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FNTR Nord : "Les alternatives existantes ne sont jamais aussi efficaces que le gasoil"
Interview Lille # Transport # Conjoncture

Olivier Arrigault secrétaire général de la Fédération Nationale des Transports Routiers dans le Nord "Les alternatives existantes ne sont jamais aussi efficaces que le gasoil"

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Alors que la fin des moteurs thermiques est prévue en 2035 pour les véhicules légers, utilitaires compris, les poids lourds sont quant à eux concernés par l’objectif de neutralité carbone que l’Union européenne a fixé à l’horizon 2050. Il s’agit d’une ambition à très court terme pour le secteur des transports routiers, d’autant que l’électrification des poids lourds est loin d’être gagnée. Le point avec Olivier Arrigault, secrétaire général de la FNTR, dans le Nord.

Olivier Arrigault, secrétaire général de la FNTR dans le Nord — Photo : DR

Les poids lourds ne sont pas concernés par la fin des moteurs thermiques neufs en 2035, contrairement aux véhicules utilitaires légers. Qu’en est-il de leur électrification ?

L’électrification des véhicules lourds, c’est-à-dire pesant plus de 3,5 tonnes, est bel et bien un sujet, en raison de l’évolution des réglementations et des calendriers annoncés. L’Union européenne s’est engagée sur un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, or seul l’électrique permettrait d’y parvenir. Mais cela représente une perspective à court terme pour notre secteur d’activité. Il ne faut pas oublier qu’il y a quelques années encore, notre seule énergie était le gasoil. Les calendriers, il faut en avoir, mais c’est bien aussi de savoir les faire bouger… Il est vrai que les constructeurs de poids lourds ne présentent plus que de l’électrique sur les salons, mais il est toujours possible d’acheter du diesel…

Comment décarboner le secteur des transports sans l’électrique ?

La transition écologique a commencé dans le secteur des transports bien avant que l’électrification ne soit un sujet. Dès 2009, après le Grenelle de l’Environnement, les entreprises de notre secteur ont travaillé des points comme l’écoconduite, l’amélioration de l’aérodynamisme des camions, etc. Les entreprises se sont fortement engagées dans cette voie car ces différentes mesures leur ont permis de réduire leur consommation de gasoil et donc de faire des économies. En 2009, nos véhicules lourds consommaient en moyenne 35 à 40 litres au cent et sont passés depuis à 25 litres au cent. Cette baisse est à attribuer à la fois aux comportements et à l’apport technologique.

Est-il possible d’aller plus loin avec ces solutions ?

Non, car nous sommes arrivés sur un palier technologique. Preuve en est : cela fait quinze ans que les constructeurs de poids lourds sont positionnés sur la norme Euro 6 et nous constatons qu’ils ont du mal à passer à la norme Euro 7 (un dispositif réglementaire qui vise à limiter les rejets polluants des véhicules neufs, véhicules lourds compris NDLR). Dès 2012-2013, d’autres solutions sont arrivées, telles que de nouvelles motorisations ou l’introduction du gaz dans les flottes de véhicules. Cela a permis une réduction supplémentaire des gaz à effet de serre, de l’ordre de 10 à 20 %. Certains pays sont très avance sur le sujet, comme l’Italie et les Pays Bas. Le gaz démarrait bien en France mais en 2022, la crise énergétique en lien avec le conflit entre l’Ukraine et la Russie a mis un sérieux coup de frein. Nous avons fait face à une forte hausse du prix du gaz, avec des pics allant parfois jusqu’à 400 %, qu’il n’était pas possible de répercuter d’autant dans nos prix…

À ce jour, quelle est donc la meilleure solution pour décarboner le transport routier ?

Le secteur mise sur des carburants alternatifs, qui répondent le mieux aux attentes et aux besoins actuels des entreprises de transport. Il s’agit du B100 (carburant réalisé à partir d’huile de colza NDLR), ou du XTL, fait à partir d’huiles ou de graisses usagées. L’avantage, c’est qu’il est possible de les utiliser dans n’importe quel véhicule, sans avoir à changer de motorisation et donc sans renouveler la flotte. Ces carburants coûtent un peu plus cher aux transporteurs que le gasoil, car leur rendement est moins efficace, mais ils permettent des réductions de l’ordre de 60 à 90 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Un de leurs inconvénients, jusqu’à récemment, était qu’il fallait prévoir un approvisionnement privatif, avec l’acquisition d’une citerne, ce qui ne répond pas aux besoins d’exploitation de toutes les entreprises. Mais depuis peu, ces carburants commencent à être déployés dans des réseaux de stations-service pour les poids lourds. Ces carburants connaissent un fort développement, mais les alternatives dont nous disposons ne sont jamais aussi efficaces que le gasoil.

C’est donc ces carburants alternatifs qui risquent de l’emporter à l’horizon 2050 ?

Aucune technologie ni aucun carburant ne vont remplacer le gasoil à l’identique, c’est-à-dire en apportant une réponse similaire aux besoins des transporteurs. Le frein, ces prochaines années, ce sera d’ailleurs de ne pas avoir une seule technologie dans notre secteur. Les entreprises de transport vont devoir opter pour les technologies qui répondent le mieux à leur activité et aux objectifs de décarbonation. Il y aura un mixte à l’horizon 2040-2050 entre le gasoil, le B100 et le XTL, le gaz, l’électrique et peut-être l’hydrogène. Ce n’est pas une volonté de conserver un modèle existant, mais de prendre en compte les réalités des entreprises.

L’électrique est surtout une réponse pour les véhicules utilitaires légers ?

Dans le cas du véhicule utilitaire léger, il y a moins de freins que dans celui d’un véhicule lourd sur le passage à l’électrique. Par exemple, il n’y a pas assez de bornes de recharge pour les poids lourds, qui ne peuvent pas utiliser les bornes dédiées aux véhicules légers, contrairement à un petit utilitaire. Mais il subsiste aussi des freins pour ces utilitaires légers, notamment sur les prix. Un véhicule utilitaire électrique affiche un prix net supérieur à un équivalent diesel. C’est donc à l’entreprise de déterminer sa capacité à répercuter ce surcoût dans un secteur très concurrentiel, avec un niveau de marge brut faible, qui s’établit à 2 % en moyenne. Et les clients sont-ils prêts à payer plus pour favoriser le transport électrique ? Pour le véhicule utilitaire léger, l’électrique se déploiera au fur et à mesure de la baisse des prix, de l’amélioration des temps de recharge, etc. Pour le poids lourd, c’est plus compliqué. Quand on remplace le gasoil par des batteries, on perd 10 à 15 % de charge utile. Le poids lourd électrique existe, mais ça reste de l’expérimentation.

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