En Occitanie, l’industrie du vélo se structure pour accélérer
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En Occitanie, l’industrie du vélo se structure pour accélérer

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Plusieurs projets industriels animent la filière du vélo en Occitanie. Avec Vélo Vallée, dans le Gers, la région a été la première en France à créer un cluster destiné à favoriser le développement économique du secteur du cycle. De quoi alimenter le marché du vélo en France, en plein renouveau après la désindustrialisation des années 1990.

Le fabricant Pybex, basé à Tarbes (Hautes-Pyrénées), se singularise en offrant au client la possibilité de configurer son vélo en ligne — Photo : Lilian Cazabet

C’est un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. Dans les années 1970-1980, l’industrie du vélo a connu son apogée en France, portée par les marques Peugeot, Gitane, Mercier, Dilecta, MBK, et les équipementiers Manufrance, Simplex, Mavic, Zefal et Look. 80 % des vélos vendus dans l’Hexagone y étaient produits. Mais ce savoir-faire, à l’image d’autres pans de l’industrie, a périclité, notamment parce que, cantonné au loisir ou à la pratique sportive, le vélo n’était plus regardé comme un mode de transport utile. Conséquences : la qualité du matériel est passée au second plan, au profit d’une baisse des prix. Pire : depuis le début des années 1990, la France est devenue totalement dépendante de l’Asie pour la production de dérailleurs, de cadres, de freins, de fourches… L’urgence liée aux questions environnementales a bousculé cet état de fait et, progressivement, la volonté de relocaliser la production industrielle du cycle est devenue prégnante. L’électrochoc du Covid n’a fait qu’accélérer le processus de déploiement en France de solutions de mobilité douce.

Cyclelab ouvre son usine d’assemblage

En Occitanie, les acteurs du vélo ont commencé à s’organiser bien avant la crise sanitaire. Dès 2018, à l’initiative de plusieurs entreprises et de l’agence d’attractivité du conseil régional, naissait à L’Isle-Jourdain (Gers) le premier cluster français de la filière vélo : Vélo Vallée. Composé d’une quarantaine d’adhérents, il aide le développement économique et industriel des PME et entreprises artisanales de la filière, et contribue à la promotion sur le territoire de toutes les pratiques cyclistes. Le cluster est présidé par Denis Briscadieu, fondateur du groupe gersois Cyclelab (50 salariés, CA 2021 : 158 M€), acteur de la distribution regroupant près de 130 magasins sous les enseignes Culture Vélo, Vélo Station et Bouticycles, qui s’apprête à ouvrir au printemps Vélo Factory, une usine d’assemblage de cycles d’environ 1 500 m2 à L’Isle-Jourdain. Le groupe Cyclelab a investi 3,3 millions d’euros, soutenu à hauteur de 600 000 euros par la Région Occitanie et de 350 000 euros par le fonds de soutien à l’investissement industriel dans les territoires de l’État, dans ce projet, qui devrait créer une trentaine d’emplois dans les trois ans. L’usine assemblera des vélos pour le compte de distributeurs et pour de petites et grandes marques, notamment pour de nouveaux acteurs français du cycle. 7 500 vélos devraient être assemblés en 2023 par une douzaine de salariés.

De l’ingénierie à la production de masse

Parmi les pièces à assembler chez Vélo Factory pourraient figurer les cadres fabriqués par l’entreprise Milc Industry (13 collaborateurs, CA : 1,2 M€), basée à La Barthe-de-Neste (Hautes-Pyrénées), illustration de la complémentarité de la filière occitane. Émanation du bureau d’études ariégeois Antidote Solutions (8 collaborateurs, CA : 400 000 euros), spécialisé dans l’ingénierie pour les projets de mobilité légère, Milc a été créée en 2013 pour assurer le prototypage d’objets dessinés pour les clients d’Antidote et leur production en petites séries. “La métallerie du tube nous permet de fabriquer les cadres et nous disposons aussi d’un atelier de logistique et d’assemblage”, explique Thomas Lecompte, dirigeant de Milc et vice-président de Vélo Vallée. Afin de pouvoir produire à plus grande échelle, l’entreprise a lancé en 2021 le projet V-Mocc, qui consiste en la création d’une usine de fabrication de cadres, au sein de laquelle elle déménagera son siège social. Milc va ainsi investir entre 3,5 et 4,5 millions d’euros pour implanter cette unité dans la friche industrielle de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), dont l’ouverture est prévue fin 2025.

Fondateur à Toulouse de l’enseigne Florian’s Coffee, un concept de vélo triporteur équipé d’une machine à café professionnelle, Florian Marcos s’est tourné vers Milc Industry pour se doter d’un vélo-cargo parfaitement adapté à son activité. Ainsi est né Florian’s Bike, devenu membre de Vélo Vallée, qui produit des vélos robustes et fiables conçus pour le transport de charges lourdes. “Avec ce système, il devient possible de transporter par exemple deux machines à laver, ou des cartons, ou encore de créer un commerce ambulant de crêpes, de pizzas…”, appuie l'entrepreneur. Ses premiers vélos aménagés, dont les prix s’échelonnent de 15 000 à 25 000 euros, ont été vendus à des autoentrepreneurs. Le vélo triporteur seul, lui, est commercialisé à 7 000 euros. Technologiquement complexes, les vélos-cargos sont construits en petites séries et constituent un objet idéal pour une production locale. Ils se trouvent par ailleurs parfaitement adaptés à la "cyclologistique" urbaine, qui permet de réduire les nuisances causées par les livraisons des véhicules utilitaires légers tout en répondant aux enjeux des zones à faibles émissions.

