Une imprimante numérique, une découpeuse, une contre-colleuse, une presse, une filmeuse et encore quelques autres dédiées à l’assemblage des boîtes et au convoyage. Au total, huit machines composent la toute première ligne de production du fabricant de puzzles Alizé Group à Behren-lès-Forbach en Moselle. Installée au deuxième semestre 2021, cette ligne représente un investissement total de 2,7 millions d’euros. La Région Grand Est y contribue à hauteur de 260 000 euros et l’exécutif, via son plan France Relance, à hauteur de 650 000 euros. Additionnées, les aides publiques permettent de financer un tiers du projet. "Nous avons depuis longtemps l’ambition de rapatrier notre production de puzzles en France, raconte le fondateur et président d’Alizé Group Éric Lathière-Lavergne. Et notre dernière réflexion sur le sujet remonte à 2019. Nous avions dans l’idée d’investir 300 000 euros pour créer ici en Moselle une coentreprise avec nos partenaires turcs. Mais avec la crise, nous avons pris un tout autre virage. D’abord, nous avons eu peur parce qu’il a fallu tout arrêter pendant une semaine. Et puis, nous avons vu les chiffres exploser. La demande était telle que nous ne pouvions plus attendre. Dès le mois de mai 2020, nous nous sommes lancés dans un projet beaucoup plus ambitieux."
France Relance
C’est donc le retour en grâce du puzzle lié aux différents confinements qui a poussé Éric Lathière-Lavergne à se tourner vers ses actionnaires sur un business plan de production. La décision finale est prise en septembre 2020, à l’annonce du plan de relance national. "À 14 heures, le gouvernement publie le document, se souvient-il. À 15 heures, nous l’avons en main. À 16 heures, nous savons que nous sommes éligibles. Et deux semaines plus tard, nous déposons le dossier. Résultat : nous faisons partie des tout premiers lauréats de France Relance en Lorraine." Un record de vitesse pour cette société qui avait déjà préparé son projet dans les moindres détails. "Nous avions prévu d’investir mais France Relance nous a permis d’investir encore plus, se réjouit le président. Et c’est cela qui nous a donné le top départ de l’aventure."
Une aventure qui remonte à 2013 quand Éric Lathière-Lavergne dépose le bilan de son ancienne entreprise nantaise Avenue des Jeux : "À l’époque, je n’avais plus rien. J’avais mis tout mon argent dans le sauvetage de ma société qui n’a finalement pas abouti. Je suis donc allé sur un site de rencontre d’investisseurs. J’y ai partagé mon business plan et deux jours plus tard, deux investisseurs de Saint-Etienne m’ont contacté. En septembre de la même année, Alizé Group était né." Entretemps, l'entrepreneur prend sa voiture direction l’est de la France. "Je voulais vendre en Europe mais depuis Nantes, c’était très compliqué. J’ai donc pris mon GPS et j’ai longé la frontière entre Mulhouse et la Belgique à la recherche d’un entrepôt. C’est comme ça que j’ai atterri en Moselle."
Du négoce au made in France
Éric Lathière-Lavergne s’installe donc dans des locaux de 6 000 m² à Behren-lès-Forbach avec le soutien de ses actionnaires via deux holdings : Itinéraire Bis, la sienne, et Cryo, celle des investisseurs stéphanois (un nouveau tour de table devrait être finalisé à la fin mars 2022). L’activité se concentre alors sur le négoce de puzzles et dès 2014, Alizé Group crée ses propres marques : Bluebird, Art by Bluebird et Grafika. Sans oublier les accessoires liés au monde du puzzle Jig and Puz. Pour la fabrication, Alizé Group choisit la Slovaquie puis la Turquie et la Pologne. Pour le made in France, il aura donc fallu attendre la fin de l’année 2021. "Notre actionnaire majoritaire Cryo poussait depuis longtemps pour mettre en place une production française, glisse Éric Lathière-Lavergne. Or, jusqu’à présent, je considérais que nous n’étions pas assez solides. D’autant que le dépôt de bilan de mon ancienne entreprise m’a laissé des cicatrices et des dettes. Je n’avais donc pas encore la capacité financière pour me mettre en danger. Mais voilà, la crise est arrivée et en 2020, nous sortons un Ebitda de 2 millions d’euros et un résultat net après impôts de 1,5 million d’euros. La donne n’est alors plus du tout la même. Surtout, nous commençons à avoir de vraies perspectives puisque la demande en puzzles pendant la crise sanitaire n’a pas été un feu de paille. Même si elle est un peu redescendue en 2021, elle reste largement supérieure à son niveau de 2019. Je vous le confirme : le marché du puzzle a gagné de nombreux clients."
C’est donc en juillet que la première découpeuse est installée dans les locaux mosellans. La production, elle, démarre au début de l’hiver. Avec un objectif affiché : que le made in France représente 80 % des approvisionnements sur les marques d’Alizé Group. La Pologne et la Turquie restent dans la course pour les 20 % restant (le contrat avec la Slovaquie est aujourd’hui résilié). Au total, Éric Lathière-Lavergne annonce une capacité de production annuelle de 4 millions de boîtes. Mais à une seule condition : passer en 3x8 dès que possible. "Il faut que notre outil de production tourne au maximum, lance-t-il. Seule la demande pourrait nous limiter. Mais elle est là. Et elle est énorme. Je reçois des commandes tous les jours : des petites de 500 boîtes ou des énormes de 60 000 boîtes. Pour autant, je reste modeste dans mes prévisions à court terme. Je ne pense produire que 800 000 boîtes en 2022. Cela correspond à ce que je peux faire avec une seule équipe."
