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La Fabrique : "Nous n’avons jamais hésité à tout remettre en question"
Interview Nord # Textile # Fusion-acquisition

Christèle Merter fondatrice et dirigeante de La Fabrique "Nous n’avons jamais hésité à tout remettre en question"

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Ingénieur de formation, Christèle Merter a fondé il y a dix ans la marque de prêt-à-porter responsable La Gentle Factory, en intrapreneuriat, au sein du groupe nordiste Happychic (Jules, Brice, Bizzbee). Après avoir racheté cette marque en 2019, créant ainsi l’entreprise La Fabrique, l’entrepreneuse démarre une nouvelle étape de cette aventure, avec la reprise de deux boutiques parisiennes de prêt-à-porter.

Christèle Merter, fondatrice et dirigeante de la Fabrique, une entreprise de prêt-à-porter responsable, basée à Roubaix, dans le Nord — Photo : La Fabrique

La Gentle Factory fête ses dix ans, dont cinq années en dehors du groupe de prêt-à-porter nordiste Happychic, où elle est née en intrapreneuriat. Qu’est-ce que cette prise d’indépendance a changé ?

Il y a eu une révision complète du business model sur les quatre premières années d’indépendance. La volonté était de construire une collection en dehors du fonctionnement classique du retail. Désormais, 70 % de notre vestiaire est intemporel, avec des pièces qui restent trois ans en collection et la promesse de ne pas avoir de rupture sur ces produits. Cette gamme est complétée par des collections capsule éphémères, lancées chaque mois. Ce parti pris change tout : un produit qui dure trois ans nécessite d’être bien réfléchi en amont. Pour la conception, nous sollicitons l’équipe et nous prenons en compte les retours des clients. Depuis cette saison, nous interrogeons également nos 120 revendeurs : six mois avant la mise en vente d’un vêtement intemporel, nous leur demandons s’ils misent dessus ou non. Si ce n’est pas le cas, nous stoppons son développement. Nous misons sur un écosystème qui s’auto-alimente et nous permet de ne pas lancer des produits qui ne seraient pas rentables pour l’entreprise. Par ailleurs, depuis la reprise de la Gentle Factory, je gère l’entreprise en "bon père de famille". C’est plus simple de dépenser dans le giron d’un groupe : quand on prend son indépendance, on se pose davantage de questions sur la rentabilité des investissements. D’ailleurs, la marque n’a jamais été rentable tant qu’elle était détenue par Happychic, alors qu’elle l’est devenue dès la première année d’indépendance…

Vous venez de reprendre deux boutiques à Paris, de la marque Adresse, alors que l’unique boutique lilloise de la Gentle Factory a été fermée en 2019. Pourquoi ce revirement ?

La boutique lilloise est née en 2017, quand la marque appartenait encore au groupe Happychic : c’était un laboratoire d’idées et de produits. Nous avons fermé ce magasin peu après la reprise, car il faisait du retail classique, ce qui n’était pas l’ADN de la Gentle Factory. De plus, l’emplacement n’était pas le bon et la boutique générait trop de frais fixes. Ce lieu nous a en revanche permis de discuter avec les clients et d’affiner notre projet au moment de la prise d’indépendance. Nous avons préféré miser sur le web et un réseau de 120 revendeurs, qui sont des concept-stores multimarques indépendants. Ces derniers souffrent toutefois du contexte économique compliqué, avec un trafic moindre lié à l’inflation, la hausse des loyers, des prix de l’énergie et le remboursement des PGE… Ces dix-huit derniers mois, 66 de nos revendeurs ont mis la clef sous la porte. Dans ce contexte, avoir deux boutiques de prêt-à-porter bien situées à Paris donne un nouveau souffle à notre réseau de distribution. Cela nous permet aussi de reprendre le contact direct avec les clients finaux. Ces deux boutiques tournent depuis le mois d’août et constituent la nouvelle grande étape de notre développement depuis la prise d’indépendance.

Comment avez-vous financé cette reprise ? Est-ce aux côtés de partenaires bancaires ?

En étant positionnée sur le marché du retail et de la mode, l’entreprise cumule tous les inconvénients du point de vue des banques. La reprise a été réalisée sur fonds propres dans un premier temps et nous finalisons une levée de fonds de 500 000 euros pour soutenir ce projet. Celle-ci a été réalisée auprès des actionnaires historiques, qui nous accompagnent depuis la reprise et sont des acteurs positionnés sur la vente en ligne, ainsi qu’auprès de quelques nouveaux actionnaires, positionnés cette fois sur la distribution physique. Tous sont des acteurs nordistes et je reste majoritaire au capital de l’entreprise. Cette levée de fonds ne sera toutefois pas suffisante pour accompagner notre développement, il y en aura sûrement une autre mais chaque chose en son temps…

Comment la marque Adresse va-t-elle évoluer ?

La marque Adresse est positionnée sur le vestiaire masculin, avec des produits techniques, proposant par exemple des coutures déperlantes. L’idée portée par cette marque est d’aller au bureau à vélo, sans avoir à se changer, grâce à des vêtements anti-pluie, anti-transpirant, etc. Les deux marques vont être conservées au sein de la Fabrique, avec l’accent sur le côté responsable pour la Gentle Factory (qui fait fabriquer en France, si possible localement, avec des matières naturelles, soit bio soit recyclées, NDLR) et l’accent sur les produits techniques pour Adresse. Les deux boutiques, rebaptisées La Factory, proposent les deux marques et nous voulons que chacune soit rapidement identifiable par les clients. Parmi les grands changements pour Adresse : nous allons rapatrier la fabrication, ce qui n’est pas simple sur des produits techniques. Si nous avons déjà identifié des solutions à Paris pour réaliser certains produits, d’autres vont être plus compliqués à rapatrier, le manteau technique notamment… Nous allons aussi travailler à concilier la performance technique des produits avec l’utilisation de substances propres. Enfin, nous voulons ouvrir le vestiaire féminin chez Adresse.

Quelles sont les perspectives de développement dans ce contexte compliqué ?

La Fabrique a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires d’1,6 million d’euros et, grâce à la reprise des deux boutiques, devrait atteindre en 2023 les 2,5 millions d’euros, avec 20 salariés. Le contexte reste toutefois compliqué et ce mois de septembre était moins bon que ceux des années précédentes. Nous réfléchissons à conquérir d’autres types de clients, via d’autres formats de revendeurs, mais il est trop tôt pour en parler. Aujourd’hui toutes les marques deviennent responsables et beaucoup ont les moyens de faire plus de bruits que nous. Nous devons donc conserver une longueur d’avance dans ce domaine, tout en créant la différence avec des actions innovantes. Nous recyclons par exemple nos chutes de production pour réaliser d’autres produits, comme un vase à partir de coton recyclé ou des montures de lunettes… Nous lançons aussi des services dans le but de fidéliser les clients, comme la mise à disposition gratuite de patrons - de nos tee-shirts pour l’instant - afin de répondre à la tendance du DIY, ainsi que la vente de chutes de tissus. Dans le cadre de la loi Agec (loi antigaspillage NDLR), nous avons été approchés par des marques pour du conseil sur la valorisation de leurs invendus. C’est un service que je n’avais pas anticipé. Enfin, parmi nos axes de développement figure l’international : nous envisageons de déployer nos produits dans des pays comme le Benelux et l’Allemagne, via notre site Internet et un réseau de revendeurs sur place.

Nord # Textile # Commerce # E-commerce # Fusion-acquisition # Levée de fonds # PME
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