Philippe Fourquet (60 000 Rebonds) : "Nous voulons être les Restos du cœur du rebond entrepreneurial"
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Philippe Fourquet président national de l’association 60 000 Rebonds "Nous voulons être les Restos du cœur du rebond entrepreneurial"

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Philippe Fourquet, le nouveau président national de 60 000 Rebonds, qui accompagne - gratuitement et sur mesure - les entrepreneurs ayant perdu leur société, veut faire grandir cette association. Tout en pesant encore plus, auprès de l’État mais aussi de l’opinion, afin de faire évoluer le regard sur l’échec, qui représente, parfois, un frein insurmontable pour ceux qui l’ont vécu.

Philippe Fourquet vient de prendre la présidence nationale de l’association 60 000 Rebonds, qui aide les entrepreneurs ayant perdu leur entreprise — Photo : Xavier POPY/REA

Comment est née l’association 60 000 Rebonds ?

En 2012, Philippe Rambaud (qui a lui-même perdu sa société après une longue carrière chez Danone, NDLR), au sortir du tribunal de commerce, fait le constat qu’il n’existe rien pour accompagner les entrepreneurs qui ont perdu leur entreprise. Il s’est dit que proposer un accompagnement ça aurait du sens. Parce qu’il y avait 60 000 défaillances d’entreprises en France dans ces années-là, il a pris ce nom pour son association. Au départ, celle-ci a été créée à Bordeaux puis, ensuite, a essaimé sur tout le territoire.

Depuis, elle a bien grandi…

Aujourd’hui, elle compte 1 500 bénévoles. 750 entrepreneurs ont été accompagnés l’an dernier. Nous avons plus de 33 salariés répartis dans toute la France, 10 associations territoriales qui couvrent parfois plusieurs régions administratives et 48 antennes locales.

Quel type d’aide concrète reçoivent les entrepreneurs qui franchissent la porte de vos bureaux ?

Il y a deux volets. D’abord individuel. Un parrain et un coach sont identifiés pour les accompagner. Le coach est un professionnel, certifié, qui a de l’expérience. Il va travailler sur la confiance en soi, l’estime. Il aide l’entrepreneur à faire la part des choses entre ce qui est de sa responsabilité et de ce qui est de la responsabilité de son environnement. Un parrain intervient dans un second temps, quand la confiance est rétablie. C’est un chef d’entreprise, en activité ou jeune retraité, qui va discuter avec l’entrepreneur sur le projet de rebond. Comme un mentor. Il y a ensuite un volet collectif. Cela passe tous les mois par une réunion des entrepreneurs et bénévoles. Là, le collectif se met au service des entrepreneurs qui se disent qu’ils ne sont pas seuls. Ils rencontrent d’autres personnes ayant connu ces situations et s’en sont sortis. On organise, par exemple, des séances de codéveloppement où l’entrepreneur soumet une problématique auquel va répondre le groupe.

Pour rebondir, encore faut-il avoir tous les outils en main !

Oui. Nous, on agit comme si on avait une obligation de moyens. Nous sommes là pour mettre tous les éléments à leur disposition : le travail sur les soft kills, la posture… Pour ceux qui veulent partir dans le salariat, nous proposons un parcours avec des partenaires qui vont les aider à refaire un CV (qu’ils n’ont parfois pas fait depuis 20 ans), passer un entretien de recrutement à blanc. Pour ceux qui souhaitent recréer une entreprise, on s’assure qu’ils ne vont pas prendre un second mur. On travaille avec eux les prérequis du projet comme le business plan ou le marché. On vérifie qu’ils se sont posé les bonnes questions. On leur fait même passer un pitch pour être prêt, par exemple, à aller voir les banques.

Dans quel état sont-ils lorsqu’ils font appel à vous ?

La plupart sont épuisés physiquement. Ils ont tout donné pour essayer de sauver leur boîte. Ils sont souvent déprimés, mais pas en détresse psychologique. Ils arrivent appréhensifs pour savoir comment ça va se passer. Le fait de voir d’autres pairs, qui ont connu ça, les rassure.

Ils ne viennent pas tout de suite après avoir perdu leur entreprise.

"Certains entrepreneurs sont parfois dans le déni, font peser leur échec sur la terre entière. Il est important qu’ils prennent leur part de responsabilité et – seulement - leur part"

On est un peu, toutes proportions gardées évidemment, dans un processus psychologique qui s’apparente à un deuil avec une première phase de repli sur soi. Ils ont perdu leur bébé. Il peut s’écouler un certain nombre de mois avant qu’ils viennent chez nous, même si on constate que ce délai à tendance à se réduire. Avant, c’était six à huit mois, là on est dans des arrivées plus rapides, dans les deux trois mois.

Face à une telle fatigue, de la détresse, existe-t-il une méthode miracle ?

On sort des postures habituelles. Certains entrepreneurs sont parfois dans le déni, font peser leur échec sur la terre entière. Il est important qu’ils prennent leur part de responsabilité et – seulement - leur part. On veut éviter qu’ils reconduisent et reproduisent ces mêmes erreurs dans le futur. On pose les questions qui bousculent afin de les faire sortir de la zone de confort. Cela va aider à mieux structurer, mieux cadrer, leur projet. En fait, nous fiabilisons le rebond.

