Amazon peut-il réussir à s'implanter en Normandie ?
Enquête # E-commerce # Implantation

Amazon peut-il réussir à s'implanter en Normandie ?

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Le géant mondial du e-commerce Amazon étudie plusieurs possibilités d’installations de plateformes logistiques en Normandie, notamment à Mondeville (Calvados) et à Petit-Couronne (Seine-Maritime). Mais, malgré de fortes perspectives de créations d’emplois, le groupe américain est loin d’être le bienvenu dans la région. Explications.

Amazon multiplie les centres logistiques en France. En Normandie, la maire de Mondeville a mis les pieds dans le plat en s'opposant à l'implantation du groupe américain. — Photo : © Wikipedia

Les rumeurs d’implantation d’Amazon en Normandie se multiplient. Deux sites seraient susceptibles d’intéresser le géant américain du e-commerce : à Mondeville, aux portes de Caen et à Petit-Couronne, à côté de Rouen, sur le site de l’ancienne raffinerie Petroplus. Interrogé, Amazon France nie pourtant tout projet d’implantation dans une région où le groupe n’est pas encore présent : « Nous n’avons, à ce jour, rien à annoncer sur la région Normandie. Le développement d’un site logistique est un projet complexe, qui se fait sur le long terme. Il y a un temps pour tout, mais il est certain qu’Amazon souhaite développer ses capacités en France pour répondre à la croissance de la demande client. » La direction française du site de e-commerce américain reconnaît que certains projets sont « à l’étude » mais aucun n’est pour le moment « confirmé » : « D’une façon générale, un projet immobilier, cela prend du temps et demande énormément de démarches, et au final, peut s’avérer injustifié pour de nombreuses raisons », reconnaît la direction d’Amazon.

L'ancien site de Petroplus à Petit-Couronne pourrait intéresser Amazon — Photo : © DR

150 emplois à Mondeville

À Mondeville, c’est la maire de la commune Hélène Burgat qui a levé le lièvre à la fin du mois de novembre, en affichant d’emblée une opposition déterminée, similaire à celle de la commune de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis). Le géant américain du e-commerce aurait, en effet, entamé des tractations, via un aménageur privé, pour installer un entrepôt logistique de 10 000 m2 sur un terrain privé de 50 000 m2 à Mondeville, appartenant à l’entreprise Bosch. La plateforme de distribution serait destinée à optimiser les délais des commandes à destination du Calvados. Selon la mairie de Mondeville, la plateforme permettrait de créer 150 emplois.

Un argument insuffisant pour le maire de la ville Hélène Burgat (divers gauche), farouchement opposée à cette implantation, de même que le président de Caen la Mer et maire de Caen, Joël Bruneau. Des réactions qui tranchent avec celles affichées par les élus des Hauts-de-France, lors des arrivées d’Amazon à Lauwin-Planque (Nord) et à Boves (Somme). Le logisticien y a été accueilli à bras ouverts, créant au total 2 800 emplois en CDI, sur les 9 300 qu’il compte en France. De même qu’à Senlis (Oise), où Amazon a confirmé le 10 janvier dernier, l’ouverture d’un nouveau centre de distribution de 55 000 m2. Ce 23e centre en France (le second de Picardie) devrait déboucher, selon le groupe, sur la création de 500 emplois en CDI. Une implantation vécue comme une bouffée d’oxygène par les élus de la commune et les demandeurs d’emploi du territoire. Avec des chiffres qui peuvent être démultipliés en périodes de fêtes. Ainsi, le géant américain de l’e-commerce annonçait le recrutement de 9 000 intérimaires en France dont 3 800 en Hauts-de-France pour la période des fêtes de fin d’année.

L’attaque de l'ancien secrétaire d'État au numérique Mounir Mahjoubi

De son côté, à Mondeville, Hélène Burgat dénonce l’impact social, économique et environnemental que pourrait avoir le géant du e-commerce. « La création d’entreprise ne doit pas se faire au détriment de l’intérêt commun », avance l’élue qui se base sur une note rédigée par Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État au numérique en 2019. La note d’analyse intitulée « Amazon : vers l’infini et Pôle Emploi » a réalisé une estimation de l’impact sur l’emploi de la société américaine en France : « Amazon détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée. À chiffre d’affaires équivalent, ses entrepôts embauchent 2,2 fois moins de salariés que les commerçants traditionnels. Son activité retail, soit hors marketplace, a potentiellement supprimé 10 400 emplois dans le commerce de proximité (en équivalent temps plein). Marketplace comprise, ce seraient 20 200 postes en moins », assure l’ancien secrétaire d’État.

Photo : © Amazon

Très remontée, Hélène Burgat affirme que « de nombreux rapports révèlent que pour un emploi créé par Amazon, plus de deux seraient détruits dans le commerce physique traditionnel. À Mondeville, la promesse est de 150 emplois nets créés : combien de centaines seraient détruits sur l’agglomération ? En termes d’impôt, premier levier de la solidarité : l’essentiel du chiffre d’affaires d’Amazon réalisé en France serait dissimulé. Ses bénéfices seraient très largement sous-estimés, grâce à un système d’optimisation, d’évasion fiscale via le Luxembourg. En échappant à l’impôt, non seulement Amazon ne prend pas sa part de la solidarité, mais elle pratique également une concurrence déloyale qui pèse sur tout le secteur de la vente en ligne et sur le commerce physique. De plus, les conditions de travail et les techniques managériales imposées à une main d’œuvre précaire et peu qualifiée seraient particulièrement pénibles. Enfin, en termes d’impact environnemental, le volume des achats (15 milliards par an), le stockage numérique de ses données, et le développement de la livraison ultra-rapide impactent fortement l’environnement. »

