La mise en place progressive des ZFE (zones à faibles émissions), en restreignant l’accès des véhicules aux cœurs de ville, crée de multiples tensions. Elle gène tant les petites PME, dans le transport urbain ou la logistique, que les mastodontes. À l’image du groupe montpelliérain Dyneff (740 salariés, 3,9 Md€ de CA en 2022), distributeur du carburant qui les alimente. "Les ZFE sont un signe supplémentaire que le marché du pétrole est en contraction, sous l’effet de la réglementation européenne. Cette nouvelle contrainte, qui s’ajoute à l’interdiction du chauffage au fioul et à d’autres, pousse Dyneff à se transformer", analyse Emmanuel Riu, directeur général du groupe fondé en 1958.
Une rapide diversification
Connu comme un acteur historique dans la distribution et la vente de produits pétroliers (carburants, combustibles), le groupe Dyneff se diversifie donc à grande vitesse dans les énergies vertes. Passé sous pavillon chinois depuis 2015, il dispose de moyens visiblement très étendus pour conduire cette stratégie, tout en se renforçant sur son cœur d’activité dans la distribution : au cours des deux dernières années, le groupe montpelliérain a absorbé plus d’une douzaine de PME françaises. "Nous avons les capacités d’acquisition et la connaissance des marchés de l’énergie, mais c’est une découverte progressive, avec une ambition mesurée. Beaucoup d’acteurs se sont lancés à corps perdu dans la diversification, et se retrouvent en difficulté depuis que la guerre en Ukraine impacte le marché mondial", nuance Emmanuel Riu.
Dans la distribution d’énergie, trois nouveaux métiers sont ciblés par Dyneff : le gaz naturel pour les particuliers et les industriels ; l’électricité ; et les granulés bois. Pour chacun d’eux, le groupe adopte la même démarche, en rachetant des acteurs de taille régionale, bien établis sur leur marché, qui lui permettent d’étendre son maillage territorial petit à petit. En parallèle, Dyneff se diversifie aussi dans les services connexes à la fourniture d’énergie, comme l’installation de panneaux photovoltaïques ou de pompes à chaleur. Ici aussi, la démarche d’acquisition vise des acteurs de proximité, tout en suivant bien sûr l’évolution naturelle de la demande. "Le marché du fioul domestique a reculé de 30 % en trois ans, et continue à perdre de 5 à 10 % par an. Or la quasi-totalité de nos clients qui abandonnent ce produit se tournent vers les pompes à chaleur ou les poêles à granulés, qui sont beaucoup mis en avant par les pouvoirs publics", commente Emmanuel Riu.
Des marchés très dynamiques
Ainsi, depuis janvier 2021, Dyneff a mis la main sur l’héraultais Aneo (50 salariés), spécialiste de l’installation et l’entretien d’équipements thermiques et de climatisation ; sur le ligérien Neel Fraisse (20 salariés), opérant dans les activités de chauffage toutes énergies, de climatisation et de traitement de l’air ; et sur le bordelais France Habitat ENR (40 salariés), qui installe des panneaux photovoltaïques pour l’autoconsommation d’électricité. Chacune de ces trois PME filialisées incarne, sur sa zone, la volonté de croître sur le segment du CVC (chauffage, ventilation, climatisation) et de l’électricité, mais sans vocation à devenir un acteur de taille nationale. Dyneff les aidera avant tout à se développer, en les consolidant notamment grâce aux achats du groupe. L’extension patiente de la couverture au niveau national passera plutôt par la multiplication de futures filiales. "Nous pourrons bénéficier des synergies induites par les activités complémentaires des deux sociétés et soutenir notre croissance par le biais d’acquisition de confrères", résume Nicolas Besson, cofondateur d’Aneo.
"Le groupe est prêt à n’importe quelle inflexion en tendance de marché"
À ce jour, la distribution de produits pétroliers représente encore 90 % du chiffre d’affaires de Dyneff, et 80 % de ses résultats annuels. Si le poids des nouveaux marchés est encore modeste, le groupe insiste sur la nécessité de se préparer aux prochaines évolutions de marché et de réglementation. "Le groupe est prêt à n’importe quelle inflexion en tendance de marché", assure Emmanuel Riu. Selon le dirigeant, le plus gros enjeu dans un futur proche se trouve néanmoins dans l’électricité, comme en témoigne le fort engouement des Français pour les systèmes d’autoconsommation, dont la demande explose (+ 60 % en un an pour les panneaux solaires). "Nous visons surtout le marché du particulier, avec les solutions d’autoconsommation, et celui des bâtiments tertiaires, pour des centrales solaires de petites surfaces. Nos filiales Aneo et France Habitat ENR sont bien placées sur ces marchés très dynamiques, où des places restent à prendre. Notre analyse est que la différence se fera bientôt sur les services entourant la solution", poursuit le dirigeant.
Un pôle historique encore puissant
Pour les produits pétroliers, son cœur d’activité, l’expertise de Dyneff se divise entre trois métiers : la distribution, le négoce et les stations-service. Pour la distribution, la société s’appuie sur d’importantes capacités logistiques : elles se montent à 250 000 m3, répartis dans de nombreux dépôts pétroliers que le groupe détient en propriété (comme celui de Port-la-Nouvelle dans l’Aude : 166 000 m3 à lui seul) ou qu’il utilise en location, en France et en Espagne. Chaque année, ce sont 70 bateaux qu’il réceptionne, 40 trains qu’il affrète dans ses installations, en plus des 180 camions expédiés par jour. Sur ce segment aussi, les acquisitions s’enchaînent à un rythme soutenu, pour une raison géographique : Dyneff, qui opérait historiquement au sud d’une ligne Bordeaux-Lyon, sort peu à peu de ses bases. Les rachats en chaîne de distributeurs régionaux lui ont permis, en quatre ans, d’étendre son réseau à une échelle quasi nationale. "Le Nord et le Nord-Ouest sont les seules régions où nous n’étions pas encore bien implantés. C’est pourquoi nous avons acquis, à la fin de l’été, la société rouennaise CPA, qui couvre ces zones depuis les années 1970. Cela nous donne aussi une vision sur la logistique de la basse Seine, où se trouvent de nombreuses connexions entre acteurs, qu’il faut connaître pour négocier aux meilleures conditions", précise Emmanuel Riu.
Au total, Dyneff est aujourd’hui capable de livrer 2,3 millions de m3 par an. Mais n’est-il pas paradoxal de continuer à valoriser ses activités dans l’or noir alors que tant d’efforts sont déployés dans les énergies vertes ? "Nous continuons à consolider nos activités historiques, car ce sont les revenus qu’elles génèrent qui nous permettent de développer d’autres activités, voire des activités naissantes – comme la distribution d’hydrogène sur autoroute – encore peu rentables", soutient Emmanuel Riu. Le pli est pris, et Dyneff s’affiche désormais en fournisseur d’énergies plurielles.
