La filière aéronautique sommée de se réinventer
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La filière aéronautique sommée de se réinventer

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En mobilisant 15 milliards d’euros pour relancer l’industrie aéronautique, le gouvernement cherche à amortir le choc de la crise sur l’emploi et les trésoreries. Un soutien au prix d’une accélération sur trois leviers sensibles : robotisation, décarbonation, et concentration.

Avec 300 M€ mobilisés pour la robotisation et la digitalisation de l'industrie aéronautique, le gouvernement veut accélérer le passage des PME et ETI à l'industrie 4.0 — Photo : Airbus S.A.S

Quel sera le visage de l’industrie aéronautique française dans deux ans ? Avec son plan de soutien à la filière, présenté le 9 juin par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, le gouvernement veut concilier deux objectifs : le sauvetage en urgence d’un secteur qui pèse 300 000 emplois pour 58 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et une transformation à moyen terme de l’offre et du tissu de sous-traitants. Réaffirmé durant la dernière décennie, le mouvement de concentration du secteur est amené à s’accélérer. La structuration historique de l’industrie aéronautique française, qui réunissait autour d’une poignée de locomotives (Airbus, Safran, Dassault…) une constellation de PME, a sans doute vécu.

Trafic : pas de retour à la normale avant 2023

Près des trois quarts des 15 milliards d’euros abondés par le gouvernement visent à soutenir la demande. L’essentiel de l’enveloppe s’adresse aux compagnies aériennes avec 7 milliards d’euros fléchés sur Air France et 3,5 milliards d’euros d’aides aux trésoreries via l’aménagement des dispositifs de soutien financier à l’export.

La santé des compagnies reste la principale inconnue pour la relance du secteur. Les dernières prévisions de L’Association internationale du transport aérien (IATA) anticipent un recul de 36 % du trafic mondial en 2020, et près de 75 milliards d’euros de pertes pour les transporteurs. L’IATA estime qu’il faudra attendre 2023 pour retrouver le trafic d’avant-crise. Les avionneurs ont anticipé dès le mois d’avril avec une réduction d’un tiers des cadences chez Airbus comme chez Boeing, qui font craindre des conséquences économiques et sociales en cascade dans la sous-traitance.

Préserver les compétences

Les premières mesures spécifiques à l’industrie aéronautique concernent l’emploi. Le chômage partiel va rester accessible sur le long terme (18 ou 24 mois) pour éviter ou réduire les plans sociaux comme celui envisagé chez le sous-traitant Derichebourg Aeronautics Services (700 postes sur 1 500). D’après nos sources, la direction d’Airbus présentera d’ici la fin juillet un plan d’ajustement de sa branche aviation civile (90 000 salariés) qui devrait être moins dur que les 10 000 départs évoqués dans la presse britannique en mai.

La sauvegarde à court terme de l’emploi se double d’une volonté de préserver les savoir-faire. « La chute des commandes ne doit pas détruire des compétences que nous avons mis des décennies à construire », a résumé Bruno Le Maire. Ce point est consensuel jusque chez le syndicat majoritaire de la profession, Force Ouvrière. « La priorité est d’éviter des départs contraints et de maintenir l’emploi et les savoir-faire sur nos territoires, rappelle Philippe Fraysse, secrétaire fédéral en charge de l’aéronautique. Nous demandons à l’État un suivi régulier pour vérifier que les entreprises s’engagent dans cette voie. »

Accélérer sur la robotisation

Représentante des régions au sein du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), la présidente de la Région Occitanie Carole Delga fait entendre sa déception sur le volet compétences. « Sur cette question, le plan gouvernemental est trop flou et renvoie aux discussions en cours avec une autre ministre, regrette l’élue. Les Régions attendent des dotations budgétaires exceptionnelles afin de pouvoir financer des formations supplémentaires. »

La montée en compétences doit accompagner l’un des trois leviers de relance mis en avant par l’Etat : la robotisation et la digitalisation de la filière, avec 300 millions d’euros mobilisés sur trois ans. Président du pôle de compétitivité Aerospace Valley (850 membres en Nouvelle-Aquitaine et Occitanie), Yann Barbaux y voit l’occasion de moderniser une filière trop mobilisée ces dernières années par la montée en cadence pour repenser ses outils industriels. « L’idéal serait de créer une continuité numérique dans l’ensemble de la chaîne de valeur, ce qui implique que chaque entreprise puisse investir à hauteur des besoins, pointe le dirigeant. La robotisation est bienvenue pour aider nos entreprises à rester dans la compétition internationale, à condition que les investissements se doublent d’une refonte des organisations de travail et des flux. »

Accélérer les ruptures technologiques

Un deuxième levier concerne la décarbonation de l’offre, avec l’objectif de commercialiser dès 2035 des avions « zéro émissions » propulsés à l’hydrogène. La ministre de la Transition énergétique Florence Parly a aussi annoncé la production d’un nouvel avion régional hybride d’ici la fin de la décennie. « D’ici là, les carburants alternatifs, synthétiques ou issus de la biomasse, seront une étape importante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sans bouleverser la conception des avions. Avec les technologies actuelles, la propulsion électrique nécessite des batteries très lourdes et l’hydrogène des volumes de stockage importants », souligne Alexandre Feray, PDG fondateur de la société dédiée à l’efficacité énergétique dans l’aéronautique OpenAirlines (42 salariés, CA 2019 : 3,6 M€).

Pour accélérer les ruptures technologiques, le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) a été doté de 1,5 milliard d’euros sur trois ans. L’effort de recherche sera-t-il suffisant ? « L’enjeu sera de maintenir l’effort sur le long terme, sachant que, pour l’hydrogène, c’est aussi une filière complète de production et de logistique qu’il nous faut construire », pointe encore Yann Barbaux.

Fonds propres : des moyens insuffisants ?

Reste le troisième levier, portant sur la concentration des PME. Le plan de soutien crée un fonds d’investissement de 500 millions d’euros, abondé à hauteur de 80 % par l’État et un consortium d’industriels (Airbus, Safran, Thales et Dassault), le solde étant apporté par le gestionnaire du fonds. Le dispositif permettra de lever un milliard d’euros pour soutenir les fonds propres des entreprises face aux appétits chinois ou américains, et accompagner la consolidation des sous-traitants. Le modèle : les ETI constituées ces dernières années par le regroupement de PME familiales (Nexteam, We Are Group…) ou par la création de nouvelles capacités (Lauak, Figeac Aero…).

Des initiatives similaires sont prises au plan local. « Nous travaillons avec les élus pour créer un fonds d’investissement qui éviterait que des intérêts étrangers fassent main basse sur nos entreprises, rapporte Thierry Haure-Mirande, président d’Aéroprotec (120 salariés, 10 M€ de CA) et président de l’UIMM Adour Atlantique. Il nous faut aussi voir si on ne peut pas rapprocher certaines TPE et PME, dont la plupart étaient déjà dans une situation fragile avant la crise. » La concentration sera-t-elle la panacée ? « Plus une entreprise est grande, plus fortes sont ses chances d’accéder aux financements pour faire face à une crise, moderniser son outil ou développer sa R & D, reconnaît un entrepreneur du secteur. Mais les montants mobilisés par le gouvernement ne permettront pas de sauver tout le monde. »

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