Comment rompre la solitude du dirigeant
# Management

Comment rompre la solitude du dirigeant

S'abonner

La solitude du dirigeant n’est pas un mythe. Selon une étude récente, près de la moitié des dirigeants de PME et d’ETI disent souffrir d’un sentiment d’isolement. Pourtant, les antidotes existent.

Se faire accompagner dans la prise de décision apparaît donc comme le meilleur des antidotes à la solitude. Pour ce faire, les chefs d’entreprise peuvent s'appuyer sur un conseil d'administration ou un conseil stratégique — Photo : Matej Kastelic

La situation peut sembler paradoxale. À l’heure où les réseaux d’accompagnement de dirigeants se multiplient, où l’on vante les mérites du management participatif et de l’intelligence collective, près de la moitié des dirigeants de PME et d’ETI en France (45 % très exactement) disent souffrir d’un sentiment de solitude. C’est ce qui ressort d’une étude Bpifrance – Le Lab réalisée auprès de 2 400 chefs d’entreprise en 2016.

« Tabou, ce phénomène est depuis toujours passé sous silence, explique Olivier Torrès, professeur à l’université de Montpellier, président de l’Observatoire de la santé des dirigeants Amarok et auteur de l’étude. Notre culture survalorise et "héroïse" les fondateurs de sociétés, renforçant le mythe du patron seul maître à bord, qui ne doit montrer aucune faiblesse, ni doute. »

Se faire accompagner dans la prise de décision

Difficile de dresser un portrait-robot du dirigeant isolé. Le sentiment de solitude ne semble pas lié à la taille de l’entreprise, à son secteur d’activité, ni même à l’âge du chef d’entreprise. 49 % des dirigeants de moins de 40 ans se déclarent en effet isolés. Impossible donc de compter sur le seul renouvellement générationnel pour faire reculer le phénomène. Peut-être faut-il plutôt se pencher sur ses causes.

Si celles-ci sont multiples, la difficulté à prendre des décisions dans un environnement de plus en plus complexe et imprévisible ressort en tête. Se faire accompagner dans la prise de décision apparaît donc comme le meilleur des antidotes à la solitude. Pour ce faire, les chefs d’entreprise peuvent actionner plusieurs leviers.

• Gouvernance partagée

Le premier est l’établissement d’une gouvernance partagée, par le biais d’un comité stratégique, par exemple, comme l'ont fait Maud Billard-Coester, codirigeante du groupe Kardol (Rhône) ou Betty Vergnaud à la tête de la PME vendéenne Marc & Betty. « La gouvernance n’est pas qu’institutionnelle et réservée aux grandes entreprises. C’est un ensemble de bonnes pratiques qui permettent au dirigeant d’organiser sa réflexion et sa prise de décision sur des enjeux majeurs. L’objectif est de limiter le sentiment d’isolement dans la prise de décision, même si le dirigeant est seul à décider in fine. Pour cela, il faut réussir le bon casting pour intégrer à cette instance des personnalités qui vont challenger le dirigeant avec bienveillance, mais en toute indépendance », indique Anne Blanche, administratrice indépendante.

« Je n’étais pas accompagnée sur la gouvernance et, seule avec moi-même, j’ai pris les mauvaises décisions... »

« C’est le fait d’être seule qui a causé l’arrêt de mon activité. J’étais pourtant dans un incubateur, j’avais fait monter des membres de ma famille au capital… Mais je n’étais pas accompagnée sur la gouvernance et, seule avec moi-même, j’ai pris les mauvaises décisions », rapporte Anne-Sophie Bourrigaud, ancienne dirigeante de Brin de Jardin, aujourd’hui directrice de Boss to Boss.

Ce réseau collaboratif de 180 dirigeants de l’ouest de la France accompagne les chefs d’entreprise dans leurs décisions stratégiques, notamment via une offre de comité stratégique. Cette instance réunit trois fois par an quatre à cinq chefs d’entreprise du réseau, sélectionnés en fonction des problématiques du client, mais toujours en dehors de son cercle de relations. Elle instruit, à chaque session, un sujet stratégique, préalablement préparé par ses membres.

