Maine-et-Loire
Arjowiggins : quel avenir après la liquidation ?
Enquête Maine-et-Loire # Industrie # Ressources humaines

Arjowiggins : quel avenir après la liquidation ?

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L’annonce, le 29 mars dernier, de la liquidation judiciaire de la papeterie sarthoise Arjowiggins de Bessé-sur-Braye a mis tout un territoire KO. Ce sont près de 600 personnes qui perdent ainsi leur emploi sur un bassin éloigné des grands axes de communication. Une fermeture qui impacte également les entreprises gravitant autour d’Arjowiggins et qui pose questions.

Après plusieurs mois d'incertitude, la liquidation de la papeterie Arjowiggins de Bessé-sur-Braye a été prononcée. 568 personnes perdent leur emploi dans cette commune rurale de 2 200 habitants — Photo : Cédric Menuet - Le Journal des entreprises

Les multiples reports de sa décision n’y auront rien changé. Le vendredi 29 mars 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a scellé le sort de la papeterie Arjowiggins de Bessé-sur-Braye. Liquidation judiciaire et suppression des 568 emplois de cette usine qui irriguait depuis le XIXsiècle tout un bassin de vie. Dans sa chute, Arjowiggins emporte la moitié des 260 salariés de la papeterie du Bourray à Saint-Mars-la-Brière, près du Mans. Seuls les 75 employés du site Greenfield dans l’Aisne sauvent leurs têtes : leur activité est entièrement reprise par un groupe allemand.

Vu de Bessé-sur-Braye, la situation est jugée « catastrophique » par le maire, Jacques Lacoche. « C’était le premier employeur du bassin de vie. En comptant les sous-traitants et les entreprises qui travaillaient grâce à la papeterie, c’est au total 1 500 emplois qui sont concernés. C’est un vrai coup de massue pour Bessé-sur-Braye. Fiscalement, Arjowiggins représentait 10 % de notre budget. Et cela a une implication sur toutes nos infrastructures, qui sont celles d’une commune de 5 000 habitants, alors que nous en comptons seulement 2 200. Les frais de fonctionnement sont énormes. Je ne sais pas comment nous allons faire. » Selon l’élu, des entreprises travaillant avec Arjowiggins se sont même déjà placées sous la protection du redressement judiciaire.

La filière papier recyclé mise à mal

La fin de la papeterie sarthoise a également un impact direct sur les imprimeries régionales qui s’approvisionnaient en papier recyclé à Bessé-sur-Braye, spécialité de l’usine. « Nous nous fournissons chez eux depuis 39 ans. C’est notre fournisseur principal, et il nous apporte 1 000 tonnes de papier par an, soit en moyenne 4 tonnes par jour. Depuis 10 ans, nous avons axé notre communication sur l’éco-responsabilité. Que ce soit de la fabrication de l’imprimé avec un process écologique, jusqu’à l’utilisation de papier recyclé de qualité. Bessé-sur-Braye nous permettait de travailler en circuit court, avec un fournisseur situé à moins de 150 kilomètres », détaille Christian Petit, dirigeant de l’imprimerie ICI à Beaupréau, dans le Maine-et-Loire.

Pour l’imprimeur angevin, l’arrêt d’Arjowiggins à Bessé-sur-Braye met à mal la filière papier recyclé française. « On a encouragé cette filière, en développant le besoin, sans se soucier de l’approvisionnement. Aujourd’hui, elle se trouve amputée dans ses capacités de production, avec la perte de cette usine spécifique. Ce sont des compétences perdues pour toujours. »

La qualité des papiers recyclés et spéciaux sarthois était en effet vantée par les professionnels français qui se trouvent aujourd’hui à la peine pour se fournir. « Aujourd’hui, plus personne ne le fabrique en France. Avec Arjowiggins, nous avions un papier produit à échelle industrielle, à un prix concurrentiel et avec des capacités d’approvisionnement des clients. Où se fournir à présent en papier recyclé ? À l’étranger ? Ce serait un non-sens… », appuie Christian Petit.

