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Enquête exclusive : La tempête judiciaire s'éloigne pour le président de Legris Industries
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Enquête exclusive : La tempête judiciaire s'éloigne pour le président de Legris Industries

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Pendant plusieurs mois, l'industriel rennais Pierre-Yves Legris fut sous le coup d'une mise en examen et d'un contrôle judiciaire. Au coeur du dossier, en passe de se refermer: des mouvements financiers autour d'une ancienne filiale, Ceric Automation.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Ce sont plus de deux ans de galère qui sont en passe de s'achever pour le patron du groupe industriel rennais Legris Industries (sociétés Savoye, Clextral et Keller). Selon nos informations, Pierre-Yves Legris, président du conseil de surveillance de l'entreprise familiale et figure emblématique de l'économie bretonne, est sur le point d'obtenir un non-lieu dans une affaire qui lui empoisonne la vie depuis mars2010. Un printemps noir pour celui que le magazine Challenges classe (avec Yvon Jacob président d'honneur du groupe) parmi les 500 plus grandes fortunes professionnelles françaises. Cette année-là, le patron de Legris Industries est en effet auditionné par les gendarmes de la section de recherche de Dijon (Côte-d'Or). Que lui reprochent-ils? Des mouvements financiers suspects au sein de la filiale Ceric Automation (devenue par la suite Keyria). Une entreprise acquise par le groupe Legris Industries fin 2006 à Nolay (21) et spécialisée dans la construction d'usines clés-en-mains de produits de construction (briques). Un rachat qui se transformera en fiasco industriel.

Abus de biens sociaux, dividendes fictifs...

Courant 2008, l'entreprise voit en effet son chiffre d'affaires s'effondrer de 50% en quelques mois. Selon Legris Industries, c'est la crise des subprimes qui aura eu raison de cette activité. Pour d'autres observateurs, ce sont les mauvais choix stratégiques opérés par le groupe rennais qui expliqueraient cette déconfiture. Quoi qu'il en soit, les conséquences sont brutales. En 2009, Ceric est placée en redressement judiciaire. Et un an plus tard, c'est la liquidation. À la clé: 220 emplois supprimés. Une situation économique qui, selon les enquêteurs, ne colle pas vraiment avec les mouvements financiers opérés par le groupe les mois précédents sa liquidation.

Des suspicions jugées à l'époque suffisamment graves pour que le juge d'instruction mette en examen Pierre-Yves Legris pour les délits de complicité d'abus de biens sociaux, de distribution de dividendes fictifs, de banqueroute par détournement d'actifs ainsi que de recels d'abus de biens sociaux. Une batterie d'accusations redoutées par tous les chefs d'entreprise. Dans la foulée, Pierre-Yves Legris est également placé sous contrôle judiciaire avec les obligations de verser une caution de 400.000 € (payable en huit versements) et de ne pas quitter l'Union européenne et la Suisse (où il vit aujourd'hui). Bref, un vrai cauchemar pour le dirigeant qui s'engage alors dans une bataille judiciaire de plus de deux années. Un combat partagé avec Charles-Antoine de Barbuat Duplessis. Cet ancien patron de la division Savoye de Legris Industries (il a quitté depuis le groupe rennais pour diriger la société Texelis à Limoges) a en effet hérité de la direction de Ceric Automation au moment de son rachat. À ce titre, il a également été mis en examen quelques mois plus tôt.

Trois accusations récusées point par point

Niant toute infraction devant les gendarmes, Pierre-Yves Legris se rapproche du puissant cabinet d'avocats parisien Linklaters pour organiser sa défense. Et surtout expliquer pourquoi, selon lui, les enquêteurs font fausse route, tentant de démonter point par point les graves accusations dont il fait l'objet. Premier point, les dividendes. Juin2008, Ceric Automation en verse un montant de 3M€ à sa maison mère alors que l'entreprise commence à enregistrer des pertes. Pour les enquêteurs, le droit des affaires l'interdit. Pour Legris, c'est une erreur d'analyse juridique. «Lorsque vous avez des réserves (ce qui était le cas pour Ceric, ndlr), vous pouvez distribuer des dividendes. Même si le résultat est négatif», explique une source proche du groupe rennais.

Deuxième point d'accusation: 2M€ de factures émises en trois ans par la maison-mère à ses filiales. Des mouvements qui, aux yeux du juge d'instruction, entretiennent la suspicion de mouvements délictueux. Rien pourtant d'hors-la-loi pour une pratique courante dans les grands groupes si l'on en croit les spécialistes juridiques. Une pratique appelée "Management fees". Derrière cet anglicisme, une méthode de mutualisation de fonctions supports au profit des filiales (communication, RH, juridique,etc.), et qui permet à un groupe de facturer à celles-ci des prestations de conseil. «Non seulement c'est légitime, mais c'est fiscalement obligatoire, indique un spécialiste du droit. Si vous ne facturez pas, vous avez un redressement fiscal.» En trois ans, ce sont 2M€ de facturation qui auront été émis. Enfin, dernier point présumé litigieux, le prêt d'argent entre filiales du groupe, qui laisserait entrevoir une activité bancaire illicite. Pour le groupe, il s'agit tout simplement d'un pool de trésorerie. «C'est complètement autorisé à condition que cela reste interne au groupe, indique un proche de Pierre-Yves Legris sous couvert d'anonymat. C'est tout simplement la trésorerie du groupe qui est mutualisé. Cela vous permet de bénéficier de taux privilégiés.»

Charges insuffisantes

Un ensemble d'arguments qui semble avoir convaincu les juges. En juin dernier, la mise en examen de Pierre-Yves Legris a été levée. Et selon nos informations, le procureur de la République du tribunal de Dijon a par ailleurs transmis début novembre un réquisitoire de non-lieu au juge d'instruction pour « charges insuffisantes ». Vraisemblablement, ce dernier devrait rendre ces jours-ci une ordonnance de non-lieu. Pour Pierre-Yves Legris comme pour Charles-Antoine de Barbuat. Après autant de mois de procédures, «il faut savoir rester raisonnable», indique une source proche du Parquet de Dijon. Épilogue donc heureux, mais faible compensation pour Pierre-Yves Legris (qui n'a pas souhaité répondre à nos questions). Il a vécu pendant plusieurs mois avec un «sentiment d'injustice, et tout ce que ça peut comporter de rumeurs et de ragots», nous raconte un proche.

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