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Difficultés de recrutement des entreprises : comment s'en sortir ? 
Enquête France # Ressources humaines

Difficultés de recrutement des entreprises : comment s'en sortir ? 

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Le marché du travail semble s’enrayer. Ces derniers mois, les dirigeants d’entreprise sont de plus en plus nombreux à évoquer leurs difficultés à recruter. La problématique est prise très au sérieux par le gouvernement qui va mettre 1,4 milliard d’euros sur la table pour pallier ces difficultés. Mais pourquoi est-il compliqué de recruter dans un pays qui compte plus de 5 millions de demandeurs d’emploi ? Et que faire pour améliorer durablement la situation ?

La restauration est l’un des secteurs qui peine le plus à recruter — Photo : alfa27

La situation est paradoxale. La France a beau compter plus de 5,5 millions de demandeurs d’emploi, près de la moitié des entreprises peinent à trouver la main-d’œuvre dont elles ont besoin, selon la dernière enquête de la Banque de France publiée le 11 octobre dernier. L’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) estime pour sa part dans une étude publiée le 19 octobre que 80 % des DRH déclarent connaître des difficultés de recrutement. Ces derniers mois, beaucoup de chefs d’entreprise, dans tous les secteurs d’activité et dans toutes les régions de France, font état de leurs pires difficultés à trouver les compétences nécessaires au développement de leur entreprise. Recruter, une mission (quasi) impossible dans une économie post-confinements que beaucoup imaginaient marquée par des taux de chômage records ?

La situation est particulièrement tendue dans l’industrie, le bâtiment, les secteurs de la santé et de la restauration. "Le manque d’attractivité de certains emplois, notamment dans le bâtiment, a été aggravé par la crise sanitaire. Une période au cours de laquelle beaucoup de salariés ont désacralisé le travail et pris la résolution d’y retrouver plus de sens une fois la crise passée. Nous avons du mal à convaincre les gens de se réorienter vers les métiers du bâtiment, de l’industrie ou de la supply chain", confie Fatine Dallet, executive director au sein du cabinet de recrutement PageGroup. À cette situation, s’ajoute une pénurie constante de profils et de compétences en cybersécurité, en digitalisation ou encore en informatique.

Une intensité des embauches

Pourquoi ça coince ? Pour Mathieu Plane, économiste au sein de l’OFCE, c’est la contrepartie de la bonne reprise. "L’économie est repartie plus vite que prévu. L’intensité du rebond de cette crise hors-norme crée des difficultés et des volatilités dans l’emploi". Plus de 800 000 postes ont été créés ces quatre derniers trimestres, et plus de 450 000 sur le seul premier trimestre 2021. "C’est presque du jamais vu. Nous avons un flux de recrutement très intense, ce qui amène des effets de goulot d’étranglement", commente l’économiste. Cette hausse des tensions, qui n’est pas nouvelle, provient donc notamment de l’intensité des embauches. Lorsque les employeurs renouvellent fortement leur main-d’œuvre, il y a mécaniquement plus d’offres même s’il n’y a pas forcément plus d’effectifs en emploi au total. Ce dernier facteur a fortement joué à partir du mois de mai 2021, avec la réouverture de pans entiers de l’économie. Après plusieurs mois de gel des embauches, les entreprises ont cherché à recruter en même temps un grand nombre de personnes, alors que les demandeurs d’emploi n’ont que progressivement repris leur recherche puisqu’ils se trouvaient sur un marché très dégradé quelques semaines plus tôt. Les employeurs se retrouvent ainsi en concurrence car ils cherchent à recruter les mêmes demandeurs d’emploi et cela provoque des tensions. "Pour une certaine main d’œuvre mobile, qui n’est pas forcément la plus qualifiée, les salariés n’ont pas hésité à voir ce qui se passait ailleurs. Dans la restauration, les salariés en contrat court, qui n’ont pas ou peu bénéficié du chômage partiel, ont pu se positionner dans les secteurs qui embauchaient. Il y a donc une désorganisation entre l’offre et la demande", analyse Mathieu Plane.