La reprise des 3 sites à la corbeille

Dans ce dossier, il reste encore des zones d’ombre à éclaircir. Car, pour certains, la fermeture aurait pu être évitée. Seule une offre, portée par le groupe norvégien Lessebo Papers, proposait une reprise des trois sites Arjowiggins placés en redressement judiciaire en janvier dernier par leur maison-mère, le groupe français Sequana. Malgré un soutien financier des pouvoirs publics qui s’engageaient à financer le projet à hauteur de 50 %, pour peu que le repreneur apporte l’autre moitié des fonds. « On a découragé le repreneur, tonne le maire de Bessé-sur-Braye. Le projet tenait la route, avec un industriel du métier. Il a eu le mérite de se déplacer deux fois au tribunal de commerce de Nanterre pour s’entendre dire qu’il devait à nouveau amener de nouvelles garanties. Avec des reports de décisions tous les 15 jours, comment pouvait-il monter un projet solide ? »

« On ne laisse pas filer comme ça 600 emplois. L’État est responsable. »

Portée par la direction du site de Bessé, l’ultime offre de reprise de l’usine n’a, elle non plus, pas aboutie. Elle nécessitait en effet 15 millions d’euros de fonds privés qui n’ont pas été trouvés. « Je suis en colère. Les Régions Pays de la Loire et Centre-Val de Loire étaient prêtes à financer ce projet. On ne laisse pas filer comme ça 600 emplois. L’État est responsable », poursuit l’élu.

Une responsabilité que les avocats des salariés d’Arjowiggins Bessé-sur-Braye, Justine Candat et Thomas Hollande, pointent du doigt. Les défenseurs reprochent dans un courrier adressé à son directeur, Nicolas Dufourcq, le refus de Bpifrance, actionnaire à hauteur de 15,4 % de Sequana, « d’apporter la moindre contribution au financement de la reprise ». Les avocats s’interrogent également sur un mouvement de fonds de 20 millions d’euros de la trésorerie d’Arjowiggins au bénéfice d’Antalis, filiale de Sequana dédiée à la distribution de papier, dénonçant « un pillage de la trésorerie qui a compromis les chances de trouver un repreneur ». Des allégations démenties par Sequana. Quant au gouvernement, il s’engage par la voix de la secrétaire d’État à l’économie Agnès Pannier-Runacher, « à faire la lumière sur la façon dont a été géré Sequana. »

Loin de ce tumulte, les salariés d’Arjowiggins organisent toujours des tours de garde à la papeterie, surveillant ainsi leur outil de travail. Entretenant à la fois les machines et l’espérance d’une reprise de l’activité à Bessé-sur-Braye. Cet espoir est mince.


700 salariés à reclasser

À Saint-Mars-La Brière, la papeterie Arjowiggins du Bourray est en partie reprise par le fabricant sarthois de nappes et serviettes en papier CGMP (36 M€ de CA, 150 salariés). Basée à Tuffé, la PME reprend en effet l’activité de fabrication de ouate de cellulose, sécurisant ainsi son approvisionnement en matière première. 120 postes sont conservés sur les 260 salariés de la papeterie.

Afin d’accompagner le reclassement des 700 personnes touchées par la fermeture des usines Arjowiggins, la Région Pays de la Loire met en place « un plan d’urgence exceptionnel ». La collectivité va ainsi engager 1 million d’euros, afin de financer des projets structurants sur les deux communautés de communes impactées par la fermeture du site de Bessé-sur-Braye. Une enveloppe d’1 million est également débloquée pour financer des aides individuelles à la formation et des formations courtes d’adaptation à l’emploi, appuyée par 900 000 euros dédiés au soutien à la mobilité des salariés en formation. Pas de quoi rassurer le maire de Bessé-sur-Braye. « Le bassin d’emploi le plus proche est à 40 kilomètres. Je redoute un exode des salariés d’Arjowiggins. »

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