Coronavirus - Sotraban : « Nous souffrons tous d’une cacophonie générale de communication »
Interview # Industrie # Conjoncture

Bruno Lefranc président de l'association Sotraban et dirigeant de MultiForm  Coronavirus - Sotraban : « Nous souffrons tous d’une cacophonie générale de communication »

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Dirigeant de Multiform, entreprise normande d’emboutissage de métaux à Villedieu-les-Poêles (Manche), Bruno Lefranc fait le point sur l’organisation de son entreprise pendant les deux premières semaines de confinement. Également président de l'association des sous-traitants normands Sotraban, il appelle les grands donneurs d’ordres à « davantage de solidarité. »

Bruno Lefranc : « Si les donneurs d’ordres ne jouent pas le jeu et ferment leurs usines, ils bloquent la sous-traitance et c’est tout un pan de l’industrie qui tombe par terre. Il faut rester solidaires. »
— Photo : © DR

Vous êtes dirigeant de Multiform dans la Manche. Comment avez-vous géré votre entreprise depuis le confinement ?

Bruno Lefranc : La première semaine a été très éprouvante. J’étais à bout. C’était la panique : j’ai passé la semaine à rassurer mes équipes pour pouvoir rassembler 14 salariés sur les 21. La 2e semaine, l’objectif était de continuer coûte que coûte. J’arrive maintenant dans une période d’incertitude. Mon entreprise, spécialisée dans l’emboutissage de métaux, compte 120 à 150 clients récurrents dans les domaines du médical, de l’aéronautique, du nucléaire, du ferroviaire, qui ont besoin de pièces pour continuer à tourner et pour lesquels je dois honorer les commandes. Mais la responsabilité pénale qui pèse sur la tête du dirigeant n’est pas faite pour rassurer. J’avoue que je ne sais plus quoi faire, je me sens totalement perdu.

Comme réagissez-vous face aux consignes du gouvernement ?

Bruno Lefranc : Nous sommes littéralement inondés de communiqués, de mails et d’enquêtes en tous genres ! Nous souffrons tous d’une cacophonie générale de communication. Je suis révolté de voir qu’avec les technologies dont nous disposons, on n’arrive pas à communiquer correctement. Le plus grand scandale est que l’on nous dit que nous sommes responsables de la santé de nos salariés et l’Agence Régionale de Santé nous demande de renvoyer chez eux les personnes fragiles comme les diabétiques, les asthmatiques, mais on nous refuse l’accès aux dossiers médicaux ! Alors comment fait-on pour savoir qui est concerné ? Je n’ai pas de bureau de médecin dans mon entreprise ! Les messages affluent tous les jours et la plupart se contredisent les uns après les autres. C’est du grand n’importe quoi : beaucoup de chefs d’entreprise ont pris peur et ont fermé en urgence parce qu’ils ne savaient pas comment réagir.

« Beaucoup de chefs d’entreprise ont pris peur et ont fermé en urgence parce qu’ils ne savaient pas comment réagir. »

Comment avez-vous procédé pour rappeler vos salariés ?

Bruno Lefranc : J’ai demandé à chaque salarié d’appeler son médecin traitant. Dans certains cas, le médecin a joué la carte de la précaution et prescrit un arrêt de trois semaines, pour les autres, le médecin a donné l’autorisation de reprendre le travail. Mais ce que je ne trouve pas logique, ni juste, c’est que l’employeur doive verser le complément de la Sécurité sociale en cas d’arrêt de travail alors que nous sommes confrontés à un fléau d’ampleur nationale. Ce n’est pas au monde de l’industrie de prendre en charge ces compléments alors que nous devons déjà subir des pertes d’exploitation. Je dis non ! Tout le monde, même le salarié, doit mettre la main au portefeuille…

Qu’est-ce que vous attendez de l’État aujourd’hui ?

Bruno Lefranc : Qu’il vote un décret ! Je suis pragmatique : on nous parle de formule rétroactive mais rien n’est voté : pour appliquer du chômage partiel, il faut avoir soldé les congés, être à 35 heures et ne plus avoir d’autres recours possibles. J’ai peur que la plupart des dossiers de chômage partiel soient refusés, certains l’ont déjà été.

Comment votre entreprise a-t-elle tourné depuis le début du confinement ?

Bruno Lefranc : La première semaine, nous avons travaillé à 70 % et dorénavant, nous sommes à 80-90 % de l’activité normale. Mon objectif est de faire tourner ma boutique : personne ne me viendra en aide, c’est à moi de me sauver comme je peux. Il y a quand même une bonne nouvelle : notre carnet de commandes n’a pas désempli pendant la 2e semaine. En général, nous enregistrons 250 000 euros par mois de commandes, soit 60 000 euros par semaine, et là, nous avons fait 63 000 euros… Tant que cela dure, nous pouvons continuer à fonctionner. Une chose est sûre, c’est qu’une semaine ne fait pas l’autre et nous devons gérer au jour le jour. Chacun doit tenir la barre de sa boutique !

« Il y a quand même une bonne nouvelle : notre carnet de commandes n’a pas désempli pendant la deuxième semaine. »

Vous êtes président de Sotraban, l'association des sous-traitants de Normandie (88 adhérents, NDLR). Quel rôle avez-vous auprès de vos adhérents dans le cadre de cette crise sanitaire ?

Bruno Lefranc : Le rôle de Sotraban est d’abord d’assurer une veille et de faire les remontées des informations tout en filtrant les messages les plus importants. Nous faisons office de relais pour les communiqués officiels du ministère. Un conseil ? Restez le plus longtemps ouvert pour ceux qui le peuvent car c’est difficile de redémarrer après. Nous pouvons continuer à travailler si l’on respecte bien les gestes barrières dans nos entreprises.

Quel message souhaitez-vous faire passer auprès des gros donneurs d’ordre qui ont fermé leurs usines ?

Sotraban, filière des sous-traitants en Normandie — Photo : © DR

Bruno Lefranc : Si les donneurs d’ordres ne jouent pas le jeu et ferment leurs usines, ils bloquent la sous-traitance et c’est tout un pan de l’industrie qui tombe par terre. Il faut rester solidaires. Quand un gros donneur d’ordre ferme son usine, c’est encore la cacophonie générale : personne ne nous dit d’annuler les commandes ! Certains vous mettent des pénalités si vous ne livrez pas mais d’autres vous disent de continuer à tourner puis au final, on apprend que la production ne pourra être réceptionnée. Comment fait-on ? C’est la trésorerie qui trinque. En revanche, je veux bien reconnaître que les grands groupes ont plus de difficultés que les PME, avec les syndicats qui bloquent les usines. Certes, une organisation avec des gestes barrières, est plus facile à mettre en place dans une TPE-PME que dans une entreprise de plus 500 salariés, qui passent leur temps en CSE pour négocier les conditions de travail…

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