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Face aux meubles à bas coût, Ligne Roset organise la résistance
Ain # Fabrication de meubles

Face aux meubles à bas coût, Ligne Roset organise la résistance

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L'entreprise implantée il y a 160 ans sur les contreforts du Jura à une heure de Lyon est une sorte de village gaulois qui résiste encore et encore aux attaques des meubles d'importations. Dans un secteur de plus en plus concentré, l'entreprise familiale fabrique 90 % de ses produits en France, avec 850 salariés répartis dans cinq sites de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Au siège social de Ligne Roset à Briord (Ain) 60 000 m² d'entrepôts de fabrication, le travail du garnissage de mousse est l’une des spécialités "maison" — Photo : Ligne Roset

Au siège de Ligne Roset, à Briord (Ain), il suffit de franchir la rive droite du Rhône pour observer de près le phénomène Made in France, incarné par quatre entrepôts XXL de plus de 60 000 m². L'un abrite des centaines de mètres cubes de mousses. Le travail du garnissage de mousse est l’une des « spécialités maison » de Ligne Roset selon Eric Rennesson, directeur des 25 magasins intégrés de France et presque 40 ans de « boutique ». Livrées brutes, les mousses de densités variées sont découpées, arasées, façonnées, collées pour dupliquer au millimètre près les dessins des designers qui imaginent les sièges, fauteuils, canapés et lits des marques Ligne Roset et Cinna. Ici, 300 sièges sont produits chaque jour.

Il faut chausser ses baskets pour parcourir ces bâtiments agrandis en 2008, juste avant la crise des subprimes, saluer les ouvrières qui vérifient, à l’œil nu, la qualité de 800 000 mètres linéaires de tissus par an avant qu’ils ne passent entre les doigts des couturières puis des tapissiers qui recouvrent la banquette coussin Togo de Michel Ducaroy (1973). On y croise aussi les colleuses qui assemblent à la colle à eau les fauteuils Facett des frères Bouroullec, des ébénistes qui se succèdent pour donner corps au siège Flax de Philippe Nigro. Des doigts d’or bien trop rares. Ici, il manque quarante personnes qualifiées pour soutenir le rythme des bons de commande.

L’entreprise familiale Ligne Roset, créée sur les contreforts du Jura, fait définitivement figure de village gaulois. Le Mobilier national, cette institution rattachée au ministère de la Culture qui sélectionne les meubles des hauts lieux de la République, vient d'ailleurs de désigner Ligne Roset pour produire la collection Hémicycle du designer Philippe Nigro.

Le luxe, nouvelle cible

Le groupe qui pèse environ 115 M€ de chiffre d’affaires en sortie d’usine (CA septembre 2019), revendique environ 250 M€ de chiffre d’affaires négoce (une fois les produits vendus aux clients finaux), 40 M€ de fonds propres, 850 salariés dont 380 à Briord. Et une matrice entrepreneuriale reposant sur trois fondements : « qualité, international et artisanat ».
Le tout autorise une rentabilité « à l’équilibre entre 5 et 10 % ». Quant à sa valorisation, celle-ci est complexe à évaluer explique Olivier Roset, directeur financier, car les marques qui « valent beaucoup d’argent s’analysent différemment de l’exploitation ».

La fabrication d'un Togo, siège en mousse fabriqué à la main sur le site de Briord (Ain) — Photo : Audrey Henrion

Dans le détail, la société réalise un peu plus d’un tiers de son chiffre d’affaires en France, à travers un réseau de 98 points de vente pour Ligne Roset et 90 points de ventes Cinna.
Environ 65 % du CA se fait à l'export, à travers 500 points de vente dans 70 pays. Les pays d’Europe de l’est - Allemagne, Autriche et Russie - pèsent pour un cinquième des ventes loin devant la Suisse, les pays Scandinaves (5 %), et la Grande-Bretagne (4 %). Le continent américain poursuit sa croissance et atteint 13 % des ventes, malgré un petit essoufflement lié à la présidence Trump. La Chine pèse 9 %, en croissance de 50 % par an. Une montée en puissance qui a orienté une nouvelle stratégie de communication (12 à 15 % des investissements). On est loin du slogan inventé par Jacques Séguéla dans les années quatre-vingt, « Adieu pétard bonjour cigare » désormais bien passé de mode. Aujourd’hui, Ligne Roset parle aux chinois fortunés, et plus généralement à l’univers du luxe. « C’est aussi ce qui séduit les fonds qui sonnent à notre porte », commente Olivier Roset, lesquels trouvent, pour l’heure, porte close.