Les difficultés de recrutement sont également dues, pour Fatine Dallet, à l’évolution des métiers et des besoins des entreprises qui provoquent une désynchronisation entre la demande pour certains métiers et les spécialisations offertes par le système de formation. Le marché du travail a besoin de métiers parfois très spécialisés qui ne sont offerts nulle part dans le système de formation, l’entreprise étant, dans ce cas, obligée de mettre en place des formations spécifiques. "Certaines entreprises dans l’environnement de la tech travaillent avec des écoles d’ingénieurs pour développer des programmes spécifiques", donne en exemple Fattine Dallet.

La faute aux entreprises ?

Selon Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS, les difficultés résultent moins d’une problématique de formation déjà existante que d’un problème d’attractivité d’une trentaine de métiers. Car, à y regarder de plus près, ce sont surtout le bâtiment, la logistique, l’hôtellerie-restauration, les services à la personne, la santé qui éprouvent les plus vives difficultés pour attirer et recruter de nouveaux entrants mais aussi pour conserver leurs collaborateurs en poste. Les salariés s’orientant vers des contrats moins précaires. "Les entreprises doivent s’interroger sur ce qu’elles peuvent proposer à leurs collaborateurs pour se projeter dans leur carrière et s’investir dans leur travail. C’est toujours intéressant de se former. Encore faut-il que les gens aient de la visibilité. Ils ne vont pas entreprendre une formation avec un contrat de quinze jours", estime la directrice de recherche au CNRS. Les employeurs doivent par ailleurs s’intéresser à la qualité du travail proposé. "Une remise en question des offres d’emploi peut se poser dans certains secteurs, comme le BTP ou la restauration qui tournent avec beaucoup de contrats courts, des fourchettes horaires assez larges et des rémunérations parfois assez basses, ce qui les rend peu attractifs", ajoute Mathieu Plane.

Pire qu’en 2019 ?

Cette absence de candidats adéquats n’est pas sans conséquences pour les entreprises. Elle pèse sur leur activité et leur croissance. Eric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales et de la formation de la CPME, qui gère par ailleurs un commerce dans l’ameublement à Chartres, rencontre des difficultés pour recruter des vendeurs et des commerciaux, ce qui impacte directement son activité. "Beaucoup d’entreprises comme la nôtre renonçons à des augmentations de chiffre d’affaires, à de nouveaux marchés", assure-t-il. Selon les organisations patronales, la situation s’avère d’une ampleur inédite, bien pire qu’avant la crise sanitaire. "Avant on parlait de métiers en tension, aujourd’hui on dit que l’économie est sous tension", ajoute Eric Chevée. Pour le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, cette problématique constitue "le plus grand danger pour l’économie française". Message entendu cinq sur cinq au sommet de l’État : "Le problème numéro un que nous avons tous aujourd’hui, c’est un problème de recrutement de salariés et de personnels", assure le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

Pourtant, les difficultés de recrutement ne sont pas nouvelles et nombre d’entreprises en souffraient avant le déclenchement de la crise sanitaire. Est-ce plus compliqué de recruter aujourd’hui ? Pas forcément relativise l'économiste Mathieu Plane. "Macro-économiquement, nous n’avions pas encore atteint cet été le pic de 2019 mais les derniers chiffres d’octobre montrent des plus hauts historiques. En revanche, les délais de recrutement sont plus courts qu’en 2019. Au regard des prévisions que nous faisons, la situation devrait se stabiliser, mais de nombreux secteurs resteront en tension, ce d’autant plus si la reprise perdure en 2022", explique-t-il. Conseiller économique de Natixis, l’économiste Patrick Artus relativise aussi cette problématique du recrutement : "S’il est vraisemblablement plus compliqué, plus long et plus coûteux de recruter pour les entreprises, force est de constater qu’elles embauchent de façon très dynamique."

Un plan pour mieux former

Toujours est-il que le gouvernement a promptement réagi pour tenter d’améliorer la situation. Le 27 septembre, le Premier ministre Jean Castex et la ministre du Travail Élisabeth Borne ont dégainé en urgence les détails d’un nouveau plan d’investissement dans les compétences, qui a pour but de mettre fin au paradoxe qui pèse sur la reprise. 1,4 milliard d’euros vont être investis sur deux ans pour faciliter les embauches, en formant davantage les demandeurs d’emploi et les salariés.

