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La Zone à faibles émissions inquiète l'industrie strasbourgeoise
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La Zone à faibles émissions inquiète l'industrie strasbourgeoise

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Dans la capitale alsacienne, les véhicules diesel seront interdits à partir de 2028. C’est une conséquence de la mise en place de la Zone à faibles émissions strasbourgeoise. Cette perspective préoccupe les industriels et particulièrement les transporteurs. Entre manque d’alternatives proposées par les constructeurs de poids lourds et calendrier jugé trop serré, ils tentent de trouver des solutions.

À Strasbourg, l’interdiction du diesel dans le cadre de la Zone à faibles émissions est prévue pour 2028 — Photo : Charlotte Stiévenard

L’Eurométropole de Strasbourg veut interdire le diesel sur son territoire d’ici à 2028. La capitale alsacienne fait partie des 11 premières agglomérations françaises à se doter d’une Zone à faibles émissions. Depuis la loi Climat et résilience promulguée en août 2021, c’est désormais une obligation pour celles qui comptent plus de 150 000 habitants. Dans les 33 communes strasbourgeoises, d’ici à six ans, seuls les véhicules portant la vignette Crit’Air 1 pourront circuler. Cette certification de la qualité de l’air s’échelonne sur cinq paliers, le plus polluant étant le Crit’Air 5.

Renouveler 90 % des véhicules professionnels

"Le principe de la ZFE est une nécessité pour faire face aux enjeux climatiques", souligne Jean-Luc Heimburger, le président de la Chambre de commerce et d’industrie Alsace Eurométropole, pour montrer la bonne volonté du monde économique. En pratique, la tâche s’avère conséquente. En mai 2021, l’Eurométropole de Strasbourg a mené une étude auprès de 901 entreprises du Bas-Rhin, dont 508 implantées sur le territoire de l’Eurométropole. Selon la CCI, le calendrier qui a débuté au 1er janvier 2022 est un "véritable défi car cela conduirait à renouveler 90 % des véhicules professionnels en un peu plus de six ans". Les entreprises les plus directement concernées sont, sans conteste, celles de la logistique et du transport.

Deux problématiques se posent. D’une part, il y a la logistique urbaine, celle dite du "dernier kilomètre". Il s’agit de véhicules de moins de 19 tonnes qui effectuent de très petites livraisons. Dans ce domaine, les premiers changements à Strasbourg ont été amorcés dès 2018. "Dans la grande île, nous avions déjà dû réduire le tonnage à moins de 7,5 tonnes", explique Michel Chalot, le président de l’Union des transporteurs d’Alsace qui compte 350 adhérents. Les véhicules Crit’Air 4 et 5, soit les plus polluants, sont interdits dans cette zone depuis 2019, mais selon Christophe Schmitt, le référent du groupe de travail du Medef Alsace sur la ZFE et directeur des relations institutionnelles du logisticien strasbourgeois Heppner (CA 2020 : 710 M€, 3 570 collaborateurs), "ce n’est pas là que réside la principale difficulté, le marché des véhicules légers est assez ouvert, il y a des véhicules électriques et à hydrogène".

C’est en matière de logistique industrielle, c’est-à-dire les camions allant jusqu’à 44 tonnes, que les plus grosses difficultés apparaissent, car la seule alternative actuelle au gasoil est pour l’heure le gaz, comme le Gaz naturel pour véhicules (GNV).

Peu de solutions alternatives

C’est dans ce type de véhicules qu’a choisi d’investir Heppner pour son parc de 264 véhicules de 3,5 à 26 tonnes. "Notre objectif est d’avoir 50 % de notre flotte de véhicules au GNV d’ici à 2025", explique Alexandre Tritschler, le directeur régional Alsace du groupe qui a investi 15 millions d’euros dans 71 premiers véhicules entre 2020 et 2021 loués au loueur de véhicules Fraikin, dont le siège est dans les Hauts-de-Seine. L’investissement est important pour Heppner, car ces véhicules "sont 25 à 30 % plus chers que les véhicules au diesel", souligne le directeur régional. Le groupe visait un retour sur investissement sur le temps long, grâce au prix du GNV, plus bas que celui du diesel, "mais ce n’est plus le cas depuis cet été", se désole le dirigeant.

Se pose aussi la question de l’approvisionnement. À Strasbourg, seules trois stations proposent du GNV, dont seulement deux pour les poids lourds. "Il y a parfois des files d’attente, ce sont des coûts induits", estime Christophe Schmitt du Medef. Une troisième station d’avitaillement au GNV pour les poids lourds devait voir le jour d’ici fin 2021, mais uniquement pour les grossistes du marché gare. Cette station mobile est installée par la société d’économie mixte SAMINS (Société d’aménagement et de gestion du marché d’intérêt national de Strasbourg ; 11 collaborateurs).

Des délais de livraison longs

Enfin, la difficulté principale réside du côté des constructeurs. Ainsi, ils sont trois sur le marché à proposer des véhicules au gaz : l’italien Iveco et les suédois Scania et Volvo. Certaines commandes ont jusqu’à un an de retard. Pour Michel Chalot, le président de l’Union des transporteurs d’Alsace, "ces délais ne sont pas uniquement liés aux pénuries. La production de véhicules au gaz est limitée. Il faudrait que les constructeurs développent leurs usines, mais il s’agirait d’investissements lourds pour un marché pas garanti, car le gaz est une solution intermédiaire avant l’arrivée de l’électrique ou de l’hydrogène". Selon Christophe Schmitt, du Medef, "en ce qui concerne cette dernière technologie, nous n’aurons pas une gamme de produits qui fonctionne avant dix ans".

