Franck Grimaud (Valneva) : « La France a besoin de plus de capitaux-risqueurs »
Interview # Capital

Franck Grimaud directeur général de Valneva Franck Grimaud (Valneva) : « La France a besoin de plus de capitaux-risqueurs »

S'abonner

Il a levé plus de 100 millions d’euros depuis 1999. À la tête de la société de biotechnologies Valneva (siège social à Lyon, siège administratif à Nantes), Franck Grimaud estime qu’il est relativement aisé de trouver de l’argent en France. Sauf pour les sociétés en émergence, lorsque la prise de risque est maximale.

C’est pour réaliser de la R&D ou mener des opérations de croissance externe que Franck Grimaud, DG de Valneva, a levé plus de 100 millions d’euros en près de 20 ans — Photo : Valneva

Le Journal des Entreprises : Vous avez démarré l’aventure Valneva il y a un peu moins de 20 ans. Votre entreprise compte 450 salariés, est aujourd’hui cotée en bourse et réalise près de 110 M€ de chiffre d’affaires. Mais que faites-vous exactement ?

Franck Grimaud : J’ai effectivement créé Valneva en 1999 à Nantes. À l’époque, l’entreprise s’appelait Vivalis. En 2013, nous avons fusionné avec une société autrichienne pour nous appeler Valneva. Notre société est une biotech qui développe, produit et commercialise des vaccins.

Pour financer le développement de Valneva, vous avez eu recours à plusieurs levées fonds ?

F. G. : Depuis notre création, nous avons levé près de 100 millions d’euros. Nous avons réalisé une première levée de fonds au moment de la création via le groupe Grimaud. Ensuite, nous avons fait deux tours d’augmentation de capital auprès de capitaux-risqueurs en 2002 et 2004. Tours auxquels ont participé notamment Pays de Loire Développement et la Caisse des Dépôts et Consignations. Ensuite, nous avons fait l’introduction en bourse de l’entreprise en 2007 (64,8 % du capital de Valneva est aujourd’hui en bourse, NDLR) avec une levée de fonds d’une trentaine de millions d’euros.

En 2010, nous avons levé 20 millions d’euros supplémentaires, avant de refaire une nouvelle augmentation de capital, après la fusion en 2013, avec à la clé un tour de table de près de 30 millions d’euros. Et puis en 2015, nous avons procédé à une dernière augmentation de capital pour racheter un vaccin et des usines à Johnson & Johnson pour environ 30 millions. Et nous avons fait un dernier tour de table plus limité de 3,5 millions d’euros en décembre 2016.

À chaque fois ces levées de fonds correspondent à des nouveaux besoins de croissance ?

F. G. : Soit des besoins de croissance externe, soit des programmes de recherche et des études cliniques à financer. Dans notre domaine des biotechnologies, ce sont les deux raisons qui poussent à lever des fonds. Pour financer de la recherche ou des études cliniques, nous ne pouvons pas faire d’emprunt. C’est trop risqué. Nous avons donc fait appel à la bourse. Et pour les acquisitions, nous essayons chaque fois de faire un mixte entre augmentation de capital et emprunt.

« Quand on a une bonne technologie ou de bons produits, ce n’est pas trop difficile de trouver de l’argent. »

Maintenant, Valneva se trouve dans une situation différente de ces quinze dernières années. À partir de 2016, nous avons commencé à avoir un résultat d’exploitation positif, que nous avons confirmé en 2017, alors même que nous mettons plus de 25 % de nos revenus dans la R&D, principalement dans des essais cliniques. Mais l’activité aujourd’hui génère du cash. Depuis 2016, nous faisons partis des 3 à 4 % de biotechs en Europe et aux États-Unis qui ont une activité commerciale, des produits sur le marché et qui sont équilibrées.

Cela veut dire que si aujourd’hui vous deviez financer une nouvelle phase de croissance, vous ne seriez pas obligé d’aller lever de nouveaux fonds ?

F. G. : Tout dépend de l’investissement à réaliser. Mais, effectivement, nous sommes désormais dans une situation où nous pouvons solliciter des encours bancaires, et dans l’avenir nous essayerons de faire des financements le moins dilutif possible pour nos actionnaires car nous générons des revenus.

Finalement, dans le domaine des biotechs, les levées de fonds sont incontournables jusqu’à ce que l’entreprise commence à gagner de l’argent ?

F. G. : C’est tout à fait ça. Pour amener un médicament sur le marché, il faut en général investir 300 à 400 millions d’euros. Du coup, soit les biotechs cèdent ce médicament avant les essais cliniques très coûteux, soit elles font des partenariats pour partager les coûts, soit elles ont recours à des levées de fonds et notamment à la bourse pour amener le médicament sur le marché.

Avez-vous rencontré des difficultés pour lever des fonds ? Et, si oui, à quel moment ?

F. G. : Quand on a une bonne technologie ou de bons produits, ce n’est pas trop difficile de trouver de l’argent. C’est plus les conditions dans lesquelles se fait l’augmentation de capital qui sont plus ou moins dures. Si vous trouvez plus d’acheteurs que vous avez besoin d’argent, vous êtes en position de force pour fixer vos conditions d’entrée. Dans le cas contraire, ce sont les investisseurs qui ont la main et qui peuvent négocier un discount (rabais par rapport à un investissement direct sur le sous-jacent, NDLR). Ce qui ne fait pas toujours plaisir aux actionnaires déjà en place.