Et cela fonctionne-t-il ?

Nous avons 95 % de rebond. C’est un taux assez fort. Au départ, via un comité d’engagement, nous nous assurons que tout le monde est bien d’accord. L’accompagnement peut durer jusqu’à 24 mois. Il y a sept séances de coaching, des réunions… Il faut donc que les entrepreneurs soient volontaires et nous leur fournirons le meilleur accompagnement. C’est pour cela qu’on a un tel taux de rebond. 50 % repartent dans le salariat, 50 % retentent l’entrepreneuriat. Ces derniers, lorsqu’ils arrivent chez nous, nous disent qu’ils ont été traumatisés de mettre des familles sur le carreau, qu’ils n’embaucheront plus jamais. Mais l’envie de créer les amène à recruter. C’est super. Ils repartent plus fort qu’avant.

Y a-t-il un entrepreneur type qui fait appel à vous ?

Généralement, ce sont des patrons de TPE qui ont trois ou quatre salariés. Ils ont autour des 45 ans et 8 à 10 ans d’entreprise derrière eux. La part des femmes augmente, elle se situe à environ 33-35 %. Actuellement, la plupart viennent surtout du domaine des services, du commerce, de la restauration. Ces secteurs ont augmenté de 40 % en 2022.

L’aide de l’association passe par des séances de coaching personnalisées — Photo : YANIS OURABAH

D’autant que, d’une manière générale, les défaillances d’entreprise repartent à la hausse…

On constate effectivement une forte progression. Mais je nuance. On était parti d’un niveau très bas qui ne pouvait que remonter très fort. En 2023, on sera peu ou prou dans les mêmes taux qu’avant le Covid en 2019, soit environ 52 000 défaillances d’entreprises par an. On revient à un niveau récurrent. Attention cependant, il y a un autre phénomène qu’on ne voit pas : les radiations qui sont en forte progression. Autrement dit, ce sont notamment des gens qui décident de tout stopper parce que la boîte n’a pas marché et ne les faisait pas vivre et d’autres qui préfèrent arrêter plutôt que d’aller au bout et liquider. Là aussi, on a des traumatismes importants. Ce phénomène passe en dessous des radars, mais regardons ce qu’il se passe. Nous essayons d’attirer l’attention du gouvernement là-dessus car il peut y avoir un impact économique et sociétal.

Dans un tel contexte et en prenant récemment la présidence de l’association, quelle est la feuille de route de 60 000 Rebonds pour les années à venir ?

On souhaite devenir une solution naturelle pour les entrepreneurs, un recours naturel, une sorte de Restos du cœur du rebond entrepreneurial. On aimerait avoir 2 000 ou 3 000 entrepreneurs par an dans les trois ans. Nous visons les 70 antennes en France. Nous sommes présents aux Antilles et réfléchissons pour la Réunion. On pense à éclater des associations territoriales qui couvrent plusieurs régions administratives.

"L’échec est un élément d’expérience. Il peut entraîner une prise en main de sa vie, de son destin"

Nous identifions aussi tout ce qui est de nature à freiner la capacité de rebond des entrepreneurs auprès des pouvoirs publics. On a fait supprimer le code bancaire 040 puis le 050 qui "cataloguaient" les entrepreneurs ayant perdu leur entreprise. À l’avenir, pourquoi ne pas mettre un minimum de revenus après une liquidation pour des entrepreneurs, peut-être agir afin que, sur les KBIS, soient supprimées les mentions de difficultés d’entreprises, regarder aussi ce que font les agences de notation commerciales…

L’accompagnement prévoit des séances collectives avec des séances de codéveloppement — Photo : YANIS OURABAH

L’un des nœuds du problème en France n’est-il pas dans la manière dont on considère l’échec ?

C’est l’une de nos priorités : devenir la voix du rebond ! Le regard sur l’échec est quelque chose de stigmatisant. Le fondateur de notre association, Philippe Rambaud, avait écrit dans les statuts qu’il faut contribuer à faire changer le regard sur l’échec. Nous devons sortir de cette vision de l’entrepreneur uniquement "successful". Il réussit mais il y en a aussi qui chutent puis réussissent. Nous faisons des réunions grand public, nous faisons connaître parfois dans des émissions télé, on a des projets dans les écoles. L’échec est un élément d’expérience. Il peut entraîner une prise en main de sa vie, de son destin.

Que conseilleriez-vous à un entrepreneur en difficulté ?

Le mieux, c’est de réagir le plus tôt possible. Si vous rencontrez des difficultés, faites-vous accompagner, ne pensez pas que seuls vous allez en sortir. Il y a hélas plein de cas qu’on récupère et il est trop tard, on est obligé d’aller à la liquidation. Il existe des associations spécialisées. Consultez, entourez-vous, n’attendez jamais le dernier moment ! Si vous avez liquidé en revanche, ne tardez pas trop à venir à 60 000 Rebonds.

# Commerce # Restauration # Réseaux d'accompagnement # Social # Création d'entreprise # Procédure collective # Ressources humaines