Investir le B2B
C’est pourquoi Alizé Group veut recruter. Et vite. La première équipe de sept personnes est au complet depuis la fin 2021. L’arrivée d’un informaticien dédié à la gestion de la production est également dans les cartons. L’entreprise, qui ne comptait qu’une vingtaine de salariés en 2020, en affiche désormais une quinzaine supplémentaire. À la fin de cette année 2022, son président en espère quinze voire trente de plus. Sans oublier le démarchage de nouveaux commerciaux indépendants. Déjà présente dans l’ouest et le nord de la France, la société mosellane souhaite évidemment étendre son influence au reste du pays. Son président a d’ailleurs commencé à créer une équipe de "super commerciaux" dédiés aux grands comptes comme Auchan, Carrefour et Leclerc. "Nous avons d’abord misé sur ceux que nous connaissions et donc nous nous sommes naturellement tournés vers l’Ouest de la France, berceau de Leclerc et ses centres culturels. Nous y avons d’ailleurs des gondoles magnifiques. Et nous avons l’intention de continuer à tisser notre toile."
Cette activité b to b, qui représente aujourd’hui 20 à 25 % du chiffre d’affaires d’Alizé Group via sa filiale allemande basée à Leipzig (deux salariés), n’a démarré que l’an dernier sur le marché français. "Avant d’installer cette ligne de production, je n’avais pas les bons prix de revient, explique le quinquagénaire. Aujourd’hui, je les ai et ils vont nous permettre d’investir massivement dans le b to b en France et en Europe." Pour ce faire, Éric Lathière-Lavergne peut donc compter sur ses super commerciaux mais aussi ses nombreux noms de domaines rachetés au fil de l’eau depuis la création de l’entreprise. Au total, 11 sites d’e-commerce sont aujourd’hui tombés dans son escarcelle que ce soit en France, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique ou encore en Autriche. "Un nouveau site Internet de production à la demande est également en préparation pour maximiser notre outil de production", confie-t-il.
Ravensburger dans le viseur
Après avoir engrangé 9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021, le dirigeant a bien l’intention de dépasser les 11 millions d’euros en 2022 et donc battre le record de 2020. Les 13 millions d’euros seraient même à portée de main. "En made in France, la demande est énorme et l’offre est quasi nulle. Faire mieux que 2020 ne sera pas d’une grande difficulté. J’ai des dizaines de commandes en attente et nous sommes le seul fabricant industriel de puzzles en France. Bien sûr, il y en a quelques autres mais ils produisent pour eux et n’ont pas leurs propres marques." Selon Éric Lathière-Lavergne, pour retrouver la trace des dernières pièces de puzzles fabriquées dans l’Hexagone, il faut remonter en 2001 quand le géant Ravensburger fermait son usine de Chalon-sur-Saône. Depuis, la place est libre et Alizé Group compte s’y installer pour de bon. Les ambitions sont grandes et la cible est toute trouvée : "Ravensburger détient 75 % du marché français mais je vous le dis, ça va changer", brave le Nantais. Lui qui aimerait bousculer le mastodonte allemand (CA 2020 : 632 M€ ; 2 300 salariés) jusque sur ses terres. "Si j’ai créé cette entreprise, c’est pour vendre en France mais surtout en Allemagne et en Europe. Nous réalisons 65 % de notre chiffre d’affaires à l’export dont 30 % en Allemagne. Sans oublier le Royaume-Uni qui, jusqu’au Brexit, représentait 12 % de notre activité. Mais ce marché est en train de s’effondrer. Un petit colis envoyé en Angleterre pour 5 euros nous en coûte trois fois plus désormais. C’est intenable." Alizé Group mise donc énormément sur l’Allemagne mais aussi sur la Belgique, l’Autriche, les Pays Bas ou encore le Danemark. Sans pour autant s’interdire de rêver à d’autres horizons. "Nous avons déjà envoyé des containers en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Colombie mais cela reste anodin. En revanche, le marché nord-américain est énorme. Pour y aller, il nous faudrait investir un million d’euros supplémentaires pour doubler nos capacités de production. Le marché asiatique, même chose. Mais nous n’en sommes pas là. Je préfère avancer étape par étape." Ou comme dans un puzzle : pièce par pièce.
Encore des tensions sur les matières premières
Comme la plupart des industriels, Alizé Group n’échappe pas à l’inflation actuelle des matières premières. Ses boîtes sont françaises, son papier est suédois et son carton est néerlandais (le leader allemand Ravensburger se fournit, lui aussi, aux Pays Bas) mais la flambée des prix n’épargne aucun pays européen. Seul réconfort, la situation n’entraîne pas de pénurie sévère et les réserves mosellanes sont loin d’être épuisés. "Je joue la sécurité, confie-t-il. J’ai assez de stocks pour tenir six mois. Le problème est que je n’ai pas vraiment la place pour tout entreposer." En effet, les 6 000 m² de la société sont déjà bien occupés par la ligne de production flambant neuve et les 500 000 boîtes empilées dans l’immense entrepôt. Même l’administration est un peu à l’étroit et quelque 600 m² de surface devraient être dégagés avant la fin de l’année 2022 pour agrandir les bureaux. Malgré cette tension accrue sur les matières premières, la production démarrée fin 2021 poursuit sa montée en puissance et Éric Lathière-Lavergne garde son optimisme : "D’accord, nous nous sommes pris 15 % d’augmentation sur nos prix de revient mais la situation est encore loin d’être critique. J’ai tellement de stocks qu’une fois le marché mondial détendu, je reviendrai sur des prix tout à fait normaux."
