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Sobriété numérique : l’Occitanie passe à l’action
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Sobriété numérique : l’Occitanie passe à l’action

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Pionnier en matière de numérique durable, l’écosystème régional monte en puissance sur le sujet en pleine crise énergétique. Après un cycle de sensibilisation, il accélère une salve de projets portés par les organisations et les entreprises qui veulent changer les pratiques.

Après les mobiles, la marque héraultaise Smaaart crée une offre autour d’ordinateurs reconditionnés — Photo : SMAAART

Alors que la sobriété énergétique occupe tous les esprits, la filière du numérique s’interroge elle aussi de plus en plus sur l’impact environnemental de ses usages : nombre de terminaux utilisés dans les entreprises, débits de données dans les réseaux télécoms, volumes de données stockées dans les data centers, etc. Contrairement aux idées reçues, elle ne fait pas mieux que les filières traditionnelles sur ce critère. Selon un rapport de l’Ademe paru en 2022, le numérique représente 4 % de la consommation électrique française, avec une perspective à 20 % dans dix ans. En Occitanie, le cluster numérique régional Digital113 (200 adhérents) a été le premier en France à travailler la question, il y a près de 10 ans. Sur un sujet mal connu, sa première action a été de créer un événement annuel récurrent, le "Green IT Day", qui permet à ses adhérents de se saisir de ces questions et d’échanger sur des bonnes pratiques. Il a aussi mis en place un groupe de travail permanent ("factory" dans le jargon maison) dédié au "Numérique responsable et durable", avec le même objectif. "Nos membres sont engagés pour transformer le numérique et pour offrir des outils sobres, du point de vue énergétique, à leurs clients et partenaires. Or, le numérique est une industrie méthodique. Il faut aborder cet enjeu avec agilité, en se posant les bonnes questions. Notamment celle de la mesure, car sans données mesurées, il sera difficile d’atteindre cet objectif", analyse Emmanuel Mouton, président de Digital113.

Un sujet restant à défricher

C’est en effet le premier défi que doit relever la filière : par manque de connaissances, de données et d’outils de mesure adaptés à l’enjeu du numérique durable, le niveau de maturité des entreprises numériques sur le sujet est encore perfectible, et quasi nul dans de nombreux secteurs. Sur ce constat, Digital113 a peu à peu élargi l’audience du "Green IT Day" : démarré à l’échelle régionale, l’événement se positionne désormais comme l’événement référent sur le plan national. Pour sa huitième édition, tenue à Montpellier en novembre dernier, il est passé sur deux jours, embarquant de nombreux poids lourds tels qu’Airbus, la SNCF, EDF, Capgemini Europe, Pierre Fabre… Avec un degré d’ambition supérieur : "Notre volonté au cours des dernières années était de sensibiliser les entreprises régionales aux enjeux du numérique durable, à travers le partage d’informations notamment. Nous passons désormais à l’action, en insistant sur des cas concrets pratiques, démontrés chez les entrepreneurs engagés. Nous n’étions qu’une poignée à pouvoir faire ces transferts d’expériences il y a quatre ou cinq ans, alors qu’il y a au moins 50 adhérents capables de le faire aujourd’hui. De plus en plus d’entreprises de services du numérique (ESN) et d’éditeurs de logiciels régionaux intègrent un référent ou une équipe chargée du sujet", se réjouit Ronnie Garcia, PDG de l’entreprise montpelliéraine Ovéa (hébergeur de données et fournisseur d’accès au haut-débit) et pilote de la factory "Numérique responsable" chez Digital113.

Le numérique régional produit 0,23 %des émissions de CO2 en France

De son côté, EDF s’est rapproché d’un laboratoire de l’Université de La Rochelle pour mener une étude évaluant l’empreinte environnementale du secteur numérique en Occitanie. "Notre groupe, dont la mission est de décarboner ses solutions et ses services, est un grand consommateur de numérique dans ses achats et un grand créateur d’applications : il peut donc agir sur le sujet. Mais de quoi parle-t-on ? La mesure de toute action future reste un problème car les données disponibles sont souvent des chiffres nationaux", estime Muriel Biasiato, cheffe de projet Innovation & Numérique à EDF Occitanie. Bientôt finalisée, l’étude teste 3 méthodologies complémentaires : l’une d’elles utilise des données de niveau national pour en déduire des données homologues au niveau régional, selon divers critères d’impacts (nombre d’utilisateurs du numérique, d’entreprises, de data centers dans la région). Il en ressort que le secteur numérique régional produit 0,23 % des émissions de CO2 en France et représente 9 % de la consommation électrique totale des équipements numériques, ce qui place l’Occitanie en 4e position derrière l’Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, et Nouvelle-Aquitaine.