Un modèle économique contesté

Consciente du peu de marges de manoeuvre dont elle dispose au niveau juridique, la maire de Mondeville se veut ferme face à l’ogre américain : « Nous devons envoyer un signal fort à Amazon pour qu’il sache qu’ici à Mondeville, son modèle économique et plus largement, son modèle de société, ne sont pas les bienvenus. » Une opinion suivie par une grande majorité d’élus et de représentants du monde économique normand et ce, malgré la promesse de créations d’emplois. Pour le président de la Chambre de commerce de Caen, Michel Collin : « Le modèle d’Amazon n’est pas celui que l’on souhaite pour la société française. Notre pays et notre région sont fortement attachés à la proximité et à l’accompagnement », reconnaît le président de la CCI sans pour autant contester « l’importance de la digitalisation progressive des entreprises ».

Pour Damien Charrier, président du Medef du Calvados, il faut prendre le problème à la source : « Certes, nous ne pouvons pas être contre de la création d’emplois quel qu’en soit l’initiateur, mais ce que l’on peut combattre, c’est que ces créations d’emplois soient faites dans des conditions de dumping fiscal. Nous devons mettre sur un même niveau de fiscalité les Gafa et les entreprises françaises… »
Contactés, ni le Président de la Région Normandie Hervé Morin, ni la vice-présidente en charge de l’économie Sophie Gauguin, n’ont souhaité s’exprimer sur le dossier.
À Rouen, seule la liste écologiste « Réenchantons Rouen » menée par Jean-Michel Beregovoy s’est exprimée (à l’heure où nous écrivons ces lignes) en la défaveur de l’implantation éventuelle d’un site logistique Amazon : « Cette annonce est d’autant plus scandaleuse qu’une subvention a été votée pour aménager des dessertes du site de Petroplus lors du dernier conseil métropolitain. Les écologistes avaient alors sollicité la Métropole sur la nature des activités susceptibles de s’y installer. À ce moment, le gestionnaire du site, la société Valgo, s’était bien gardé d’évoquer l’installation d’Amazon » s’insurge la tête de liste.

Près de 10 000 salariés Amazon en France

À toutes ces critiques, la direction d’Amazon répond et avance des chiffres. « Les chiffres du ministère de l’Économie et de l’Insee ne confirment pas les conclusions de Monsieur Mahjoubi : entre 2013 et 2016, il y a eu 100 000 emplois créés dans tout le commerce en France avec une contribution d’Amazon à hauteur de 5 000 emplois aux mêmes dates. Amazon est également devenu l’un des principaux créateurs d’emplois en France. En trois ans, nous avons plus que doublé nos effectifs et compterons plus de 9 300 collaborateurs à la fin 2019. » À ces emplois directs s’ajoutent des dizaines de milliers d’emplois indirects, créés en France grâce à l’activité d’Amazon. Selon l’institut Keystone, les entreprises qui font partie de la chaîne d’approvisionnement d’Amazon – notamment dans les secteurs de la construction, des services aux entreprises – ont créé plus de 13 000 emplois supplémentaires en France. Par ailleurs, les PME et les entrepreneurs qui recourent aux services et au réseau logistique pour développer leur activité, notamment en vendant leurs produits sur les places de marché en ligne, ont créé plus de 10 000 emplois supplémentaires. « Au total, Amazon est ainsi à l’origine de plus de 30 000 emplois répartis sur l’ensemble du territoire Français » confirme-t-on dans les rangs d’Amazon.

Et les entreprises françaises ne sont pas les dernières à s’intéresser au géant du e-commerce si l’on en juge les Amazon Tour organisés en France. Ainsi lors de son escale toulousaine en septembre 2019, destinée à présenter la marketplace d’Amazon aux TPE et PME françaises, près de 110 entreprises ont répondu présentes et se sont penchées sur l’intérêt de vendre leurs produits sur la plateforme américaine. Moyennant un abonnement mensuel de 39 euros et une commission sur les ventes réalisées, 10 000 TPE et PME françaises utiliseraient les services d’Amazon pour commercialiser leurs produits, ce qui générerait un chiffre d’affaires annuel de 350 millions d’euros. Au final, Amazon réalise 58 % de son chiffre d’affaires via ces ventes par des tiers.

Amazon emploie sur le territoire français plus de 9 300 collaborateurs — Photo : © Maxime Huriez

Un maire peut-il refuser l’implantation d’une entreprise ?

Selon Jean-Jacques Thouroude, avocat honoraire et consultant juridique à Caen, « s’il est vrai qu'un maire est seul compétent pour opposer un éventuel refus du permis de construire à une société, un tel refus ne pourrait se fonder que sur des motifs liés au non-respect des règles d’urbanisme prévues par le plan local d’urbanisme, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État. L’article L 421-6 du code de l’urbanisme dispose en effet, que "le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords et s’ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d’utilité publique". À titre d’exemple, le permis de construire d’Amazon pourrait valablement être refusé si le projet n’était pas conforme aux dispositions du PLU de la commune de Mondeville, ou s'il était de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations, selon l'article R 111- 2 du code de l’urbanisme. »

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