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"Il n’y aura pas d'essor du photovoltaïque européen sans soutien à l'industrie"
Interview France # Production et distribution d'énergie # Transition énergétique

Gaëtan Masson coprésident de l’European solar manufacturing council : "Il n’y aura pas d'essor du photovoltaïque européen sans soutien à l'industrie"

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Quelques semaines après la mise en place d’un pacte de filière en France et la signature d’une charte sur le solaire européen par 23 États membres de l’UE, Gaëtan Masson détaille les freins et les accélérateurs pour la filière photovoltaïque. Co-président de l'European solar manufacturing council (ESMC), il pilote une organisation représentant les intérêts des industriels du secteur.

Gaëtan Masson, co-président de l'ESMC, une organisation représentant les intérêts des industriels du secteur photovoltaïque — Photo : Denis Morel Photographe

Le gouvernement français veut atteindre la barre des 40 % de panneaux solaires installés en France fabriqués en Europe. Comment cet objectif est-il atteignable ?

Atteindre 40 % de panneaux solaires fabriqués en Europe est aussi l’ambition de l’Union européenne. C’est un objectif réaliste à condition de comprendre les dynamiques de marché. Les industriels chinois sont en surcapacité temporaire et les prix ont baissé en dessous du coût de revient mais ce mouvement va se résorber. Et le marché va revenir à des prix plus élevés et rémunérateurs. Les produits européens seront alors plus compétitifs

En France, il y a deux beaux projets de gigafactories avec Carbon et Holosolis et une dizaine de projets ailleurs en Europe sont sérieux. Nous pourrons arriver à 40 % de production locale à condition qu’une bonne partie des pays de l’UE mette en place des réglementations favorisant la consommation de panneaux européens. C’est faisable avec la boîte à outils fournie par le Net Zero Industry Act.

Désormais c’est aux États membres de prendre leur responsabilité. Par exemple, dans le plan de relance européen, la répartition des financements n’a pas été réalisée de la même manière dans tous les pays. En France, il n’y avait pas beaucoup de moyens pour le photovoltaïque alors que l’Italie y a consacré deux milliards d’euros. Le choix de relancer le nucléaire dans l'Hexagone a eu un impact sur les autres filières. Dans le débat politique français, l’arbre du nucléaire cache la forêt de la transition énergétique.

C’est une problématique pour l’industrie car des entreprises comme Carbon ou Holosolis pourraient recevoir davantage de subventions dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis. On ne donne pas toutes leurs chances à nos filières industrielles. Mais il y a une vraie prise de conscience, tardive certes, des ministres Bruno Le Maire et Roland Lescure.

Comment le Net Zero Industry Act adopté par le Parlement européen fin 2023 et qui prévoit de faciliter le développement de 10 technologies dont le solaire, peut-il favoriser les produits européens ?

Comme je le disais, ce texte est une boîte à outils. Les appels d’offres publics devront comporter des critères de résilience et des critères environnementaux. Cela ne veut pas dire que l’utilisation de composants chinois est interdite mais une faveur est donnée à l’utilisation de composants européens. En jouant sur l’ensemble des critères de durabilité et de soutenabilité, il devrait y avoir la possibilité de définir un marché très clair pour les produits européens voire pour des produits français. On peut considérer que les marchés publics en Europe dans les prochaines années vont passer vers les fournisseurs européens.

"Le photovoltaïque est devenu une industrie de masse"

Le Net Zero Industry Act prévoit aussi que 30 % du volume des appels d’offres libres émis chaque année soit dédiés à des installations selon les mêmes critères. 30 % du marché devrait alors être réservés aux produits européens. 23 États européens sur 27 sont signataires de la charte sur le solaire européen et ont donc l’ambition d’appliquer les aides du Net Zero Industry Act.

Plusieurs usines de fabrication de panneaux solaires ont mis la clé sous la porte récemment, notamment en Allemagne et en France. Pourquoi ces usines ont fermé alors que les pouvoirs publics entendent développer la filière ?

Les usines qui ont fermé n’avaient aucune chance de survie à moyen-long terme. Le photovoltaïque est devenu une industrie de masse, c’est le coût qui fait foi, avec des économies d’échelle et une intégration verticale. C’est ce qui permet aux industriels chinois d’être si compétitifs. Si on veut lutter contre cette concurrence, il faut atteindre une certaine taille. L’usine Récom-Sillia en Bretagne, Voltec ou encore Photowatt, également en France, ont un avenir en grandissant.

