Nouvelle-Aquitaine
La filière surf prend la vague de l'éco-responsabilité
Enquête Nouvelle-Aquitaine # Industrie # International

La filière surf prend la vague de l'éco-responsabilité

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Forte en Nouvelle-Aquitaine, la filière surf veut tirer son épingle du jeu pour faire progresser une écoresponsabilité dans l’air du temps. Des start-up innovantes émergent, des marques historiques se réinventent et chacun mise sur ses engagements pour se différencier d’une concurrence à l’appétit féroce.

La filière surf représente un chiffre d'affaires cumulé de 1,9 milliard d'euros en Nouvelle-Aquitaine — Photo : Domenic Mosqueira

Contre-culture et respect de la nature. Derrière cette image idéale arrivée sur la côte atlantique dans les années soixante, le surf reste avant tout une industrie très mondialisée, qui pèse de plus en plus lourd en raison de la hausse continue du nombre de pratiquants. En France, elle est particulièrement implantée sur le littoral aquitain.
L’association Eurosima, qui fédère depuis Hossegor (Landes) les entreprises de la filière des sports de glisse en Europe, en est l’un des piliers. Elle rassemble 167 adhérents (dont 104 fabricants et distributeurs) représentant un chiffre d’affaires cumulé de 1,9 milliard d’euros, plus de 4 000 emplois et au moins 400 entreprises. "La filière régionale a connu une croissance moyenne de 15 % sur 2021 et même un peu plus en 2022. La demande a explosé à la réouverture des plages après le Covid", assure Jean-Louis Rodrigues, président de l’association.

La région héberge aussi le siège européen des poids lourds du secteur : Rip Curl (54 M€ de CA en Europe en 2022) à Hossegor, racheté en 2019 par KMD Brands (Kathmandu), et surtout le géant Boardriders (Quiksilver, Roxy, Billabong, Element…) employant près de 600 personnes à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), dont on apprenait fin avril le futur rachat, prévu au troisième trimestre, par Authentic Brand Group (22 milliards de dollars de CA en 2021), via le fonds d’investissement américain Oaktree Capital Management.

Une innovation qui se structure

Au-delà de ces marques historiques, la filière régionale reste majoritairement composée de TPE (à 80 % selon Eurosima), tentant de tirer leur épingle du jeu, notamment en développant des innovations qui, derrière l’image d’un sport d’amoureux de la nature, viennent bousculer les enjeux environnementaux du secteur. Si Rip Curl s’est récemment félicité d’avoir obtenu la labellisation B Corp et que la filière REP (responsabilité élargie des producteurs) "articles de sport et de loisirs" pousse vers la collecte et le réemploi des articles en fin de vie, le caractère écoresponsable du secteur passe aussi par "l’émergence et l’accompagnement des projets d’éco-innovation et de R & D", portés par Eurosima.

L’association coordonne le développement de plusieurs pépinières ou zones d’activités dédiées : Pédebert à Hossegor (Landes), l’incubateur-pépinière Olatu-Leku à Anglet (Pyrénées-Atlantiques) ou, bientôt, une nouvelle zone de 11 hectares dédiée "à la glisse écoresponsable", Garriga Est, à Lacanau (Gironde). Pour ce projet canaulais, "l’investissement devrait avoisiner les 50 millions d’euros", révèle Jean-Louis Rodrigues. "C’est une ville qui héberge beaucoup de structures de loisirs liées au surf, assez peu d’industriels. Nous voulons changer ça", poursuit Rémy Belloc, chargé de développement économique au sein de la communauté des communes Médoc Atlantique, qui co-pilote le projet en cours d’étude et pas prévu avant fin 2025.

Chimie du surf

Chaque année, Eurosima décerne aussi un "prix de l’innovation" à des start-up naissantes, octroyant une subvention de 2 500 euros et de l’aide au réseautage.

Polyola (trois personnes, environ 200 000 euros de CA en 2022), qui a obtenu le prix en 2021, est singulière à plus d’un titre. Fondée en 2020 et basée à Anglet, elle a créé, à l’aide de partenaires industriels, une mousse en polyuréthane contenant notamment du polyol recyclé provenant d’industriels de l’emballage. Vendu aux ateliers de fabrication de planches et aux usines, le polyuréthane de Polyola "peut être solidifié et reliquidifié à l’infini", souligne Daniel Guntschnig, co-fondateur. Polyola s’engage aussi à collecter le plus de chutes de mousse possible pour les réutiliser dans la fabrication de nouveaux pains de mousse (en Espagne). Polyola est en négociation pour dupliquer son modèle européen aux États-Unis d’ici à fin 2023. La start-up travaille en parallèle à un nouveau matériau : la résine, là encore à base de polyester biosourcé (à 70 %). Elle ambitionne d’adresser d’autres industries comme le nautisme, l’automobile ou le textile.

