités dans beaucoup de secteurs d’activité où sont installés les transformateurs normands. La plasturgie s’est taillé une place historique en Normandie, grâce à l’installation de longue date de nombreux industriels comme Moulinex qui a permis de développer tout un écosystème autour de la fabrication de moules, d’Alençon à Bayeux, en passant par Caen et Falaise. Si on creuse, on trouve des transformateurs dans tous les secteurs en Normandie", s’enthousiasme Pierre-Jean Leduc. Un écosystème qui permet donc d’afficher toute la chaîne de valeur de la plasturgie, des équipementiers aux usines de fabricants de produits finis. Seul regret pour le patron de Demgy : "Il nous manque les sièges sociaux".

Le recyclage, avenir de la plasturgie

C’est ce terreau fertile qui permet l’implantation de nouvelles entreprises sur le territoire normand, notamment autour du recyclage des matières plastiques. Si des entreprises comme Paprec et Veolia sont déjà présentes, de nouvelles viennent s’installer pour profiter des atouts normands, à l’image du français Skytech (4 M€ de CA en 2021), producteur de plastiques recyclés, qui a choisi d’installer son siège social dans l’Eure au Val d’Hazey. Face à une demande en forte augmentation sur le marché des plastiques recyclés, l’industriel souhaite multiplier par cinq une production qui ne pouvait pas dépasser les 10 000 tonnes sur son précédent site historique de Bonnières-sur-Seine, dans les Yvelines. Avec un investissement de 17 millions d’euros, la PME ambitionne de produire plus de 50 000 tonnes de plastiques recyclés par an dès 2024. Après avoir étudié plusieurs possibilités, les dirigeants de la PME ont rapidement porté leur choix sur l’ancien site industriel du fabricant de câbles Dakra Praticable, fermé en 2014. Un terrain de 42 000 m2 situé au Val d’Hazey et qui offre à Skytech de grands hangars pour installer ses longues lignes de productions et ses larges zones de stockage. Demande des consommateurs et du législateur pour intégrer davantage de matières recyclées dans les produits, hausse du prix des matières premières vierges avec les crises géopolitiques… Les conditions du développement de l’activité de Skytech semblent réunies pour Christophe Lamboeuf, directeur général de Skytech : "Nous avons pleinement confiance en l’avenir et dans le développement de notre activité. Nous sommes dans un environnement dynamique favorable, avec une prise de conscience pour une consommation plus responsable". Un environnement qui bénéficie aussi d’un début de régulation au niveau législatif avec la mise en place en 2022 de la loi anti-gaspillage et économie circulaire (Agec) : "Et nous attendons une réglementation européenne pour demander aux industriels d’incorporer au moins 30 % de plastiques recyclés dans leur production. Un objectif anticipé par les industriels de l’emballage qui sont déjà dans cette démarche d’au moins 30 % de plastiques recyclés", appuie le directeur général de Skytech.

Réduire l’empreinte carbone

La réduction de l’empreinte carbone est au cœur du développement de l’activité de recyclage du secteur de la plasturgie — Photo : DR

La réduction de l’empreinte carbone est au cœur du développement de l’activité de recyclage du secteur de la plasturgie. Une dynamique poursuivie par Futerro (chiffre d’affaires et effectif non communiqués), spécialiste belge de la fabrication de bioplastique (à partir de matières premières végétales et non fossiles), qui souhaite installer une bioraffinerie dans la zone industrielle et portuaire de Port-Jérôme, en Seine-Maritime. L’entreprise devrait, à terme, assurer une production annuelle de 75 000 tonnes. Le projet prévoit la création de 250 emplois directs et de 900 emplois indirects. Et si l’industriel reconnaît que la disponibilité d’un grand site industriel "avec la possibilité d’augmenter la capacité de production", a fait partie de ses principaux critères de choix, il met aussi en avant la présence de matières premières agricoles, l’accès à la voie navigable et "les multiples possibilités logistiques offertes par le terminal Radicatel et le port du Havre", ainsi que les compétences techniques dans les secteurs de la chimie et des polymères présentes sur le territoire, souligne Frédéric Van Gansberghe, directeur général de Futerro. Nouveau biopolymère, le PLA est biosourcé et ne fait pas appel à des ressources fossiles. Il est moléculairement recyclable à l’infini "sans altération de sa qualité", précise la direction de Futerro. De plus, ses propriétés mécaniques peuvent remplacer de nombreux pétroplastiques. La direction de Futerro promet aussi que son projet sera conforme aux meilleurs standards de l’économie circulaire : "valorisant tous les sous-produits dans divers secteurs tels que l’énergie verte, l’agriculture ou l’alimentation animale et humaine, et optimisant ainsi la productivité de l’infrastructure". Une solution nouvelle pour réduire l’empreinte carbone du recyclage plastique issu du pétrole et la possibilité d’une production plastique Bio 100 % recyclable plébiscité par le directeur de l’ADN, Alexandre Wahl, qui y voit une nouvelle voie de développement régional : "La Normandie à la capacité de conserver son système industriel historique, avec un PIB fort et une main-d’œuvre importante et qualifiée, mais aussi d’ouvrir un nouveau chemin de développement économique avec de nouveaux modèles de développements durables. L’idée étant de concilier durable et industrie. C’est un vrai choix régional, avec la mise en place d’un écosystème. Ainsi, un centre certificateur va s’installer prochainement en Normandie, afin de permettre à notre territoire de devenir une référence en matière de plasturgie recyclable."

Normandie # Plasturgie # Attractivité # RSE