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Beneteau : « Il faut donner de la flexibilité à notre schéma industriel »
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Jérôme de Metz PDG du groupe Beneteau Beneteau : « Il faut donner de la flexibilité à notre schéma industriel »

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Son plan pour améliorer la rentabilité, la réorganisation des équipes mais aussi des usines : Jérôme de Metz dévoile sa vision de l’avenir pour le leader mondial de la plaisance. Au travers de sa stratégie, le financier, qui a repris la barre du groupe Beneteau en juin dernier, raconte le parcours atypique qui l'a mené jusqu’à la direction du groupe vendéen.

Nommé en juin dernier, le financier Jérôme de Metz, dévoile son plan de bataille pour améliorer la rentabilité opérationnelle du groupe Beneteau. — Photo : Jéromine Doux- JDE

Le Journal des Entreprises : Vous avez été nommé PDG du groupe Beneteau en juin dernier, notamment pour augmenter la rentabilité opérationnelle du groupe. Qu’est-ce qui explique que les objectifs de rentabilité du fabricant de bateaux n’aient pas été atteints ?

Jérôme de Metz : Hervé Gastinel avait fait un gros travail de développement. Aujourd’hui, nous avons 12 marques, 200 produits dans notre catalogue et la moitié à moins de trois ans. Nous avons donc beaucoup investi ces dernières années. Il est encore tôt pour dire si ces lancements de produits ont freiné la rentabilité opérationnelle, mais c’est probable.

« Nous avons des produits qui se font concurrence. »

Quand vous lancez beaucoup de produits, cela demande des coûts de formation, plus de temps de production, etc., afin de changer les outillages. Il y a des coûts liés au développement. Cela pèse forcément sur la rentabilité. Nous avons également eu des retards, quelques problèmes au niveau du service après-vente et des petits soucis de qualité.

Est-ce que cela explique la baisse du cours de Bourse ?

J. d M. : C’est cyclique. Nos concurrents ont baissé un peu aussi. Dans le plan précédent, nous avions fixé un certain nombre d’objectifs à l'horizon 2020, qui vont être difficiles à atteindre en termes de rentabilité, indépendamment de l’évolution de la conjoncture. Nous avons des retards dans notre plan de progression, dus en partie à un très grand nombre de références de produits.

Le cap de Jérôme de Metz chez Beneteau : rentabilité et efficience

Quelles sont vos missions pour tenter d’améliorer cette rentabilité ?

J. d M. : Nous avons besoin de rationaliser notre portefeuille de produits. Nous sommes en train de faire une évaluation. Nous avons forcément des produits qui sont sur les mêmes segments de marché et se font concurrence entre eux. J’ai deux principales missions qui se résument par plus de cohérence et de transversalité. Du côté des produits, mais également des équipes.

Jérôme de Metz dirige le leader de la plaisance, le groupe Beneteau, qui emploie 7000 salariés. — Photo : Jéromine Doux - JDE

Au sein du groupe Beneteau, il y a énormément de talents. L’objectif est de les faire davantage travailler ensemble. Quant aux produits, nous avons créé une nouvelle direction pour favoriser la transversalité.

Quel est l’objectif de cette nouvelle direction stratégie produit ?

J. d M. : L’idée est d’avoir un patron de tous les produits, de tous les chefs de produits, marketing du groupe et de tous les réseaux. Gianguido Girotti est le directeur général délégué en charge de la stratégie produit. C’est un designer et un architecte naval. Il a une connaissance fine de la stratégie marketing. Il sait quel produit mettre sur quel marché, à quel moment.

Vous avez créé une autre direction qui concerne l’excellence opérationnelle. Pourquoi ?

J. d M. : Un service consacré à l’excellence opérationnelle existait déjà, mais il était limité à l’Europe. Donc nous l’avons élargi à l’ensemble de nos usines avec Christophe Caudrelier, en charge de l’ensemble des opérations industrielles. Son but est d’améliorer l’efficience industrielle.