Pour les syndicats patronaux, ce plan va dans le bon sens. Au Medef, on estime que "toutes les mesures qui ont pour objectif de ramener vers l’emploi des jeunes et des chômeurs longue durée sont parfaitement bienvenues, pourvu qu’on évalue le retour effectif à l’emploi durable des jeunes et des chômeurs de longue durée". Les efforts doivent toutefois être poursuivis sur le terrain selon les organisations patronales. Pour la CPME, il faut clairement revoir la formation des demandeurs d’emploi. "Beaucoup de jeunes arrivent sur le marché du travail, mais très peu sont formés vers des secteurs qui embauchent. Nous payons pour former des demandeurs d’emploi mais ça ne sert à rien", s’exaspère Eric Chevée. Pour la CPME, ces missions de formation doivent revenir aux entreprises comme elles le font déjà avec l’apprentissage. "L’argent qu’on nous prend pour financer les cotisations formation, c’est autant de financement que nous n’avons pas dans les entreprises pour former nos salariés. Il faut réinvestir la formation professionnelle dans l’entreprise, remettre l’argent dans les entreprises et non plus dans les régions et Pôle Emploi ", suggère le vice-président chargé des affaires sociales et de la formation de la CPME.

La formation des demandeurs d’emploi est aussi un problème du point de vue du Medef : "Les formations doivent être fléchées, orientées vers des secteurs qui recrutent prioritairement. Nous nous interrogeons toujours sur le retour effectif à l’emploi durable des demandeurs d’emplois formés par Pôle Emploi", explique-t-on au Medef. Interrogée sur ce point et sur les actions mises en place pour faciliter le recrutement des entreprises, la direction de Pôle Emploi n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Rapprocher les écoles et les entreprises

Le Medef, qui a ouvert mi-octobre avec les partenaires sociaux une négociation sur la formation professionnelle, identifie plusieurs autres sujets prioritaires. L’évolution de la formation initiale dans les écoles est un des leviers de réponse. "Il faut mieux lier l’école et l’entreprise", constate le syndicat patronal. La première université école-entreprise organisée début octobre par le ministère de l’Éducation nationale pour rapprocher les écoles et les entreprises et mieux articuler l’orientation des élèves aux réalités du marché du travail est un début de réponse. Selon Mathieu Plane, il faut "bien anticiper les besoins sectoriels futurs et favoriser l’insertion des jeunes décrocheurs, renforcer l’information des familles, mais aussi mieux valoriser certains métiers tout au long de l’éducation".

Autre sujet : celui de la professionnalisation du compte personnel de formation (CPF), qui doit être repositionné sur des actions de formation s’inscrivant dans une réelle évolution professionnelle du collaborateur. "Pour que les salariés puissent faire un usage utile de leur compte de formation, ils doivent avoir un accès facilité au Conseil en Évolution Professionnelle (CEP). Les collaborateurs doivent être accompagnés et éclairés dans leur choix de formation", rapporte le Medef. Il faut aussi, selon l’organisation professionnelle, simplifier le répertoire des formations pour mieux orienter le salarié. L’accord-cadre national interprofessionnel du 14 octobre fait un certain nombre de propositions, dont la mise en place d’un passeport compétences. Un dispositif qui permettrait aux salariés de valoriser les formations suivies dans le cadre du parcours professionnel de chacun, et aux chefs d’entreprise d’avoir une visibilité sur le parcours professionnel du collaborateur.

Pour résoudre les difficultés de recrutement des entreprises dans les territoires, Mathieu Plane estime enfin qu’il faut mettre le paquet sur les possibilités de reconversion et les transitions professionnelles. "Des dispositifs existent dans le plan relance et permettent aux entreprises qui ne peuvent pas garder les salariés de leur offrir une formation allant jusqu’à 24 mois afin de réaffecter la main d’œuvre là où il y a des tensions. Le plan de relance cible 5 000 personnes de plus qu’en temps normal, ce qui reste faible". Il faudrait offrir, selon l’économiste, la possibilité aux personnes qui sont en poste de créer plus de mobilité intersectorielle.

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