« La priorité est que les entreprises restent compétitives »
Interview # Conjoncture

Christelle Morançais présidente du Conseil régional des Pays de la Loire et Paul Jeanneteau vice-président du Conseil régional des Pays de la Loire en charge des Entreprises « La priorité est que les entreprises restent compétitives »

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Un plan et un cluster pour la filière nautique, des subventions pour aider les commerces à se moderniser mais aussi une meilleure organisation de la politique d’investissements… En 2020, le Conseil régional veut être au plus proche des entreprises du territoire. Dans une région qui peut se targuer de présenter le taux de chômage le plus faible, Christelle Morançais milite notamment pour que la Région Pays de la Loire expérimente la décentralisation de Pôle Emploi.

— Photo : Région Pays de la Loire / Ouest Medias

Quel est le plan de route de la Région pour les entreprises sur l’année 2020 ?

Christelle Morançais : La priorité des priorités est que les entreprises restent compétitives. Il y a deux volets à travailler : le manque de personnel alors que nous savons que le recrutement est une des problématiques n° 1 des entreprises. L’autre volet, c’est l’industrie du futur, afin que les entreprises restent compétitives. Il y a de beaux exemples en Pays de la Loire comme l’entreprise ColArt au Mans qui a robotisé sa production et permit ainsi de rapatrier une partie de son activité de Chine. C’est une vraie réussite. Pour accompagner les entreprises dans leur recherche de main-d’œuvre et de ces industries du futur, nous avons plein de dispositifs. Or nous constatons que seulement 10 % des entreprises connaissent ces dispositifs. L’objectif est que les autres 90 % s’y intéressent. L’un des derniers engagements pris, avec le Plan commerces du futur inclus dans les principales orientations du budget 2020 répond à ce besoin. La Région compte investir 800 000 euros pour accompagner 600 commerces de proximité dans leur évolution pour répondre aux besoins des clients. Le commerce en Pays de la Loire rassemble près de 144 000 emplois, soit 13,7 % de l’effectif salarié.

Paul Jeanneteau : En 2020, nous allons aussi accélérer notre plan d’action pour l’avenir du nautisme avec la mise en place d’un cluster pour structurer la filière. Nous allons aussi mettre en œuvre notre politique d’investissement au capital des entreprises, grâce « au fonds de fonds » que l’on va pouvoir mettre en pratique en privilégiant des investissements en lien avec les industries du futur, la croissance verte et la croissance bleue et les énergies renouvelables. La Région Pays de la Loire est aujourd’hui actionnaire de dix fonds. Le regroupement, au sein d’un véhicule d’investissement unique, appelé « Fonds de fonds », de l’ensemble de ces participations a pour objectif de renforcer sa capacité d’investissement. Concrètement, ce fonds de fonds devrait permettre d’injecter plus de 55 M€ sur cinq ans grâce aux produits de cessions et aux dividendes mais également au recours à un emprunt de 10 M€ auprès de la Place bancaire. Ce sont ainsi, par effet de levier, 280 M€ qui pourront être mobilisés pour les entreprises des Pays de la Loire. En 2020, nous allons aussi travailler sur le Grand Port de Nantes Saint-Nazaire afin qu’il profite beaucoup plus à l’hinterland et aux entreprises du Maine-et-Loire et de la Sarthe.

La Région pilote désormais la politique du Grand Port Nantes-Saint-Nazaire ?

C. M : Nous avons repris la gouvernance fin 2019. Mais le Grand Port reste bien un port d’État, qui doit rester en première division. L’objectif est de faire du Grand Port un port national qui devienne un outil à disposition pour tout le grand ouest. On constate qu’il n’est pas utilisé par toutes les entreprises du territoire pour leurs exportations. C’est une question que je pose désormais aux entreprises que je rencontre. Nous avons une volonté d’aller plus loin, de bâtir une stratégie.

Vous avez proposé d’expérimenter la régionalisation de Pôle Emploi. Qu’est-ce que cela implique ?

C.M : Quand Édouard Philippe a proposé cette expérimentation, nous nous sommes tout de suite positionnés. L’emploi, c’est le combat des combats, c’est le point de mon mandat. Où que l’on aille sur le territoire, nous constatons la difficulté des entreprises à recruter. Nous travaillons déjà en collaboration avec Pôle Emploi à qui nous commandons au niveau régional des formations. Mais je veux aller plus loin. La Région devrait gérer toutes les formations. Il faudrait que ce soit du cousu main pour les entreprises, que l’on créé des formations adaptées à leurs besoins sur leur bassin d’emploi. Nous avons le taux de chômage le plus faible de France et nous avons encore trop d’entreprises qui ne trouvent pas les compétences.

« 40 % de la pêche ligérienne se réalise dans les eaux territoriales britanniques, comment cela se passera après le Brexit ? »

Justement, que change la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle (Loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel) pour la Région ?

C.M : Concernant la réforme de la formation professionnelle, nous allons travailler avec les Opérateurs de compétences mais aussi avec les syndicats pour articuler les besoins dès demain. C’est tout un maillage à mettre en place. Concernant l’apprentissage, la Région ne dispose plus de la compétence depuis la mise en place de la réforme. Mon inquiétude est que nous n’intervenions plus au plus près des besoins des entreprises du territoire. Nous en avions fait une priorité avec une augmentation de 24 % du nombre d’apprentis ces quatre dernières années. Demain, tout se fera via les branches professionnelles. Dans ce cadre, est-ce que le CFA joaillerie de Saumur, par exemple, existera encore ? Le risque est que les branches professionnelles ne fassent pas attention aux conséquences des fermetures de CFA sur les territoires. La belle dynamique que l’on avait mise en place va être stoppée.

