Comment les ports bretons se préparent au Brexit
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Comment les ports bretons se préparent au Brexit

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Dans les ports de Saint-Malo, Roscoff et Brest, l'État, les collectivités et les entreprises tentent d'anticiper au mieux les conséquences d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne sans accord.

Le port de commerce de Brest a connu une augmentation de son trafic de 16% en 2018 — Photo : © CCIMBO

« Il nous fallait prendre les devants ». Philippe Gac, directeur des Transports Mesguen (230 salariés, 50 M€ de CA) à Saint-Pol-de-Léon (Finistère), résume ainsi la position de bien des patrons bretons face au Brexit. Floue depuis le vote des Britanniques en 2016, la situation s’est faite de plus en plus pressante au fil des négociations entre l’Union Européenne et le gouvernement d’outre-Manche. Selon les Douanes, les importations et exportations avec le Royaume-Uni concernent près de 500 entreprises en Bretagne. Le Royaume-Uni est le 5e pays de destination des exportations bretonnes (830 M€) et le 8e pays d’où proviennent les importations en Bretagne (500 M€). Un poids non négligeable, qui pousse les pouvoirs publics et les entreprises à s’organiser pour ne pas trop subir le Brexit.

1,80 M€ dégagé par la Région

En première ligne face au Brexit : les ports. Et notamment les ports bretons, entre inquiétudes, opportunités et préparation. Depuis plusieurs mois déjà, l’État, la région Bretagne et la CCI Bretagne ont travaillé de concert pour anticiper le scénario le plus radical, un Brexit « dur », sans accord avec l’UE. Des réunions d’information ont été organisées par Bretagne Commerce International (BCI) dans les quatre départements bretons. Un numéro vert a également été mis en place (0800 800 106) à destination des acteurs de la place portuaire et, plus largement, de toutes les entreprises. Le Conseil régional de Bretagne a débloqué une enveloppe de 1,8 million d’euros pour l’aménagement d’installations modulaires dans les ports à Roscoff et à Saint-Malo. De quoi permettre l’accueil de huit douaniers supplémentaires à Roscoff et six à Saint-Malo. En effet, des contrôles et certifications sanitaires pourront s’ajouter aux obligations administratives, ce qui rendra les opérations d’exportation ou d’importation plus lourdes et plus longues.

Vers de nouveaux « ports frontières »

Les ports bretons devraient toutefois être pénalisés par la décision de l’Union Européenne de les exclure du « corridor maritime » qui organise l’acheminement des marchandises en Europe, revu dans le cadre du Brexit. Aujourd’hui, les routes maritimes entre l’Europe continentale et le Royaume-Uni passent par les ports britanniques. Demain, elles passeront sans nul doute par l’Irlande. L’écueil, c’est que le corridor maritime est jalonné de ports vers lesquels l’UE fléchera 90 % de ses aides financières, privilégiant notamment les dessertes entre l’Irlande et les ports belges et néerlandais. Les ports exclus du corridor, comme les Bretons, ne pourront bénéficier que des 10 % d’aides restantes, au mieux. « Il y a une ambiguïté pour tous les réseaux de transports, y compris les ports. Le compte n’y est pas ! », s’indigne donc François Cuillandre, le maire de Brest. Pour l’élu, la décision est incompréhensible, car « quand on regarde une carte, ce sont les ports bretons qui sont les mieux placés pour desservir l’Irlande. Tout l’Ouest est délaissé ! » François Cuillandre, qui s’inquiète également pour la pêche, veut désormais travailler pour 2023, date à laquelle le réseau trans-européen de transport (ou RTE-T) sera revu.

