Handicap : quand les entreprises bretonnes s'adaptent
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Handicap : quand les entreprises bretonnes s'adaptent

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Face au fort taux de chômage des travailleurs handicapés, l’État va engager davantage de fonds publics pour les entreprises adaptées, leurs principaux employeurs. En Bretagne, ces structures, outre le fait d’être un levier d’insertion professionnelle, affichent un vrai dynamisme.

Chez Bretagne Ateliers, l’épanouissement et la réussite professionnelle du salarié figure au cœur du projet d'entreprise. La PME de Rennes emploie 410 travailleurs en situation de handicap pour 570 salariés — Photo : Baptiste Coupin

À voir ces « joyeux » cafetiers, souffrant de handicaps mental ou cognitif, qui vous accueillent sourire aux lèvres dans les Cafés Joyeux, ces cafés solidaires créés à Rennes et Paris par l’entrepreneur Yann Bucaille Lanrezac. À entendre la mannequin et actrice Sophie Vouzelaud, grand témoin des Oscars d’Ille-et-Vilaine 2019 (les trophées économiques du département), venue raconter, devant un parterre de dirigeants et chefs d’entreprise, son parcours de jeune femme sourde de naissance, un constat. Dans notre société, le handicap, longtemps caché, s’affiche aujourd’hui comme une fierté. Dans le monde du travail, il est même devenu « un argument de plus à l’embauche », assure Laurent Le Roux, dirigeant fondateur du cabinet rennais de recrutement Forstaff et vice-président de l’association « À compétence égale », qui regroupe 90 cabinets RH et dont la mission première est de lutter contre les discriminations.

Les handicapés représentent 10 % des demandeurs d’emploi en Bretagne

Il est temps que les mentalités changent car face aux « valides », le fossé se creuse. En Bretagne, les travailleurs handicapés représentent 10 % de la demande d’emploi. Ils étaient 28 000 inscrits à Pôle Emploi fin 2018. Un chiffre en hausse constante ces dernières années (+1,5 % sur un an). Les handicapés sont dans une situation plus défavorable sur le marché de l’emploi que les demandeurs valides. Plus âgés (46 % ont plus de 50 ans), moins qualifiés, et avec des durées de chômage plus élevées. Quand bien même la loi oblige les structures de plus de 20 salariés à employer des personnes handicapées dans la proportion de 6 % de leur effectif total, les taux d’emploi peinent à décoller.

Photo : Pierre Gicquel

« La question est de savoir pourquoi les entreprises classiques n’embauchent pas. Soyons honnêtes, jamais personne ne se lève le matin en se disant “je vais tout faire pour ne pas employer d’handicapé aujourd’hui". Le problème est conjoncturel et structurel », juge Erwan Pitois, fondateur et dirigeant de Servicea à Rennes et vice-président de l’Union nationale des entreprises adaptées (UNEA), qui représente 72 % des entreprises adaptées de France. Ce chantre de l’égalitarisme se veut cependant optimiste : « La Bretagne est une terre fertile en modèles coopératifs. Elle dispose d’un réseau solide et d’un écosystème très ouvert pour le handicap au travail. »

Les entreprises adaptées, leviers d’insertion

Les entreprises adaptées (EA), ces unités économiques agréées par le ministère de l’Emploi et dont la seule spécificité est d’employer majoritairement des travailleurs handicapés, constituent un vrai levier d’insertion. Elles sont au nombre de 45 en Bretagne (800 sur tout le territoire national davantage concentrées en région parisienne et dans les Hauts-de-France), employant quelques 3 800 salariés. Parmi les plus illustres, Bretagne Ateliers, une entreprise industrielle présente en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes d’Armor. La PME, sous-traitant de l’industrie automobile pour 50 % de son activité et pour l'aéronautique, emploie 410 travailleurs en situation de handicap pour 570 salariés. Pour l'entreprise dirigée par Daniel Lafranche, l’épanouissement et la réussite professionnelle du salarié est au coeur du projet. Elle a vu son modèle de management collaboratif récemment récompensé par la labellisation « Vitrines Industrie du Futur ».

Autre exemple de réussite, Sével Services (450 salariés, 9 M€ de CA), créée à Morlaix (Finistère) et également présente à Brest, Quimper, Rennes et bientôt Lorient. Elle est spécialisée dans la propreté et les espaces verts. Ici, 100 % des salariés de production et 80 % des employés d’encadrement ont le statut de travailleurs handicapés. Comment cette entreprise adaptée tire-t-elle son épingle du jeu sur un marché aussi concurrentiel ? « Nous ne sommes peut-être pas les moins chers car descendre trop bas signifierait pressuriser nos employés, ce qui sortirait du cadre de notre projet d’entreprise... En revanche, on se doit d’avoir une exigence supplémentaire sur la qualité du travail, ce qui séduit nos clients », commente Luc Roudaut, directeur de l’agence de Brest.

Handirect Bretagne (32 salariés), née du rachat en 2018 des agences de Brest et Saint-Brieuc par Handirect Rennes, se positionne aussi comme un levier performant de retour à l’emploi. L’entreprise adaptée propose des prestations de services administratifs tels que le routage, l’affranchissement ou la saisie de données. Elle comptabilise plus de 1 000 clients depuis sa création. Après avoir créé six emplois en 2018, elle vise de nouveaux recrutements en 2019 pour faire face au développement de son activité.

« Vrai dynamisme »

Entreprises reconnues d’intérêt général, « les entreprises adaptées en Bretagne affichent un vrai dynamisme et ont toutes un projet de développement de l’emploi », assure Erwan Pitois. L’État ne s’y trompe pas. Il a décidé de réaffirmer et d’augmenter son soutien financier à ces structures dans le cadre de la loi Pénicaud votée à l’automne 2018. Sur l’aide au poste dans les entreprises adaptées dites « socle » (compensation salariale versées aux entreprises pour l’emploi des personnes handicapées, qui va de 15 400 à 16 000 euros). Mais également en subventionnant des expérimentations innovantes, tels les « CDD tremplins », dont l’objectif est d’accompagner les chômeurs handicapés vers l’emploi en milieu ordinaire.

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