Combien sont-elles les entreprises qui peuvent se targuer de recevoir des mots doux de la part de leurs clients ? La société Entourage Solutions à Saint-Malo (50 salariés, 9 M€ de CA en 2021), qui exploite la marque Famileo, offre de services hybride conjuguant un réseau social destiné aux personnes âgées et à leurs familles et une gazette papier, fait partie de celles-là et les met soigneusement en valeur sur un mur de la société. Ils se mélangent à des photos d’enfants et de personnes âgées tout sourire, mais aussi des collaborateurs de la PME, fiers de travailler pour une entreprise humaniste. Entreprise qui a reçu, à l’été 2021, la visite de Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique, lui-même utilisateur de la solution. "Famileo, c’est une grande famille", sourit Alix L’Hermitte, responsable communication de l’entreprise.
40 000 gazettes envoyées chaque semaine
Fondé en novembre 2014 par Armel de Lesquen et Tanguy de Gélis, Entourage Solutions n’est pas une PME innovante comme les autres. La scale-up, loin de vouloir adopter les codes de la French Tech, préfère se tenir à distance des fonds d’investissement pour mieux garder le contrôle sur son rythme d’expansion et son modèle d’affaires. Et pour ne pas dévoyer sa mission première : celle de permettre aux familles de conserver le lien intergénérationnel à travers une simple feuille de chou (une gazette papier, donc). Chaque semaine, 40 000 gazettes Famileo sont envoyées à leurs destinataires. À fin 2021, Famileo comptait 185 000 familles abonnées (soit 1,2 million d’utilisateurs actifs) et autant de lecteurs heureux. À l’image d’Huguette, une octogénaire normande, pour qui la gazette lui "réconforte le cœur".
"Bouche-à-oreille"
1 200 Ehpad et résidences seniors en France ont déjà souscrit au service de Famileo. Voilà pour le modèle B to B, son marché historique. Mais le B to C, la vente aux particuliers, lancé depuis 2017, fonctionne mieux encore. Ce canal représente les trois-quarts de sa clientèle d’abonnés aujourd’hui. "Nous bénéficions d’un bouche-à-oreille qui est très fort. La recommandation est un levier important de notre acquisition", rend compte Alix L’Hermitte. Sur la base d’un abonnement à partir de 5,99 € /mois, Famileo conquiert entre 2 000 et 3 000 familles supplémentaires par mois en moyenne. Et le nombre de familles à démarcher est encore significatif. "Nous sommes convaincus que Famileo répond à un besoin fort en ce moment qui est la lutte contre l’isolement. C’est vraiment quelque chose qui est notre moteur", souligne Armel de Lesquen, cofondateur d’Entourage Solutions.
Les familles à la manœuvre
Le procédé de fabrication de la gazette est assez simple. Les familles alimentent elles-mêmes les contenus (messages et photos) via une application dédiée fonctionnant peu ou prou comme WhatsApp. La maîtrise du numérique est donc aussi une composante de Famileo, qui s’adapte ainsi aux moyens de communication utilisés par les jeunes générations. Généralement sept à huit personnes d’une même "tribu" œuvrent dans la préparation d’une gazette. "On récupère les données, on agrège, on met en forme et on en fait un journal, prêt à être imprimé (par les établissements, NDLR) ou envoyé (pour le modèle B to C), précise Alix L’Hermitte. On fait en sorte que les destinataires n’aient rien à faire." La magie du courrier opère alors, permettant aux anciens de se tenir informés des premiers pas à vélo de leur petite fille ou des exploits au golf de leur gendre. Derrière la gazette, par ailleurs adaptée pour les personnes souffrant de déficience visuelle, d’autres produits ont émergé : "L’Album de l’année", une sorte d’album souvenir, condensé de messages que les abonnés à la gazette reçoivent toute l’année. Sinon "Le livre de mes souvenirs", un ouvrage qui engage les personnes âgées à prendre la plume pour raconter les plus belles histoires de leur vie. Ce produit a été lancé en collaboration avec les éditions Marabout.
Deux marques nationales au capital
Fidèle à ses valeurs, Famileo avance à petits pas, "selon l’évolution du produit", précise Armel de Lesquen. Entourage Solutions n’en est pas moins ambitieux. Le modèle économique est solide. L’entreprise, rentable depuis 2020, a généré 9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021, soit une augmentation de 50 % sur un an. Si la PME n’a pas fait de levée de fonds classique, elle bénéficie de l’appui de deux marques nationales, au capital de Famileo de manière "très minoritaire". Il y a d’abord eu Aquarelle.com, le spécialiste de la livraison de bouquets de fleurs à domicile, qui a investi dans l’affaire fin 2014. "Nous souhaitions prendre des conseils d’entrepreneurs du web, se remémore Armel de Lesquen. J’ai sollicité un rendez-vous avec le patron d’Aquarelle et nous sommes ressortis de notre entretien sans même avoir besoin de nous poser la question de notre financement…" Ce partenaire de la première heure leur a signé un chèque de plusieurs centaines de milliers d’euros pour l’amorçage du projet. Un premier signe positif, une première fleur…
En octobre 2021, c’est cette fois le groupe M6 qui s’est rapproché du malouin. "Contre une belle participation, ils nous donnent de la visibilité média sur leurs chaînes avec une pub télé. Ça nous permet de passer la seconde et d’être beaucoup plus offensifs", explique Armel de Lesquen. Famileo répond à une forte saisonnalité. Les périodes propices de recrutement de nouveaux abonnés sont Noël et la fête des grands-mères, début mars.
Ambitions internationales
Installée depuis un an dans les anciens locaux de la CCI de Saint-Malo, sur 525 m², au 3e étage d’un bâtiment dominant le port industriel, Famileo s’est aménagé un espace de travail où il fait bon vivre, avec cuisine ouverte et baby-foot. C’est de là, aux côtés de ses business developper parlant anglais, espagnol ou néerlandais, que la société malouine travaille au développement à l’export de son produit. "Nous nous sommes rendu compte que la problématique que l’on adressait était universelle. Et principalement dans les pays occidentaux où le lien avec le proche âgé se distend, du fait du travail. L’ambition, c’est de prendre des parts de marché mais aussi de répondre à cette problématique." L’entreprise a déjà attaqué l’Espagne avec l’installation d’une filiale à Barcelone à la fin 2019. Trois collaborateurs y partagent des bureaux. Une autre filiale a récemment ouvert aux États-Unis. Armel de Lesquen viendra lui-même structurer l’équipe en place, dès cet été, à Boston. Le Royaume-Uni, l’Irlande la Belgique et la Suisse sont d’autres pays cibles dans lesquels Famileo commence à déployer son service. Armel de Lesquen détaille son plan de marche international : "Notre approche est de commencer au sein des maisons de retraite pour comprendre le marché, les usages et le mode de fonctionnement. Et ensuite, quand nous avons suffisamment de connaissances, nous attaquons le B to C. C’est le modèle français que l’on réadapte…" Famileo revendique quelque 80 000 utilisateurs et 15 000 familles abonnées à l’international. D’ici trois ans, l’ancien directeur financier de grands groupes industriels anticipe que Famileo pourrait faire 30 % de son activité à l’export, contre moins de 10 % actuellement.