Vous avez fait part à la direction de Michelin de votre colère à l’annonce de la fermeture du site de la Roche-sur-Yon. Mais que peut la collectivité contre une fermeture d’entreprise ?

C.M : À propos de Michelin, ma colère est venue d’un manque de considération totale des élus par la direction. Ayant eu connaissance, avec Bruno Retailleau, des probabilités de fermeture du site, nous avions pris rendez-vous avec la direction le 10 octobre. Le matin même, nous apprenons la fermeture du site. Nous avons, depuis, demandé le remboursement de la subvention de 250 000 euros que nous avions accordé pour le site de Cholet. C’est la deuxième fermeture, après celle d’Arjowiggins, en moins de 6 mois, d’un site industriel dans la région. J’entends les réactions qui disent que ce n’est pas grave car nous sommes dans une région où le taux de chômage est le plus faible de France. Mais derrière ces fermetures, ce sont des hommes et des femmes qui perdent leurs emplois, ce ne sont pas des machines que l’on peut déplacer. On peut faire en sorte d’anticiper les fermetures, d’encourager les innovations, mais nous n’avons pas de baguette magique. Ce que je remarque, c’est que ces deux fermetures concernent des grands groupes dont le centre de décision n’est pas sur le territoire. C’est la preuve qu’il faut vraiment encourager les entreprises familiales du territoire.

Comment le Conseil régional se prépare au Brexit ? Quelles conséquences pourrait-il avoir pour l’activité économique de la Région ?

P.J : Notre balance commerciale avec le Royaume Uni est positive, il y a donc un enjeu fort pour le territoire. D’après le service des douanes, le Royaume-Uni est le deuxième partenaire de la région à l’export et le cinquième pour les importations. Ce sont 960 entreprises qui importent pour un volume de 401 millions d’euros par an et 700 qui exportent outre-Manche pour 869 millions. Les services des douanes peuvent aider les entreprises à se préparer, notamment sur les certifications. Au Conseil régional, nous serons particulièrement vigilants sur le sujet de la pêche : 40 % de la pêche ligérienne se réalise dans les eaux territoriales britanniques. Comment cela se passera après le Brexit, sachant que les Anglais, en sortant de l’Union Européenne, ne seront plus contraints de respecter les normes européennes ? Cela peut créer une distorsion de concurrence.

Les budgets des fonds structurels européens seront arrêtés en 2020. C’est donc maintenant que se prépare la période d’investissements 2021-2027. Sur quels points la région espère obtenir des aides financières ?

P. J : Nous arrivons en effet en fin d’enveloppe. Les fonds européens nous ont apporté sur la dernière période 850 millions d’euros, c’est important pour la Région, cela permet de renforcer l’investissement dans les entreprises et de créer un effet de levier. Concernant la prochaine période d’investissements, le choix de la commission européenne n’est pas encore établi. Nous sommes donc dans le flou. Nous voyons bien que le Feder (Le fonds européen de développement régional) veut axer sa politique sur le thème d’une Europe « plus intelligente », ce qui correspond à nos problématiques industrielles. En attendant, nous ne décidons pas seuls. Les priorités sont dégagées après une grande concertation organisée dans le cadre Ma Région 2050, avec les acteurs du territoire.

Comment la Région travaille-t-elle actuellement, avec l’Agence régionale pour attirer des investisseurs étrangers et notamment des implantations d’entreprises étrangères ?

P. J : Les entreprises à capitaux étrangers en Pays de la Loire, ce sont 1 000 entreprises et 70 000 emplois. Notre idée, c’est de fidéliser les entreprises à capitaux étrangers via un club, pour qu’elles se sentent accueillies, dans le cadre d’un projet d’investissements. Pour identifier les investisseurs qui seraient intéressés pour une implantation, nous nous basons depuis 2016 sur le travail des développeurs économiques de l’Agence Solutions & Co, installés à l’étranger pour faire justement le lien. Les résultats sont là : en 2016, il y avait 40 projets d’investissements par an et en 2018 ce sont 70 projets d’investissements qui ont été recensés avec, à la clé, la création de 1 800 emplois. Elles peuvent bénéficier, comme les autres entreprises du territoire, de subventions, mais souvent ce n’est pas le plus important pour elles. Elles décident de s’installer parce qu’elles trouveront à proximité les bonnes infrastructures, le bon écosystème, les centres de formations.

L’export a toujours été le point faible des entreprises ligériennes. Vous avez réorganisé vos services en juin avec le renfort de Bpifrance. Pour quels résultats ?

P.J : Trois conseillers Bpifrance viennent renforcer l’équipe régionale Team France Export composée de 20 membres de la CCI, de la Région et de Business France. La Région, la CCI Pays de la Loire, Business France : nous faisons partie de la même équipe. Cela ne bouleverse pas la façon de travailler car nous nous avions déjà l’habitude de nous réunir deux fois par an au sein du hub international pour faire le point sur la politique export, les attributions des subventions, etc. Et ça marche ! Sur les deux dernières années, les entreprises ont augmenté leurs performances à l’export de 14 %. C’est la plus forte progression en France. On rattrape notre retard.

L’un des autres grands thèmes abordés en 2020 sera celui du tourisme. Pour quels objectifs ?

P.J : Nous allons travailler sur notre activité touristique. Nous avons vu cette année un retour des touristes étrangers dans la région. Nous allons renforcer encore cette attractivité. Le sujet sera notamment abordé lors du salon international professionnel Rendez-vous en France organisé par Atout France qui aura lieu en 2020, les 24 et 25 mars au Parc des Expositions de Nantes. Nous y attendons plus de 1 000 tour-opérateurs. Économiquement, les retombées sont importantes avec plus de 650 000 € de chiffre d’affaires directs générés sur le territoire durant l’événement.

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