Ibis et Grand Hôtel-Dieu

La maison Roset, ce sont les sièges, mais aussi les meubles, qui souffrent davantage de la conjoncture morose en France. Alors, la carte maîtresse, encore « sous-utilisée » selon Olivier Roset, c’est Contract, le nom d’une offre BtoB. Ligne Roset a, par exemple, décroché l’équipement en sièges du Meraviglia et du Bellissima, paquebots de croisières XXL de la compagnie MSC fabriqués à Saint-Nazaire. Le fabricant a aussi fourni les canapés du dôme du Grand Hôtel-Dieu à Lyon, les îlots de Station F à Paris, 20 000 chambres des hôtels Ibis du monde entier avec têtes de lits, chevets, porte-bagages et petits bureaux sortis de l’usine d’Ambérieux. L’offre Contract pesant 7 % du chiffre d’affaires en 2019, pourrait grimper à 30 % du chiffre d’affaires du groupe d’ici 5 ans selon les projections du dirigeant.

« Notre survie passe par le haut », martèle Olivier Roset. Comprendre : la haute qualité française et des acheteurs très aisés. Ainsi, la clientèle a évolué avec la montée en gamme de l’entreprise. « Il y a 15 ans, 30 % de nos ventes reposaient à 20 % sur une population très à l’aise financièrement, mais les cadres composaient 80 % de nos clients en pesant 70 % de notre chiffre d’affaires, décrit Eric Rennesson. Aujourd’hui, ceux qui achètent nos produits sont à 20 % des cadres moyens et à 60 % des très riches. Mieux, 20 % de nos clients passent par des prescripteurs - coach ou décorateurs — pour relooker leur intérieur ». Autant dire que pour eux, les prix s’envolent. « On a appris à mieux leur vendre nos produits et services associés. Sans cette adaptation, nous serions comme beaucoup de nos confrères, à l’agonie ou fermé », constate le directeur des magasins.

Le siège social de Ligne Roset à Briord (Ain) accueille 60 000 m² d'entrepôts de fabrication, abritant principalement les 380 salariés dans les métiers du bois, du cuir et de la tapisserie. Ici sont stockés 10 000 références de textiles ou cuirs qui tapissent plus de 300 sièges expédiés quotidiennement dans 70 pays de la planète.
— Photo : Ligne Roset

Pour « ferrer » davantage cette cible CSP ++, Eric Rennesson vient de mettre en place la location avec option d’achat (LOA) inspirée du secteur automobile. Avantages : une récurrence des revenus et la fidélisation des clients, incités à réactualiser leur décoration. À partir de 275 euros par mois, il est possible de s’offrir une décoration d’intérieur d’une valeur de 15 000 euros et jusqu’à 75 000 euros pour 1 370 euros de location mensuelle. Après 5 ans, les clients pourront, au choix, acheter la valeur résiduelle (10 %) à moins que Ligne Roset les rachète pour les redistribuer sur le second marché. Une trouvaille qui va dans le sens de l’histoire selon Eric Rennesson. « Nos clients avaient des scrupules à se séparer d’objets souvent iconiques, solides, inusables. Mais ils voulaient aussi rester dans la tendance ». Cette nouvelle offre sera proposée au printemps dans les magasins français, avant d’être possiblement expérimentée à l’étranger.


Ligne Roset en chiffres

- 115 M€ de CA en septembre 2019 soit environ 250 M€ en chiffre d’affaires négoce c’est-à-dire produits vendus aux clients finaux.

- 65 % des ventes sont réalisées à l’international.

-Deux marques : La marque Ligne Roset créée en 1973 compte 98 points de ventes en France et Cinna créé en 1975 en compte 90. Le groupe possède 25 magasins en propre en France et une trentaine dans le monde.

- Les concurrents : Roche-Bobois (CA 2018 : 257 M€, présent dans 55 pays avec un réseau de 331 magasins) bénéficie d’une image du meuble design à la française portée par sa communication haut de gamme « French art de vivre ». Le groupe dirigé par Guillaume Demulier revendique une fabrication « 100 % européenne ».
En Haute-Savoie le groupe familial Fournier (CA 2018 : 369 M€ ; 1 800 salariés), détenteur des marques Mobalpa, Perene et SoCoo’c, va investir jusqu’à 100 millions d’euros dans un nouveau site dédié à la fabrication de mobilier sur mesure à Alex (74) en complément du métier de cuisiniste et d’agenceur de salle de bains.

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