Un écosystème au pied du Viaduc de Millau

Acteurs majeurs de l’écosystème du vélo, les fabricants sont, eux, encore peu nombreux en Occitanie. L’entreprise Wish One (chiffre d'affaires non communiqué), basée à Creissels (Aveyron), projette de créer une unité de fabrication et d’assemblage de vélos "gravel" (type de vélo de route adapté à tous les terrains), épicentre d’un écosystème consacré à ce type de cycles : de la fabrication à la formation, en passant par l’organisation d’événements d’envergure mondiale et l’entraînement de sportifs. Cette dynamique devrait s’accélérer dans les prochains mois avec la création de la “Manufacture Occitane”, au pied du Viaduc de Millau (Aveyron), lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt “Manufacture de proximité”. Il devrait déboucher sur la création d’une dizaine d’emplois et la construction d’un outil partagé autour du vélo.

Ancien de chez Milc, Thibaud Fougereuse, lui, vient de relever le pari de lancer sa propre marque, Pybex, basée à Tarbes (Hautes-Pyrénées). “J’ai toujours eu ce projet en tête, explique ce jeune chef d’entreprise de 22 ans, qui a levé 82 000 euros pour le faire naître. Les gros problèmes d’approvisionnement auxquels se heurtent les fabricants m’ont fait penser qu’il y avait une opportunité.” Les délais de livraison des pièces en provenance d’Asie compliquent en effet grandement la production et, donc, l’acquisition de vélos. Pybex se singularise en se fournissant essentiellement en France et en offrant au client la possibilité de configurer son vélo (VTT ou route) en ligne, de la dimension du cadre à sa couleur en passant par tous les équipements. Dans son atelier, Thibaud Fougereuse utilise un logiciel de conception assistée par ordinateur pour créer le vélo. Seule la peinture thermolaquée du cadre est sous-traitée. “Le prix d’un cadre VTT semi-rigide est de 1 200 euros et, pour un vélo de route, il faut compter 2 200 euros pour le cadre, le jeu de direction et la fourche en carbone, expose-t-il. Pour un vélo personnalisé made in France, ce sont vraiment des prix très corrects.”

Travailler avec la sous-traitance automobile

Depuis sa création en 2013, Caminade (6 salariés, CA 2022 : 640 000 €), fabricant basé à Ille-sur-Têt (Pyrénées-Orientales), s’illustre, lui, en misant sur le haut de gamme sur-mesure. Son premier modèle, vendu de 6 000 à 10 000 euros, est fabriqué par soudure en quatre jours. Son deuxième vélo, de facture machinée/collée, est produit plus vite, en une demi-journée. L’entreprise fabrique des cadres en titane dans son atelier de 600 m2 ouvert en 2021, et complète le montage avec des pièces sourcées en Europe. Elle n’a produit que 150 vélos en 2022, ses plus fortes ventes se concentrant sur les vélos gravel. “Mais l’avenir est au vélo urbain. C’est le seul modèle qui pourrait permettre aux fabricants français de faire du volume, analyse Brice Epailly, fondateur de Caminade. Pour cela, il faut encore lever des verrous techniques, car aucun acteur ne maîtrise toute la chaîne.”

À cette fin, le bureau d’études de Caminade se rapproche de la start-up lyonnaise Ultima Mobility, cofondée par Brice Epailly, qui se lance dans l’aventure du vélo électrique. Son pari : collaborer avec des sous-traitants automobiles, frappés par la baisse des ventes depuis la crise sanitaire, qui cherchent de nouveaux débouchés. La première innovation issue de cette démarche porte sur un injecteur pour cadre de voiture, modifié pour produire un cadre de vélo. “Pour peser face aux fabricants asiatiques et espérer créer des emplois dans la filière, il faut que les techniques de fabrication correspondent au savoir-faire français : c’est une question de technologie, et non pas de main-d’œuvre à bas coût”, veut croire Brice Epailly.

Ce savoir-faire français est aussi celui de l’ETI toulousaine Actia Group (CA 2021 : 462,8 M€, 3 600 collaborateurs), qui fabrique des systèmes électroniques embarqués pour l’aéronautique et l’automobile et membre de Vélo Vallée. Fin 2021, le groupe s’est diversifié en construisant des moteurs et des batteries pour les vélos à assistance électrique (VAE). Les batteries sont fabriquées sur son site tunisien et les autres composants dans son usine de Colomiers (Haute-Garonne). Dans le sillage d’un marché du VAE en plein boom, Actia Group prévoit un chiffre d’affaires de 30 à 50 millions d’euros à l’horizon 2025 pour cette activité.

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