Coronavirus : « Je crains une augmentation des cessations de paiements dans les prochains mois »
Interview # Finance

Kristell Dicharry présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Bretagne et Loire-Atlantique Coronavirus : « Je crains une augmentation des cessations de paiements dans les prochains mois »

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La Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Rennes (Bretagne et Loire-Atlantique) est inquiète. Après les confusions dans la mise en place du prêt garanti par l’État, elle craint une vague de cessations de paiements dans les prochains mois et appelle les entreprises à la responsabilité sur le respect des délais de paiement.

— Photo : © CRCC

Vous représentez la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Bretagne et Loire-Atlantique qui rassemble 590 commissaires aux comptes et qui couvre 17 000 entités sur le territoire. Comment se passe la mise en place du prêt garanti par l’État (PGE) ?

Kristell Dicharry : La mise en place du prêt garanti par l’État a été beaucoup plus complexe sur le terrain que ce que voulait le gouvernement posant ainsi des difficultés au cours des premières semaines de confinement.Les banques n’avaient pas toutes la même lecture des textes et ne demandaient pas toutes les mêmes documents aux entreprises. Désormais, les process sont accélérés mais cela a généré pas mal d’anxiété chez les chefs d’entreprise. La réponse aux entreprises qui ont fait la demande de prêt doit se faire en 5 jours, même si c’est le cas actuellement il faut constater que la mise en œuvre du dispositif a été plus longue que prévu au début et dépend également de la situation financière de l’entreprise. Le dossier d'une entreprise qui recourt à un pool bancaire demande un traitement supplémentaire de recueil de l’engagement de l’ensemble des banques constituant le pool bancaire. Certaines entreprises demandaient des prêts à hauteur de 25 % de leur chiffre d’affaires, mais elles ne l’ont pas eu en totalité. Les banques jouent le jeu, à partir du moment où la demande est raisonnable.

Avez-vous eu écho d’entreprises qui se sont vues refuser le PGE ?

Kristell Dicharry : Oui, et ce sont pour la plupart des sociétés qui étaient en difficulté financière avant le contexte de crise sanitaire que nous connaissons depuis le 17 mars 2020. Dans ce cas, nous les orientons alors vers les tribunaux de commerce pour une procédure amiable, de conciliation ou mandataire adhoc. Le sujet de la trésorerie sera encore présent dans les mois à venir. Je crains la cessation de paiements pour certaines entreprises dans deux ou trois mois, quand toutes les entreprises reprendront leur activité. Pour le moment, elles ont encore le carnet de commandes du début de l’année à assurer mais elles peuvent être confrontées à une baisse brutale de la demande. Je suis inquiète pour l’avenir.

« Les chefs d’entreprise sont épuisés psychologiquement »

Qu’en est-il des délais de paiement ? Est-ce qu’ils sont respectés par les entreprises ?

Kristell Dicharry : Nous sommes en alerte sur ce sujet. Il y a une vraie tension en ce moment sur les délais de paiement. Cela s’explique par le fait que les entreprises n’ont pas encore reçu le versement du PGE. La majorité des entreprises que l’on suit n’ont pas reçu leurs paiements. Ce que nous rapportent les entreprises, c’est aussi que le secteur public ne respecte pas toujours leurs délais de paiements. Cela nécessite des relances quotidiennes. Chacun est dans un mode de préservation de son cash. Nous en appelons à la responsabilité et à l’éthique de chaque dirigeant afin de ne pas rompre la chaîne des délais de paiement.

Vous côtoyez au quotidien les chefs d’entreprise. Dans quel état d’esprit sont-ils ?

Kristell Dicharry : Ils sont combatifs, mais épuisés psychologiquement parce qu’ils ont dû faire face aux messages confus du gouvernement. Ils ont une obsession : reprendre leur activité au plus vite tout en préservant la santé de leurs salariés. Ils ont besoin d’être rassurés sur le fait que leur responsabilité ne soit pas engagée si toutefois un de leurs salariés pouvait être amené à être contaminé alors même qu’ils ont mis en place des dispositifs de sécurité. Je salue leur courage. Ils se battent, ils font preuve d’un courage sans faille, ils redonnent du sens à la valeur entrepreneuriat. Il ne faut pas oublier que les entreprises sont le poumon de notre économie.

Comment la crise actuelle sera-t-elle prise en compte dans la comptabilité ?

Kristell Dicharry : Il y a un groupe au sein de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes qui travaille pour définir le traitement comptable de la crise Covid19 sur les états financiers 2020 en lien avec l’ANC, le normalisateur comptable. Le résultat devrait être rendu public d’ici une dizaine de jours. Ce qui est certain, c’est que la prise en compte sera différente pour les entreprises qui ont adopté un référentiel international (IFRS) et celles qui ont choisi un référentiel français. Pour celles qui ont adopté les normes IFRS, nous savons que les conséquences comptables devront être traduites en résultat courant et non en résultat exceptionnel.

Quel est l’impact du confinement sur l’activité des commissaires aux comptes ?

Kristell Dicharry : Depuis un mois, la plupart des équipes de commissaires aux comptes sont passées en télétravail. Quelques-unes sont désormais au chômage partiel faute de pouvoir accéder aux documents financiers de leurs clients. Pour que nous puissions être efficaces en télétravail, il faut que notre client soit également organisé en interne sur une digitalisation complète de ses processus. Nous arrivons à avancer avec les groupes, ETI et grandes PME qui se sont déjà organisés mais il reste 5 à 10 % du travail qui nécessite de se rendre sur place. Cela nous conduit à avoir une réflexion sur notre profession et sur sa transformation numérique pour être plus agile. Il faut aussi que l’on soit pédagogue vis-à-vis de nos clients pour leur montrer les enjeux de la dématérialisation.

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