Lorsqu’on lance un produit, on estime son coût en fonction des matières et du temps passé à le fabriquer. Si on met plus de temps que prévu, nous ne sommes pas efficients et obligés de réduire nos marges. C’est là que nous devons progresser. Nous sommes en retard sur certains sujets d’efficience. On dépasse les temps standards.

« Sur le segment des catamarans, nous avons du mal à servir tous nos clients. Nous avons trop de commandes. »

Nous avons également deux autres sujets : la qualité, qui s’est un peu dégradée, notamment à cause de la montée en puissance du nombre de références, et la sécurité. Nous avons des taux d’accidents de travail élevé, en particulier en France.

Concrètement, quels sont les changements que vous voulez opérer ?

Le groupe Beneteau, basé à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée, est le leader français du nautisme. — Photo : Beneteau

J. d M. : Nous voulons spécialiser de plus en plus les usines par type de produits et non par marques. Certaines de nos usines sont en sous-capacité, d’autres en surcapacité. Il faut donner un peu de flexibilité à notre schéma industriel d’ensemble. Nous avons un parc d’usines qui permet de faire face à nos besoins. Sur le segment des catamarans, qui est le plus dynamique, nous avons du mal à servir tous nos clients. Nous avons trop de commandes.

L’idée est de libérer de la place. La production de yachts à Bordeaux a, par exemple, été transférée en Italie pour avoir plus d’espace dans l’usine bordelaise, où l’on fabrique aussi des catamarans. Ce transfert avait été lancé par Hervé Gastinel et nous avons accéléré le processus.

De la finance au nautisme : le parcours de Jérôme de Metz

Les précédents PDG du groupe étaient plutôt des industriels. Vous, vous venez du monde la finance. Quel est votre parcours ?

J. d M. : Je suis un amoureux de la vie. J’ai toujours suivi plusieurs voies en même temps. J’ai fait des études classiques : une école de commerce, puis je suis devenu expert-comptable. J’ai fait six ans d’audit, avant d’être nommé directeur financier dans une grande entreprise informatique. Et j’ai eu la chance d’être parmi les pionniers d’un métier que je ne connaissais pas du tout : le private equity. Cela consistait à évaluer les qualités d’un entrepreneur et la pertinence de sa stratégie pour l’accompagner en fonds propres et en coaching. Grâce à cela, j’ai pu exercer pleins de métiers.

Vous avez ensuite créé votre propre entreprise, MBO Partenaires…

J. d M. : L’entreprise dans laquelle je travaillais a été rachetée par une banque et je ne voulais pas continuer à travailler pour cette structure bancaire. Je suis donc parti avec mon équipe et j’ai créé ma propre société en 2002, à Paris. Notre stratégie était de racheter des PME ou des ETI, afin de les aider à se digitaliser et surtout à s’internationaliser. Nous avons donc créé des bureaux supports dans les pays émergents, en Chine, en Inde et au Brésil, en mutualisant les forces de business développement. Une sorte de Ubifrance (l’ancienne agence française pour le développement international des entreprises, devenue Business France, NDLR) privée, qui n’a pas coûté un seul euro aux contribuables. L’objectif était donc de développer les affaires des 40 entreprises que nous avions dans notre portefeuille.

« J’ai créé sept ou huit entreprises dans ma carrière. »

Ce métier m’a beaucoup ouvert l’esprit sur des cultures et des métiers différents. En parallèle, j’ai donc créé moi-même des entreprises dans ces pays. Une société en Chine qui importe du vin français, une autre en Inde, une troisième au Maroc, spécialisée dans l’informatique. Au total, j’en ai créé sept ou huit.