Dans l’intervalle, le dirigeant bénéficie de l’accompagnement du réseau. « Les grosses entreprises ont les moyens de s’offrir les services de consultants extérieurs. Ce n’est pas le cas des TPE et PME, dont beaucoup de dirigeants sont très seuls. Ils manquent d’hommes ayant une vision, même s’ils sont secondés dans la partie opérationnelle. Le principe de Boss to Boss est de leur apporter un effet miroir, via des pairs », explique Sébastien Chadourne, l’un des associés du réseau.

• Management collaboratif

Associer les salariés aux processus de décision constitue un autre moyen de rompre l’isolement du dirigeant. Les nouveaux modes de management plus collaboratifs, à l’instar de l’entreprise dite libérée, appliquée par GT Location à Bordeaux, par exemple, promeuvent ainsi la responsabilisation des salariés, l’initiative individuelle et une hiérarchie réduite.

« Même dans une entreprise de cinq personnes, le chef peut se rendre intouchable s’il s’enferme dans le raisonnement, selon lequel sa position de dirigeant lui impose de prendre les décisions seul. Ce faisant, il infantilise, déresponsabilise, démotive ses équipes et s’isole. Il devient intouchable, alors même que, pour affronter la complexité et les mutations de son environnement, il a besoin des autres, de l’intelligence collective », décrypte Christophe Collignon, cofondateur de Sens Collectif, une société qui accompagne les entreprises vers des systèmes de management collaboratif.

Partager et se former au sein des réseaux d'affaires

Syndicats professionnels, clubs, réseaux, associations, à l’image du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants), des clubs APM (Association Progrès du Management), de Réseau Entreprendre, etc., offrent aux chefs d’entreprise une formation, un accompagnement, des outils pour se perfectionner dans leur métier de dirigeants, mais également un espace d’échanges, en toute confidentialité et bienveillance.

« L'une des missions du CJD au sens large, c’est de permettre aux chefs d’entreprise de ne pas se retrouver seuls dans leurs choix stratégiques », assure Pierre Minodier, président du CJD national. Dans les Hauts-de-France, Dominique Dalle, créatrice de l’association "Entreprendre pour apprendre", a particulièrement apprécié la liberté de parole entre pairs qu'elle a trouvée au sein de son CJD local.

• Les groupes d’aide à la décision du CJD

Le Centre des Jeunes Dirigeants a formalisé des outils qui, à l'image des « GAD », connaissent un fort développement. Ces groupes d’aide à la décision réunissent, à la demande d’un membre, d’autres Jeunes Dirigeants, choisis par un animateur, pour réfléchir à une problématique de l’entreprise et apporter un éclairage extérieur.

• L'écoute psychologique et le rebond

Le CJD a également déployé le dispositif « Aire », qui assure une écoute psychologique des dirigeants en détresse, pour des motifs qui peuvent être autres que professionnels. Des associations, comme 60 000 Rebonds, sont également tournées vers les dirigeants ayant connu la liquidation judiciaire. « Ceux-ci bénéficient d’un accompagnement individuel et collectif qui a plusieurs vertus, parmi lesquelles celle de remplacer l’ancien réseau que ces dirigeants ont perdu car, se sentant dévalorisés, ils se sont souvent isolés », expose Philippe Fourquet, président de l’association dans le Grand Ouest.

« Quand cela va mal, il est plus difficile d’accepter la main tendue. »

Quelle que soit la richesse de l’offre des réseaux, le problème reste que le dirigeant en difficulté a tendance à se replier sur lui-même. « Paradoxalement, quand cela va mal, il est plus difficile d’accepter la main tendue et la bienveillance que les critiques », avoue un dirigeant dont l’entreprise a été placée en redressement judiciaire. Après avoir traversé un gros coup de fatigue, le patron d'Olvea, Arnauld Daudruy, incite, lui, ses homologues à « se poser, à réfléchir, prendre du recul. Et ne pas oublier de prendre des vacances, en se déconnectant vraiment. ». Il faut donc croire qu’une bonne partie de la réponse à la solitude du dirigeant appartient aux chefs d’entreprise eux-mêmes.

# Management # Réseaux d'accompagnement