Une réduction de l’impact carbone de 40 %

Spécialiste des solutions cloud et gestionnaire de deux data centers à Montpellier, Ovéa (25 salariés, CA 2022 : 3 M€) a elle-même joué un rôle direct dans le défrichage du sujet. En 2014, l’ESN a été une des premières en France à réaliser une étude d’impact (ACV, ou analyse du cycle de vie) de ses services cloud. Grâce aux conclusions de cette étude et aux actions mises en œuvre, Ovéa a pu réduire son impact carbone et celui de ses clients de 40 % en moyenne. En 2021, l’entreprise s’est engagée dans "NegaOctet", un projet de recherche national piloté par l’Ademe visant à créer le premier référentiel mondial évaluant les impacts environnementaux des services numériques. "Nous contribuons au projet en mesurant l’impact de notre service de téléphonie dans le cloud. Ces informations vont alimenter la base de données du référentiel. Elle servira à calculer de futures analyses du cycle de vie (ou ACV), dans le milieu des bureaux d’études en particulier", précise Ronnie Garcia.

Les bénéfices du numérique vert

D’autres organisations régionales se sont associées à Digital113 pour se saisir elles aussi du sujet, avec leurs propres objectifs. Dès l’année 2018, la CCI Hérault a été la première chambre de commerce en Europe à lancer une action d’accompagnement des entreprises pour les aider à intégrer les principes de l’écoconception numérique : cette démarche vise à réduire la quantité des ressources utilisées (puissance du terminal, bande passante, nombre de serveurs…) dans la création de nouvelles solutions. Baptisée "Green Concept", l’opération, conduite au sein de 28 PME locales, a montré qu’il est possible de diviser par 3 les émissions de CO2 grâce à l’écoconception numérique. Elle a aussi débouché, en 2020, sur la publication d’un livre blanc, que Digital113 utilise dans ses propres actions de sensibilisation. De même, l’expérience acquise a permis à la CCI Hérault de lancer des programmes de formation sur le sujet, à raison d’une session par an : plus d’une centaine d’entreprises en ont bénéficié sur le plan national depuis 2018, y compris des groupes du CAC40.

Plan d’actions

Parmi les 28 bénéficiaires du premier Green Concept, l’entreprise montpelliéraine PriceComparator (8 salariés), qui édite un logiciel de veille concurrentielle et tarifaire en ligne, a pu mesurer via une ACV l’ampleur de son empreinte carbone : en effet, tous les jours, ses robots (algorithmes) scannaient des millions d’adresses URL pour former sa base de données. Le plan d’actions issu de ce diagnostic l’a conduite à réduire le volume de données téléchargées ou à remplacer l’interface par un simple courriel. Il a permis de réduire de plus de 75 % les principaux impacts (émission de CO2, consommation d’énergie primaire, mais aussi consommation d’eau et de ressources utilisées dans la fabrication des terminaux). "En réduisant notre empreinte, nous économisons en coûts d’achat de serveurs pour déployer le même service. Nous avons aussi continué à développer le logiciel selon cette même éthique : il est plus fluide et fonctionne plus vite pour le client, car il récupère 300 % d’informations en plus avec 78 % de téléchargements en moins ! Créer un code propre est une volonté RH, elle permet de donner du sens à une démarche mercantile, ce qui est important pour attirer des jeunes en période de pénurie de talents", résume Sébastien Bernis, PDG de PriceComparator.

Réduire l’impact carbonedes 2 milliards de sites existant

Développée par la société Numanis (9 salariés, CA 2022 : 400 000 euros), basée à Cambounet-sur-le-Sor (Tarn), Lisio est une marque qui permet d’augmenter l’accessibilité et, depuis 2021, l’écologie des sites internet, intranet et de la majorité des logiciels métier. Elle équipe aujourd’hui 250 sites web, de petites collectivités comme d’entreprises de plusieurs milliers de salariés. Créée en 2017, la société voit son chiffre d’affaires doubler chaque année, particulièrement porté par les deux solutions qu’elle a inventées en faveur de l’environnement, sous l’appellation Web4Green. "Nous avons imaginé des solutions plug and play, très simples à installer en quelques minutes, expose Eric Gayraud, fondateur et président de Numanis. Elles permettent de réduire l’impact carbone des 2 milliards de sites existants, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas été éco-conçus. La première permet de consulter des sites web en mode bas carbone. Il s’agit d’une version très allégée du site, par la réduction du poids des images par exemple, mais dans lequel sont conservées toutes les informations présentes sur chaque page."

