Burn-out : les dirigeants au bord de la crise de nerfs ?
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Burn-out : les dirigeants au bord de la crise de nerfs ?

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Les langues commencent à se délier, même si le sujet reste encore difficile à aborder pour beaucoup de chefs d’entreprise. Un dirigeant sur six risquerait d’être touché par un burn-out. Alors mieux vaut prévenir que guérir ce syndrome d’épuisement professionnel aux conséquences souvent dramatiques.

15 % des dirigeants d’entreprise français sont exposé au risque de burn-out. — Photo : ©thodonal - stock.adobe.com

« Il est arrivé le regard vide, réagissant comme un robot dénué d’émotions. J’ai passé une heure trente à le convaincre d’accepter un arrêt de travail. Je lui ai dit : "Vous allez rentrer chez vous, vous allez vous écrouler et dormir une semaine. Vous ne serez en mesure de retourner travailler que dans six mois, au mieux." Il ne me croyait pas. C’est pourtant ce qui s’est passé », relate Françoise Siegel, médecin coordinateur d’Alsace Santé au Travail, l’un des plus grands organismes de santé au travail de France.

L’image d’Épinal d’un patron invincible et gardant le cap, quelle que soit la force de la tempête, est encore très prégnante dans la société, et est même très souvent intériorisée par les dirigeants. La réalité est bien différente. Un chef d’entreprise n’est après tout qu’un d’être humain comme les autres, avec ses fragilités. Il reste ainsi exposé au burn-out.

Le burn-out du dirigeant, un phénomène mal connu

Aussi appelé syndrome d’épuisement professionnel, le burn-out est « un processus, pas une entité nosologique (une maladie distincte, NDLR). Il est lié à un stress chronique, qui génère plusieurs étapes : épuisement, compensation par un surinvestissement dramatique dans le travail, perte de la capacité empathique entraînant des relations conflictuelles, isolement, cynisme. Cela conduit in fine à un écroulement de la personne, physique comme émotionnel », décrit Françoise Siegel. Dans le pire des cas, cet écroulement peut conduire jusqu’au suicide.

« Il existe plus d’études sur la santé des baleines bleues que sur celles des entrepreneurs. »

Sur le papier, les dirigeants sont une population particulièrement exposée au burn-out. Surcharge de travail, manque de sommeil et stress – trois caractéristiques largement partagées par les chefs d’entreprise - sont les principaux facteurs qui mènent au burn-out. Mais dans les faits, difficile de dire si les dirigeants en sont davantage victimes que les autres composantes de la population française. Pour une simple raison : « Il existe plus d’études sur la santé des baleines bleues que sur celles des entrepreneurs », ironise Olivier Torres.

Ce chercheur à l’université de Montpellier est devenu l’une des références françaises en matière de santé des dirigeants. Il a créé, il y a dix ans, l’Observatoire Amarok pour accroître l’état de la connaissance scientifique sur la santé des chefs d’entreprise. L’une de ses études, réalisée avec le Lab de Bpifrance, stipule que 15 % des dirigeants d’entreprise français risquent d’être victimes d’un burn-out. Soit près d’un dirigeant sur six. « C’est très élevé », commente Olivier Torres, avant de préciser : « Attention, nous parlons de risques, et non pas de personnes affectées ».

Une époque défavorable pour le bien-être au travail

Des personnes psychologiquement brisées, Jean-Denis Budin en a vu défiler plus de 350 depuis 2013. Lui-même victime d’un burn-out carabiné, qui lui a fait perdre toute capacité de mémorisation durant deux ans, cet Alsacien est à la tête du Credir. Ce centre accueille des salariés et des dirigeants qui cherchent à se reconstruire après un burn-out ou qui veulent se protéger d’une surcharge de travail.

L’homme n’est pas très optimiste. Car, selon lui, l’époque ne favorise pas le bien-être au travail. « Plusieurs facteurs aggravants sont arrivés récemment. D’abord, les Français sont de plus en plus mal soignés à cause du manque de disponibilité des médecins. » Ensuite, entre la surcharge de travail et l’addiction aux écrans d’ordinateurs et de smartphones, « les cadres et les dirigeants dorment une heure de moins qu’il y a 20 ans ». Enfin, le nombre croissant de cadres et de dirigeants, qui vivent éloignés de leur famille en semaine à cause des contraintes professionnelles, « a tendance à se laisser envahir par le travail », constate Jean-Denis Budin.

Cerise sur la gâteau : nombre d’entrepreneurs augmentent le risque de burn-out en entretenant l’idée qu’ils sont irremplaçables. « Dans une PME, remplacer le PDG est très compliqué. C’est le syndrome d’Atlas, où le patron porte toute l’entreprise sur son dos », constate Olivier Torres.

Quatre signes à surveiller pour détecter un burn-out

Si le contexte général n’est pas très reluisant, le chercheur montpelliérain se félicite d’un changement d’attitude : depuis quelques années, le burn-out est moins un sujet tabou. « Nous étions auparavant totalement dans le déni. Aujourd’hui, les langues se délient, même si la plupart des personnes qui ont été touchées préfèrent encore rester anonymes. Mais le sujet est désormais au centre des débats, preuve s’il en est : le nombre de sollicitations pour des conférences que nous effectuons auprès des Centre des jeunes dirigeants, du Medef, du Réseau Entreprendre et de bien d’autres organisations patronales. »

« Il faut être attentif aux mots que le dirigeant emploie pour parler de lui-même. »

De plus en plus de dirigeants apprennent à prendre soin d’eux et à appréhender les signes avant-coureurs d’un burn-out. « Nous avons identifié trois alarmes qu’il faut savoir écouter : le sentiment de déception ; le fait de dire "j’en ai marre" ou de soupirer dix fois par jour ; enfin, le fait de mal dormir et se sentir fatigué. Ce dernier signe doit amener à une quatrième alarme, plus fine, qui consiste à être attentif aux mots que le dirigeant emploie pour parler de lui-même. Lorsqu'on passe de "je suis fatigué" à "je me sens crevé, exténué", c’est un signal à ne surtout pas négliger », prévient Olivier Torres.

Des associations pour ne pas rester seul

Une fois ces symptômes reconnus, il ne faut surtout pas rester seul. Des numéros verts pour venir en aide aux dirigeants ont été créés localement par des CCI, des organisations professionnelles, comme la Capeb et la Fédération française du bâtiment, et par plusieurs associations de dirigeants. Entre 60 000 Rebonds, Second Souffle, les dispositifs Apesa qui se déploient au sein des tribunaux de commerce (comme récemment dans les Côtes-d'Armor) ou encore la Fondation Entrepreneurs en détresse, l’offre associative venant en aide aux chefs d’entreprise en difficulté s’est considérablement étoffée.

De bon augure pour le dirigeant, qui ne doit pas non plus oublier que « la capacité d’adaptation des entrepreneurs, le fait d’assumer la conséquence de leurs actes et d’être maîtres de leur destin, ainsi que le fait d’avoir une bonne estime de soi a aussi des côtés très positifs pour l’espérance de vie », assure Olivier Torres. Une façon d’affirmer qu’entreprendre présente des risques, mais que, finalement, c’est bon pour la santé !

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