Mais pour Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries (2 814 salariés, 444,20 M€ de CA), principal utilisateur du port de Roscoff, des opportunités existent, tout de même, pour les ports bretons. « Surtout pour Roscoff, Saint-Malo étant un peu trop proche des ports normands », estime-t-il. La compagnie roscovite a été sollicitée par le ministère des Transports britanniques pour augmenter son activité fret de 50 %. « Roscoff devient un port frontière. Ce qui justifie aussi le retour de la Police de l’Air et des Frontières, milite-t-il. C’est un vrai changement : Brittany Ferries a été créé en 1973, au lendemain de l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union ! » Contre l’encombrement qui s’annonce, la compagnie est prête à s’organiser et à recruter. « On expérimente une interface informatique pour dématérialiser les papiers. On mettra des salariés pour organiser les files d’attente. Mais on ne pourra pas tout faire », prévient Jean-Marc Roué.

La « frontière intelligente », avec la dématérialisation des documents à fournir, pour les personnes comme pour les produits, n’est cependant pas pour demain. Certaines démarches seulement sont concernées. On semble loin d’une solution immédiate. « La Douane a beaucoup évolué. Ça nous permettrait de gagner du temps en amont », espère Philippe Gac.

Du commerce international avec le Royaume-Uni

« Faire de l’import ou export avec le Royaume-Uni, ce sera faire du commerce international ! », insiste Annie Mugnier, conseillère de Bretagne Commerce International (BCI) à Morlaix, qui a animé quelques ateliers sur le Brexit auprès des entreprises. L’organisation a mis en place une check-list PDCA (pour « Plan, Do, Check, Act » soit « organiser, faire, vérifier, agir »). Obstacles tarifaires (droits de douane), non tarifaires (certifications, obligations documentaires, contrats et clauses juridiques à revoir), etc. Autant de détails à prendre en compte une fois que le Royaume-Uni sera considéré comme un pays tiers. « Malheureusement, certaines entreprises, surtout les plus petites, le découvrent tardivement. »

Photo : © Isabelle Jaffré

D’autres, au contraire, ont d’ores et déjà anticipé. « Dès 2016, on a fait en sorte de conserver notre OEA (opérateur économique agréé) auprès des Douanes pour continuer à travailler sereinement avec le Royaume-Uni, qui représente 22 % de notre CA », explique, par exemple, le directeur des Transports Mesguen. L’entreprise nord-finistérienne exporte vers la Grande-Bretagne des légumes et produits frais, mais importe aussi des produits de la mer au départ de l’Écosse. « On passe surtout par les ports normands aujourd’hui, mais ce serait intéressant de pouvoir utiliser davantage le port de Roscoff, plus proche de notre siège. » Philippe Gac, qui a suivi une formation pour se mettre à niveaux sur les démarches douanières, anticipe aussi une augmentation des démarches administratives et envisage de créer un service dédié.

Maître-mot : anticiper

Installée sur le port de Saint-Malo depuis 1896, Morvan Fils (30 salariés, 9 M€ de CA), entreprise de transport et logistique, est la filiale française de Condor Ferries, compagnie maritime basée à Poole, en Angleterre. La PME est spécialisée dans l’acheminement et la livraison de marchandises à destination des îles anglo-normandes (Jersey, Guernesey) et de l’Angleterre (Portsmouth). La moitié de son chiffre d’affaires repose sur le fret. Tous les samedis, un navire roulier de la compagnie, d’une capacité de 90 semi-remorques, embarque des produits alimentaires, matériaux de construction, plantes… Elle compte sur son expérience pour répondre aux nouvelles formalités. « Le maître-mot c’est l’anticipation. Brexit ou pas, le Royaume-Uni restera un partenaire de proximité », analyse Xavier Haurez, le directeur général.

Chez la coopérative laitière bretonne Laïta (2 800 salariés, 1,3Md€ de CA), une évaluation des impacts a été réalisée. « Même si on trouve incroyable de se retrouver dans cette situation, on se prépare des deux côtés de la frontière car nous avons une filiale (100 salariés) près de Bristol », explique Yvan Borgne, directeur export, qui se veut tout de même confiant. « On saura faire, car nous faisons de l’export tous les jours. Ce qui était compliqué, c’était de se préparer sans connaître les règles qui allaient s’appliquer. » Aucun recrutement n’a, pour l’instant, été fait. « On aura peut-être travaillé pour rien », regrette-t-il simplement.

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