Reforestation

La seconde tient à la mesure de l’impact carbone. Grâce aux données collectées, il est possible d’identifier les points précis sur lesquels agir. "Nous avons développé un calculateur carbone pour sites web, explique Eric Gayraud. Ceux qui existent déjà calculent l’impact carbone de la première page du site. Notre solution est plus complète puisqu’elle permet de mesurer l’impact carbone de toutes les pages d’un site en fonction de leur fréquence de consultation. En effet, ce ne sont pas forcément les pages les plus lourdes qui ont le plus d’impact mais celles qui sont le plus consultées." Lisio offre aussi à ses clients la possibilité de contribuer à des projets écologiques à hauteur de leurs émissions, celles qui ne peuvent pas être réduites. "Nous avons monté des partenariats avec des structures de reforestation, notamment l’association française d’agroforesterie, pour planter des arbres au milieu des cultures ou des élevages", précise le dirigeant. Pour soutenir sa croissance, l’entreprise envisage de lever des fonds en 2023 en ouvrant son capital à de nouveaux actionnaires.

La montée en puissance de 2023

Néanmoins, les données disponibles en France et dans le monde sur le numérique durable montrent que, plus que les applications, le matériel reste la plus grosse source d’émission. Sur ce maillon de la chaîne également, l’Occitanie affiche plusieurs acteurs en vue : le haut-garonnais Leasétic (20 salariés, CA2021 : 14 M€) aide les entreprises à optimiser la durée d’usage de leur matériel, tandis que l’héraultais Olinn IT (80 salariés, CA 2021 : 14,2 M€) se spécialise dans la reprise de parcs informatiques et flottes de téléphones mobiles, qu’elle reconditionne et recommercialise. De même, la marque héraultaise de smartphones reconditionnés Smaaaart (103 salariés, CA 2021 : 21 M€) a lancé, fin 2022, une gamme d’ordinateurs reconditionnés sur son site de vente en ligne. Son objectif à court terme est d’écouler 120 000 ordinateurs de toutes marques et modèles de PC et Mac d’ici la fin de l’année 2023. "C’est un marché encore émergent comme les smartphones reconditionnés il y a 4 ans, mais nous estimons que ce secteur a du potentiel au vu des défis environnementaux et sociétaux actuels", explique Jean-Christophe Estoudre, président de Smaaart.

Améliorer l’état de l’art

Après avoir contribué à améliorer l’état de l’art en matière de sobriété numérique, l’écosystème régional continuera à déployer de nouvelles actions, en 2023, pour la rendre plus efficiente. La CCI Hérault prépare une nouvelle édition de Green Concept, afin d’amplifier la mise en œuvre de l’écoconception numérique chez les PME locales. De même, elle prévoit, d’ici 2025, d’accompagner une dizaine de donneurs d’ordre (dont Suez ou l’Aéroport Montpellier Méditerranée) dans l’adoption d’achats responsables, parmi lesquels les systèmes informatiques. De son côté, EDF Occitanie utilisera les résultats de son étude pour installer un démonstrateur, en s’associant à des industriels tels que Continental et Pierre Fabre : le dispositif agrégera plusieurs actions expérimentales pour réduire les impacts là où ils sont mesurés dans les infrastructures de ces partenaires. Pour sa part, Digital113, entre autres priorités, continuera à accompagner des PME régionales vers l’adoption du récent label national "Numérique responsable".

La première entreprise française à le décrocher fut, en 2020, l’ESN héraultaise Isia (120 salariés, 4 sites en France) : adoptant l’écoconception numérique dans les services qu’elle développe pour ses clients, la PME a acquis par ce label une nouvelle visibilité et, en deux ans, a signé une vingtaine de grands comptes qu’elle ne pouvait pas approcher jusqu’alors (Groupe Mousquetaire, BPCE, Nexity…). Pour structurer sa démarche, elle va créer une business unit dédiée à l’écoconception qui dispensera conseils et formations. Riche de 10 salariés, ses effectifs passeront à 20 personnes d’ici 2024. "C’est une démarche plus simple à déployer dans les groupes qui ont déjà mis en place une politique de RSE. Du côté des start-up, certaines intègrent l’écoconception en phase de création de produits, mais pas la majorité. La plupart sont encore dans le mythe de la croissance à trois chiffres. Il reste un gros travail de sensibilisation sur le sujet à faire dans les écoles d’ingénieurs", évalue Jean-François Caplat, co-président d’Isia. Selon le dirigeant, la prise de conscience est progressive car la démarche est longue à déployer dans une entreprise : les services numériques étant partout, il faut embarquer l’ensemble des services, et changer les habitudes, du renouvellement des postes de travail jusqu’à la politique d’achats ou la gestion des parties prenantes. Mais pas au point de tout bousculer, insiste-t-il : "Il existe souvent des pratiques vertueuses, qu’il faut valoriser sous peine de démobiliser les salariés. L’écoconception suppose donc une stratégie de conduite au changement, où l’intelligence collective est un ingrédient capital. Il faut questionner le numérique sur ses impacts environnementaux mais aussi sur les usages auxquels on le destine. Je préfère parler de numérique responsable, plutôt que numérique durable. C’est une approche systémique, qui embrasse à la fois les aspects économique, environnemental et sociétal. Autant de leviers sur lesquels il faut jouer".

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