Polyola prévoit de développer son activité de planches de surf éco-conçues aux Etats-Unis d'ici la fin de l'année 2023 — Photo : Polyola

Matériaux alternatifs

Toujours à Anglet, la société Green Wave (6 salariés, moins de 500 000 euros de CA) développe depuis 2009 sous la marque Notox, des planches de surf écologiques, après le constat partagé du "mauvais équipement des fabricants de planche, en décalage avec l’image d’une industrie proche de la nature", raconte Axel Bouzonnie, chargé de la stratégie numérique de la marque. Pour fabriquer la partie revêtement de ses planches et remplacer la fibre de verre, l’atelier, qui fabrique 200 à 300 planches par an, a travaillé sur plusieurs matériaux au fil d’années de recherche : de la fibre de lin, du liège landais et même… du carbone upcyclé issus des rebuts d’Airbus dans la fabrication de l’A380.

Pour la résine époxy, Notox s’est associé à Sicomin Composite (Finistère) qui fabrique une résine "végétale à 56 %, un compromis entre l’écologie et la durabilité". La production des planches, sur demande, se veut moins polluante. "La fabrication d’une planche de trois kilos génère le double de son poids en déchet", résume le porte-parole de Notox, qui annonce réduire de cinq kg cette production de déchets par planche produite. Transparent sur la provenance de ses matériaux, Notox indique "rester artisanal. Nous ne sommes pas un acteur majeur en volume de production par rapport à d’autres majors, mais nous faisons notre possible à notre échelle. De nouveaux petits fabricants émergent, mais ça reste un marché de niche qui va nécessiter du temps. C’est un changement générationnel", termine Axel Bouzonnie. Les fondateurs de Green Wave réfléchissent déjà à la suite, notamment à une forme de "nutri-score" applicable à la fabrication de planches.

Pétrole et coquilles d’huîtres

De son côté, la marque de combinaisons et de vêtements rochelaise Soöruz (25 salariés, 3, 6 M€ de CA en 2021), née en 1999, cherche une alternative au néoprène, ce matériau pétrosourcé très majoritairement utilisé pour produire des combinaisons de surf. Sa dernière innovation en date, se nomme l’oysterprene, un matériau en partie biosourcé à base de poudre de coquilles d’huîtres, disponible sur la quasi-totalité de sa gamme de combinaisons, sur la partie mousse (environ 20 % de la tenue complète). Le sourcing des huîtres, tout comme la fabrication des tenues, se fait en Asie avec des partenaires industriels. En ouvrant l’oysterprene à d’autres marques, comme Quiksilver ou O’Neill, Soöruz espère démocratiser son utilisation. En revanche, difficile, à l'entendre, de fabriquer de l’oysterprene ailleurs qu’en Asie. "La fabrication nécessite un savoir-faire qui n’existe pas en Europe. C’est aussi une question de prix, puisque nous distribuons à des revendeurs, ceux-ci doivent maintenir une marge". Pour autant, Soöruz tente d’avancer sur la voie de l’écoresponsabilité, à son rythme : elle a relocalisé la fabrication de sa gamme de vêtements au Portugal. "Chaque saison, nous arrivons à trouver de nouvelles usines là-bas pour rapatrier la production. Nous venons de le faire pour le lycra, les t-shirts en polyester et les chemises", assure Antoine Fouliot. "Nous avons la volonté de maîtriser de plus en plus la production en interne. On travaille avec nos usines au Portugal pour fabriquer des petites pièces en néoprène, c’est un début."

A l'exception d'un modèle, la totalité des combinaisons Soöruz contiennent de l'oysterprene, fabriqué à partir de poudre de coquilles d'huîtres — Photo : Soöruz

La société GEMM, maison mère de la marque, a aussi mis en place 2nd Life, une filière de recyclage des combinaisons en fin de vie. Le néoprène récupéré est broyé dans un Esat (Établissement et service d’aide par le travail, qui fait appel à des travailleurs handicapés) de La Rochelle (Charente-Maritime), pour fabriquer du rembourrage de coussin ou de sacs de frappe. "Notre pôle R & D travaille aussi sur de nouveaux matériaux, comme des tapis de yoga ou des dalles de salles de jeux pour enfants", poursuit le porte-parole. 117 points de collecte sont déjà installés, essentiellement en France mais aussi en Allemagne (18) et en Espagne (6), pour recycler plus de 20 000 combinaisons par an. "L’objectif est que le système soit rentable au-delà de Soöruz, et le rêve est de pouvoir recycler autant de combinaisons que nous en mettons sur le marché."

