Yves Hinnekint (Walt) : « Pour sauver l'apprentissage, les aides financières ne suffiront pas »
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Yves Hinnekint président de Walt Yves Hinnekint (Walt) : « Pour sauver l'apprentissage, les aides financières ne suffiront pas »

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Le gouvernement doit présenter, le 4 juin, un plan de soutien à l’apprentissage, mis à mal par la crise du coronavirus. Yves Hinnekint n’a pas attendu ces annonces pour s’en inquiéter. Président de Walt, association de promotion de l’alternance, il planche actuellement sur un livre de propositions, pour que les récents succès enregistrés par cette voie de formation ne soient pas balayés par le Covid-19. Également directeur général de Talis Business School, en Dordogne, il appelle les entreprises à « un engagement sociétal » en faveur de la jeunesse.

Pour maintenir le nombre de recrutements en contrats d'apprentissage en 2020, Yves Hinnekint, dirigeant de l'association Walt et de Talis Business School, réclame du temps et de l'engagement de la part des acteurs impliqués, centres de formation et entreprises en tête — Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Quelles sont les conséquences de la crise du coronavirus sur l’apprentissage ?

Yves Hinnekint : Avant l’épidémie, la réforme portée par le ministère du Travail sur l’apprentissage commençait à produire ses effets : en 2019, le nombre de contrats signés dans notre pays a augmenté en moyenne de 16 %. On était donc plutôt sur une tendance constructive et positive. 2020 avait démarré difficilement, dans un contexte de grèves (contre la réforme des retraites, NDLR), puis est arrivé le Covid-19.

La vraie question qui se pose désormais est celle de la rentrée de septembre. Les jeunes viennent de faire connaître leurs choix d’orientation. Potentiellement, ils sont toujours aussi nombreux à toquer à la porte des CFA et des écoles. Mais, du côté des employeurs, en fonction des secteurs, on commence à sentir les effets néfastes du coronavirus. Cela va se traduire, je pense, par un décalage des campagnes de recrutement, le temps que les entreprises s’adaptent à la reprise puis se refassent une trésorerie et un carnet de commandes. Or, d’ici septembre, on ne peut être certain que l’économie aura redémarré bon train…

Le gouvernement prépare un « plan de relance » de l’apprentissage. Qu’attendez-vous de l’État en la matière ?

Y. H. : Déjà, je pars du principe qu’il ne faut pas tout attendre de l’État. Nous devons aussi faire notre propre analyse de la situation et voir de quelle manière nous pouvons, secteur par secteur, trouver nous-mêmes des solutions.

Dans le cas présent, je préfère que l’on reste sur l’accompagnement de l’apprentissage, plutôt que la création de contrats aidés. On a vu, dans d’autres temps et sous d’autres gouvernements, l’émergence de contrats jeunes, par exemple, qui revenaient à créer de potentielles confrontations de concurrence entre différents dispositifs visant le même public. N’en rajoutons pas avec de nouveaux dispositifs. Concentrons-nous déjà sur l’apprentissage.

Quelles solutions alors pour maintenir le nombre d’apprentis en 2020 ?

Y. H. : Nous nous sommes tous mobilisés pour trouver des moyens d’accompagner le glissement attendu des recrutements, dont je parlais. À ce titre, l’allongement de l’entrée préalable en formation est une première mesure phare. Elle est déjà passée de trois à six mois pendant le confinement [EDIT : le maintien de cette mesure a été confirmée par la ministre du Travail Muriel Pénicaud le 4 juin, NDLR]. De nombreux acteurs, dont Walt, prônent aujourd’hui de pérenniser, voire augmenter, cette période accordée à un jeune pour se trouver une entreprise, tout en étant admis dans un CFA ou une école.

Concrètement, cela signifie que l’apprenti et son centre de formation se bagarrent, en binôme, pendant six mois pour trouver un employeur. Ce qui laisse aussi un peu plus de temps au réveil économique des entreprises.

Mais à quoi bon donner ces quelques mois supplémentaires si, en face, les entreprises restent dans l’incapacité de recruter à cause de la crise du coronavirus ?

Y. H. : Je suis convaincu qu’un paquet d’entreprises de petite taille ont été intéressées par un jeune en apprentissage mais n’ont pas eu le temps d’y travailler concrètement. Nous devons donc tous nous retrousser les manches, collectivement, pour accompagner ces TPE-PME, parce qu’il y a un gisement de recrutements de jeunes apprentis dans ces entreprises, plus que dans les grands groupes.

Dans son plan de soutien à l’automobile, le gouvernement avance une piste pour soutenir les recrutements en apprentissage, à savoir « réduire significativement le coût d’un jeune en alternance ». La clé n’est-elle pas là pour convaincre les entreprises ?

Y. H. : Tout ce qui peut être fait pour alléger l’addition des entreprises me paraît être une bonne chose. Si vous proposez à un employeur une réduction fiscale ou financière pour l’embauche d’un jeune, évidemment, cela le fera réfléchir. Des mesures comme celle proposée par le Medef (porter l’aide unique aux employeurs d’apprentis de 4 125 à 10 000 euros, sans condition de taille pour l’entreprise ni de diplôme pour le salarié, NDLR) sont toujours des plus [EDIT : le gouvernement a finalement opté pour une prime à l'embauche de 5 000 à 8 000 euros, valable du 1er juillet au 28 février 2021, sans condition pour les TPE-PME et pour tout diplôme du CAP à la licence professionnelle, NDLR]. Mais ce n’est pas le seul sujet. Derrière, il faut aussi un engagement collectif des uns et des autres.

« L’apprentissage peut être un moyen économique, social, managérial, de faire redémarrer l’activité des entreprises. »

Le rebond économique se fera avec les salariés, et les jeunes en alternance sont des salariés. Beaucoup de secteurs et de filières ont été bousculés dans leur organisation par la crise, et le seront encore en post-confinement. Des modèles économiques sont en train de changer, des besoins émergent sur des compétences nouvelles, agiles et numériques, sur lesquelles les jeunes ont plus de savoir-faire.

L’apprentissage peut donc aussi être un moyen économique, social, managérial, de faire redémarrer des activités, en s’appuyant sur des alternants formés à la culture de l’entreprise et pour des coûts mesurés. Si, en plus, cette dynamique est soutenue financièrement par des mesures sectorielles ou gouvernementales, alors ce ne sera qu’un plus qui s’additionnera à un plus. Mais l’argent ne sera pas suffisant sans cet engagement sociétal : nos entreprises doivent se construire avec notre jeunesse.

Ces arguments seuls suffiront-ils à convaincre les employeurs de prendre des apprentis cette année ?

Y. H. : Il faut un cocktail entre travail de conviction des entreprises, aide financière et engagement citoyen. Je suis certain que ce sera suffisant. Je reste optimiste, pour ne pas dire naïvement positif, sur notre capacité à maintenir le développement de l’apprentissage en France.

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