Jérôme de Metz, PDG du groupe Beneteau, au Salon Nautique du Grand Pavois à La Rochelle. — Photo : Jéromine Doux - JDE

Dans ma principale entreprise, mes clients me confiaient de l’argent pour racheter des sociétés, donc j’avais des institutionnels comme Axa, la Deutsche Bank, Bpifrance, mais aussi des grandes familles, comme la famille Mulliez, notamment propriétaire d’Auchan. Cette famille est très puissante dans la grande distribution, mais elle a aussi énormément d’entreprises en dehors de ce domaine. Je m’occupais donc de ces sociétés, j’étais administrateur de leur holding. Ils sont, par exemple, numéro 1 des énergies renouvelables au Brésil ou leader des maisons de retraite en Espagne. Moi, j’avais une expertise pour les accompagner dans leur développement. J’ai fait cela pendant quinze ans. Accompagner des projets très ambitieux, des personnes qui ont besoin de se structurer, c’est ce que je préfère.

Comment vous êtes-vous rapproché du groupe Beneteau ?

J. d M. : Quand on fait du private equity, il y a un métier dans le métier, c’est de lever de l’argent. Dans ces cas-là, les personnes qui vous confient des fonds viennent soit des institutions, des banques ou des assurances, soit des grandes familles.

C’est dans ce cadre-là que j’ai rencontré Annette Roux, administratrice, présidente de la fondation d’entreprise Beneteau et petite fille du fondateur du groupe. C’est un ami commun, Yves Lyon-Caen, qui nous a présentés. Ancien président du Crédit national, il avait racheté l’entreprise dans laquelle je travaillais en 1992, puis il est devenu président du conseil de surveillance du groupe Beneteau. J’ai toujours gardé contact avec lui.

« Chez Beneteau, nous avons une force industrielle unique. »

En 2015, l’environnement économique du private equity ne me convenait plus : c’était devenu très judiciarisé, très réglementé, cela freinait notre créativité. Au total, nous avons dû lever 750 millions d’euros. Mais à la fin, ça ne m’amusait plus. Donc j’ai revendu mes parts à mes associés. Et à ce moment-là, Yves Lyon-Caen m’a proposé de venir travailler dans le groupe Beneteau et de devenir administrateur pendant l’été 2018.

À ce poste, j’estimais que mon rôle était de challenger le management sur trois sujets : la stratégie, l’exécution et les risques. Pour cela, il faut être proche des réalités de l’entreprise. D’abord des hommes et des femmes. J’ai donc rencontré les équipes du groupe. Puis des produits, que j’ai découverts sur les salons, et enfin des process. J’ai donc visité plusieurs usines. Et c’est à ce moment-là que je suis tombé amoureux du groupe.

J’y ai trouvé des gens passionnés, des marques très fortes, au nombre de 12, des réseaux impressionnants avec 1 300 concessionnaires et distributeurs dans le monde, mais aussi des bureaux d’étude puissants avec 500 salariés. Nous avons une force industrielle unique, à travers 8 usines dans l’habitat, 20 dans le bateau. Tous ces atouts m’ont impressionné.

Comment êtes-vous devenu ensuite président-directeur général ?

J. d M. : Quelques mois plus tard, Yves Lyon-Caen, alors président du conseil d’administration du groupe, a indiqué, à 68 ans, qu’il voulait prendre un peu de recul. Dans le même temps, le groupe a décidé de transformer son mode de gouvernance en société à conseil d’administration et direction générale. Le conseil d’administration m’a élu administrateur indépendant, président du conseil, et Louis-Claude Roux, vice-président. Il a également nommé Hervé Gastinel directeur général.

Voilier de marque Beneteau — Photo : Doux

Le 16 juin, le conseil d’administration a choisi de mettre fin à son mandat de directeur général et à ses autres fonctions au sein du groupe et de me confier la direction générale de Beneteau.

Vous connaissiez le milieu de la plaisance ?

J. d M. : Je suis Breton, j’ai une maison dans les Côtes-d’Armor et je fais du bateau depuis que j’ai 5 ans. Je ne suis pas un expert, je n’ai pas traversé l’Atlantique en solitaire mais je fais de la voile et du moteur. Le produit, je l’aime, il me parle, je le comprends et je le pratique. Même si je ne suis pas un passionné.

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