Résultat : sur les 350 adhérents à l’Union des transporteurs d’Alsace, début décembre 2021, "seules huit entreprises avaient commencé à s’équiper en poids lourds de 44 tonnes au gaz, ce qui représente une vingtaine de camions sur 4 000 véhicules en Alsace", détaille Michel Chalot. D’autres, comme la société Voglertrans (CA 2020 : 800 000 euros, sept collaborateurs), installée au port de Strasbourg, ont misé sur une autre technologie, le biocarburant B100, avec une cuve de 20 mètres cubes, mais début décembre 2021, les camions roulant avec ce type de carburant étaient toujours considérés comme des Crit’Air 2.

Quel report modal possible ?

Une particularité de la ZFE strasbourgeoise suscite particulièrement la controverse : le port de la capitale alsacienne en fait partie, contrairement à celui de Lyon (Rhône) ou à celui de Gennevilliers (Île-de-France). Or, selon Régine Aloird, la présidente du Groupement des usagers du port (GUP), une association qui regroupe 90 entreprises sur les 250 du Port autonome de Strasbourg (PAS), "1 934 poids lourds et véhicules utilitaires entrent dans cette zone chaque jour, dont 20 % appartiennent aux établissements du port. 1 442 en sortent, dont 15 % appartiennent aux établissements du port".

Les industriels du port pourraient considérer que leur position géographique les avantage en matière de report modal vers le ferroviaire ou le fluvial, mais ce n’est pas aussi simple. Le papetier Blue Paper (CA 2020 : 160 M€, 160 collaborateurs) voit chaque jour 200 camions entrer et sortir de son site. Selon François Bru, son directeur général, "le report modal en train ou en bateau ne pourra concerner que 10 à 15 % de nos flux, car nos clients et fournisseurs ne sont pas tous embranchés ferroviaire ou au bord d’un fleuve". Il existe également d’autres obstacles au développement du report modal. La société néerlandaise Multi Modal Rail (MMR) - Intermodal Services (CA 2020 : 12 M€, huit collaborateurs) propose ce type de services. Or, "aujourd’hui, le ferroviaire et le fluvial sont taxés avec la redevance ferroviaire et les droits de port, assure Benjamin Hottier, son cofondateur. Le transport routier n’est sujet à aucune taxe".

Pour remédier à cela au niveau strasbourgeois, les ports de Strasbourg (CA 2020 : 30 M€, 210 collaborateurs) ont donc mis en place un nouveau dispositif d’incitation au report modal qui concerne le "dernier kilomètre". Ils garantissent la gratuité des circulations internes à leur réseau ferré portuaire de 105 kilomètres. De plus, la totalité de la redevance ferroviaire dans la zone portuaire pour les trafics nouveaux provenant du Bas-Rhin pour les opérateurs qui utiliseront les navettes ferroviaires pour le "dernier kilomètre", au lieu de la route, est gratuite pendant trois ans.

À Strasbourg, certaines sociétés ont bien compris qu’il fallait proposer des solutions alternatives, à l’instar de la société Urban Logistics Solutions (ULS) qui propose un service de livraison en barges couplées à des vélos cargos électriques. De plus, si l’électrique, n’est pas encore une solution pour les poids lourds, elle pourrait le devenir pour les salariés des entreprises. L’agglomération de Strasbourg a décidé de faire installer 1 000 points de charge électriques d’ici à 2026 sur son territoire. La commande a été passée à une coentreprise formée par Engie Solutions (CA : 10 Md€ ; 50 000 collaborateurs), l’entité du groupe Engie qui regroupe l’ensemble de ses activités d’efficacité énergétique et l’opérateur Freshmile (CA 2020 : 1,5 M€, 25 collaborateurs), installé à Entzheim. Ce dernier, voit dans l’installation des ZFE, une opportunité. "Nous avons une énorme demande du côté des flottes d’entreprise en France", révèle d’ailleurs Arnaud Mora, son dirigeant.

Des aides et dérogations

La ZFE ne sera, cependant, peut-être pas aussi stricte qu’elle en a l’air. L’agglomération de Strasbourg a décidé de proposer un système de dérogations pour les véhicules d’approvisionnement des marchés, les bétonnières ou encore les camions-bennes. "La liste n’est pas exhaustive. Si les entreprises peuvent démontrer qu’un véhicule Crit’Air 1 équivalent n’existe pas, elles pourront bénéficier de ces dérogations", explique Pia Imbs, la présidente de l’Eurométropole. Par ailleurs, l’agglomération va débloquer, dans un premier temps, près de 17 millions d’euros d’aide aux entreprises. Il s’agit de primes de 1 500 à 15 000 euros pour l’achat d’un véhicule Crit’Air 1 neuf ou d’occasion ou pour la conversion en véhicule électrique (Retrofit). Néanmoins, ce sera au monde économique de s’adapter à cette évolution qui va se généraliser. La Commission européenne a, en effet, dévoilé son Pacte vert en 2021. Elle propose d’interdire d’ici à 2035 la vente de véhicules à moteurs thermiques, dont font partie les véhicules diesel, à essence, mais aussi au gaz… Cette proposition pourrait marquer un tournant pour les industriels du vieux continent.

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