"Il faut prendre conscience qu'on commence à se faire dépasser en Europe sur tous les sujets"

Il y aurait aussi de la place pour des petits acteurs très spécialisés, sur des produits intégrés au bâti par exemple. Ce type de produits, qui remplacent des éléments de constructions par des éléments qui ont des capacités photovoltaïques sont dépendants de la réglementation locale et sont complexes à produire en masse. Ce qui disqualifie la concurrence chinoise.

Un pacte de filière a été lancé par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et Roland Lescure, ministre chargé de l’Industrie. Il prévoit de rassembler les donneurs d’ordres, les énergéticiens et les développeurs de champs solaires. Est-ce suffisant ?

Le Pacte solaire est une excellente nouvelle, pour accompagner davantage la filière et mettre en place une réglementation. Avec ce texte, la France est positionnée de manière positive. C’est donc un signal important donné au niveau européen. Ce volontarisme existe aussi en Italie, en Allemagne et en Espagne.

Mais la Chine, les États-Unis et l’Inde ont aussi compris le besoin de se positionner et les investissements atteignent des milliards d'euros. Il faut prendre conscience qu’on commence à se faire dépasser en Europe sur tous les sujets avec un décrochage économique, car nous avons raté le coche de la transition écologique, le passage aux technologies de l’information, qui tire la croissance américaine et le virage de la voiture électrique avec des leaders qui sont chinois et américains.

La politique des États-Unis est aussi très attractive pour les industriels, à travers leur "Inflation réduction act". Quelle a été leur logique?

Le photovoltaïque est devenu la source d’électricité la plus installée dans le monde. De nombreux acteurs se positionnent aux États-Unis, en Inde, en Corée, en Turquie, en Afrique du Nord, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis. Le solaire devient un élément concret du mix énergétique et peu de grands pays ont envie de dépendre de la Chine.

L’Union européenne est un ensemble de pays ouverts sur le monde, un exportateur massif, qui a toujours choisi de ne pas freiner les importations et de favoriser son industrie. Les États-Unis sont déficitaires et ont fermé la porte aux importations chinoises et subventionné leur industrie, l’Inde a fait la même chose et dans d’autres pays des stratégies commerciales similaires existent pour développer une industrie locale.

"Nous avons énormément misé sur la partie développement et installation mais peu sur la partie industrielle"

Comment la Commission européenne et les gouvernements nationaux peuvent aider les industriels ? Et plus globalement toute la chaîne de valeur de la production au recyclage, en passant par l’installation ?

Il faudrait soutenir les industriels dès la production. Il n’y aura pas d'essor du photovoltaïque sans développement de l’industrie. Et sans le remplacement des emplois des filières conventionnelles de l’énergie par des emplois de la filière renouvelable. Nous avons énormément misé sur la partie développement et installation mais peu sur la partie industrielle. Ce qui a ouvert la porte à la Chine. Il y a cela dit une vraie ambition de rattrapage du côté européen avec la charte sur le solaire et le Net zero industry act.

Concernant le recyclage, c'est une filière embryonnaire car il n'y a pas suffisamment de panneaux à jeter pour l'instant. Mais la législation européenne sur le recyclage de matériaux électriques et électroniques a été mise en place il y a plus de 10 ans. Dès qu'un panneau est vendu en Europe, une somme minime dédiée au recyclage est collectée.

Est-ce que le changement de mandature à venir dans les institutions de l’Union européenne pourrait avoir un impact sur la politique en faveur du développement de l’énergie photovoltaïque ?

Le paquet réglementaire étant déjà établi, il n’y aura pas de nouvelles mesures au niveau européen. D’ici le 1er janvier 2025, nous attendons des clarifications de la Commission européenne sur les critères environnementaux des appels d’offres.

Mais surtout, au niveau de la Commission européenne, les caisses sont vides. Le budget est voté pour sept ans et le dernier budget a été bloqué par un certain nombre de pays qui ont accepté de le financer uniquement en garantissant l’impossibilité de l’augmenter dans les sept années à venir. Il y a toujours une possibilité de trouver des fonds mais l’ensemble des marges possibles ont été consommées par la crise Covid et la guerre en Ukraine.

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