Reconquête et coton bio

La relocalisation, voilà un enjeu que les deux repreneurs de la marque girondine de vêtements de surf Oxbow (100 salariés, 30 M€ de CA en 2022), connaissent bien. En rachetant la marque au groupe suisse-allemand Calida en 2020, Emmanuel Debruères et Jean-Christophe Chétail, passés tous les deux par l’entreprise Billabong, ont entamé un vaste chantier pour orienter la marque, qui vend 70 % de ses produits en distribution (via Sport 2000, Intersport ou les Galeries Lafayette), vers un processus de fabrication plus respectueux de l’environnement. Pour réduire les 25 000 tonnes de CO2 annuelles de son bilan carbone, pour l’essentiel imputable à la culture du coton et à la fabrication des vêtements, elle agit sur plusieurs fronts. D’abord sur la fabrication, essentiellement réalisée en Inde, au Bangladesh et en Chine. "Nous avons transvasé 10 à 15 % de la production au Portugal et en France où nous faisons aussi fabriquer la matière première, faisons faire le découpage, l’assemblage et l’impression. Il y a plein d’obstacles, notamment en France où la chaîne n’est pas encore assemblée et où la fabrication coûte beaucoup plus cher. Mais nous sommes une entreprise privée, aucun fonds d’investissement ne nous tord le bras", glisse le PDG. Oxbow fait ainsi appel à la manufacture Regain à Castres (Tarn) pour fabriquer ses pulls ou encore à l’atelier DSL Tex à Saint-Perdon (Landes) pour sa gamme vintage. Elle travaille aussi à la mise en place d’une filière de coton bio labellisé GOTS, qui garantit notamment des "procédés de production respectueux de l’environnement. En Asie, le réseau se développe, il y a beaucoup de demandes, mais il faut cinq ans pour labelliser une exploitation".

Emmanuel Debruères a repris Oxbow aux côtés de Jean-Christophe Chetail en 2020 — Photo : Romain Béteille

Focus durable

Oxbow, qui espère obtenir prochainement le fameux sésame B Corp, travaille à une feuille de route, prévue pour octobre, matérialisant son souhait de réduire de 12 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES). "Cinq personnes ont été embauchées pour travailler sur l’éco-responsabilité et la fabrication locale. Nous réduisons nos marges de plus de 500 000 euros par an, nous investissons 200 000 à 300 000 euros dans le marketing, les fabricants qui travaillent pour nous ont investi dans de nouvelles machines et formé des gens… Chaque année, nous réalisons entre un million et un million et demi d’euros d’efforts sur ce seul volet. C’est aussi parce que nous espérons consolider notre croissance". Oxbow, table sur un chiffre d’affaires de 37 millions d’euros en 2026, notamment grâce à un redéploiement à l’export, où la marque n’est "quasiment plus distribuée". Espagne, Angleterre, Suisse, Allemagne et Autriche sont les principaux pays visés.

Les mouvements du leader Boardriders n’ont pas échappé au PDG d’Oxbow. "Le secteur est soumis à de fortes turbulences, de grosses marques historiques souffrent. Elles sont entrées sous le radar des fonds d’investissement et tombées dans une logique financière court-termiste au détriment d’une logique de marque" termine Emmanuel Debruères. "Quand les plus gros souffrent, c’est tout le secteur qui suit parce qu’ils investissent moins dans le sport, les grands évènements ou les ambassadeurs. Cela dit, nous sommes le plus gros des plus petits, ce qui nous permet d’être agiles, et les jeunes marques nées autour de ce mouvement d’éco-responsabilité viennent dynamiser le secteur et son image auprès des consommateurs."

Nouvelle vague

De leur côté, les start-up locales multiplient les projets pour tenter de se démarquer. À Bordeaux, Nomads Surfing, certifié B Corp, mise aussi sur des planches et accessoires éco-conçus, met en valeur la seconde main et a déjà récolté 18 000 euros depuis 2018 en reversant 5 % de ses ventes en ligne à des associations de protection de l’océan. Pour faire grimper ce chiffre, l’entreprise a d’ailleurs récemment créé Nomads Ocean Care, un fonds de dotation pour financer des associations locales dans le même domaine. Entre les Landes et le Pays basque, Auguste Plestant a lancé en 2022 Ederrak, une marque de support de planches de surf en plastique recyclés provenant de collectes d’associations locales, de dons de collectivités ou d’industries (notamment pharmaceutique ou cosmétique). Son fondateur est en train de "tester le marché" et de développer ses points de vente.

La liste pourrait s’allonger encore, mais le constat reste le même pour le président de l’Eurosima, qui évoque "un renouveau dans une certaine continuité. Si la totalité du spectre de notre filière est consciente et engagée dans cette avancée, c’est aussi parce que le consommateur le veut. Il est important que nos terrains de jeu soient les plus propres possibles", termine-t-il. Un signe qui ne trompe pas : une fois son mandat renouvelé pour deux ans supplémentaires, Jean-Louis Rodrigues a désigné l’engagement environnemental des adhérents comme "la priorité des priorités". Plus qu’à surfer sur la "nouvelle" vague.

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