Le seul bémol que je mettrais sur le financement, c’est sur la phase initiale. Je trouve qu’il manque des capitaux-risqueurs prêts à mettre de l’argent en phase initiale, c’est-à-dire durant les deux à trois premières années, lorsque le risque est maximum et que l’on n’a pas encore beaucoup de données à présenter. Dans l’Ouest, nous avons relativement peu d’acteurs capables d’investir 2 à 3 millions d’euros dans ces phases. Or, si on veut que les sociétés en émergence parviennent à se développer, il faut que l’on ait un terreau d’investisseurs plus important.

« Les investisseurs étrangers sont intéressants car ils permettent d’entrer dans une logique de diversification. »

Ce trou dans la raquette est valable uniquement dans l’ouest de la France ?

F. G. : Non, c’est valable pour le reste de la France. Même s’il est vrai qu’il y a un petit peu plus d’acteurs et de capitaux-risqueurs dans les sciences de la vie dans la région lyonnaise. Après, dans d’autres secteurs, ce n’est pas pareil. La biotech est vraiment l’industrie qui demande le plus de capitaux en phase initiale. Quand vous êtes sur des activités où il n’y a pas d’essais cliniques, les montants demandés sont moins importants et les retours sur investissement plus rapides. Avec les biotechs, le risque technologique est très important et la mise sur le marché peut prendre deux ou trois ans dans le meilleur des cas et aller jusqu’à six ans.

Du coup, les entreprises françaises sont contraintes d’aller chercher des investisseurs à l’étranger ?

F. G. : Parfois, mais en général on parvient à trouver des investisseurs français. Cela prend un peu de temps, mais on y arrive. Les investisseurs étrangers, il vaut mieux aller les chercher quand vous avez besoin d’au moins 10 M€.

Pour quelles raisons ? Parce qu’on arrive dans des montants que les investisseurs français n’arrivent plus à financer ?

F. G. : Non, il existe des acteurs français, comme Rothschild ou Mérieux Développement, qui ont des fonds dédiés pour ce type d’investissement de 10, 20, 30 millions. Ce n’est pas le problème ! Les investisseurs étrangers sont intéressants car ils permettent d’entrer dans une logique de diversification.

C’est aussi une façon de donner une envergure internationale à son entreprise ?

F. G. : Ça aide un peu. Comme les investisseurs étrangers sont en général plutôt spécialisés, ils sont relativement bien connectés avec l’industrie en question et ils apportent leur réseau. Ce qui peut faciliter le développement à l’international. Cela étant, le développement à l’international se fait essentiellement via l’entreprise, les réseaux commerciaux qu’elle met en place, etc.

À titre personnel, à quel moment êtes-vous allés les chercher ces investisseurs étrangers ?

F. G. : Au moment de l’introduction en bourse. Avant, nos investisseurs étaient uniquement français. À partir de l’introduction, nous avons commencé à voir arriver des investisseurs européens. Les Américains sont arrivés un peu plus tard et, aujourd’hui, nous avons une répartition qui s’établit à 60 % d’investisseurs français, en comptant le groupe Grimaud, Bpifrance, les particuliers et les institutionnels, 30 % d’Européens et 10 % d’Américains.

Avec le recul, quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui souhaite lever des fonds ?

F. G. : De surtout s’entourer d’une équipe dirigeante qui sera capable de trouver des solutions quand les difficultés arriveront. En phase initiale, c’est la clé. Il faut avoir des personnes complémentaires autour de soi. Il faut aussi avoir une bonne technologie ou un bon produit et un bon business plan, mais la clé c’est quand même les hommes et les femmes qui portent le projet. On peut avoir une bonne technologie, mais si on n’a pas une équipe dirigeante derrière qui tient la route, c’est voué à l’échec.

« L’Europe devrait proposer des outils de subventions sur la recherche beaucoup plus simples comme c’est le cas aux États-Unis »

Comment voyez-vous l’émergence des nouvelles solutions de financement que sont le crowdfunding et la cryptomonnaie ?

F. G. : Dans notre secteur des biotechs, le crowdfunding n’est pas un sujet car les montants levés ne sont pas suffisants pour les investissements que l’on doit mettre en place. En revanche, pour des besoins de l’ordre de 100 000 euros à 1 M€, je trouve que c’est un excellent outil, complémentaire des autres solutions de financement. En ce qui concerne les cryptomonnaies, j’ai le sentiment que pour le moment c’est encore un peu le Far West et qu’il va falloir se méfier. Après, sans doute que les choses vont se clarifier, se baliser, mais est-ce que cela va jouer un grand rôle, dans l’avenir, dans l’univers des levées de fonds ? C’est assez difficile à dire.

Pensez-vous que la France est bien dotée en termes de financements publics ?

F. G. : Nous ne sommes pas si mal dotés en France. Bpifrance propose des avances remboursables et entre aussi au capital des entreprises. Nous avons aussi le crédit impôt recherche, qui est peut-être un petit moins intéressant qu’à l’étranger, mais qui est tout de même un outil indispensable pour les start-up. Tout confondu, ce n’est plutôt pas mal. Et puis Bpifrance s’est vraiment professionnalisée ces dernières années. Nous avons désormais à faire à des spécialistes qui comprennent les nouvelles technologies et les impératifs de nos secteurs.

Si je devais faire une critique, c’est plutôt au niveau de l’Europe. L’Union européenne a beaucoup encouragé les projets de R&D entre États via ses subventions. Le problème, c’est que ces programmes européens sont des usines à gaz. L’Europe devrait proposer des outils de subventions sur la recherche beaucoup plus simples, comme c’est le cas aux États-Unis. C’est bien de vouloir encourager les collaborations européennes dans le domaine de la recherche, mais à un moment donné, il y a toujours la question de la propriété intellectuelle des inventions qui se pose. Et cela devient ingérable !

Lyon Nantes # Capital