Bpifrance : « Rompre l’isolement des dirigeants en développant massivement l’accompagnement »
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Guillaume Mortelier directeur exécutif de l'accompagnement chez Bpifrance Bpifrance : « Rompre l’isolement des dirigeants en développant massivement l’accompagnement »

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Bpifrance souhaite renforcer l’accompagnement des dirigeants dans toutes les dimensions de l’aventure entrepreneuriale. Elle vient de créer une direction exécutive de l’accompagnement, confiée à Guillaume Mortelier. Cet X-Ponts de 40 ans, direct et passionné, est passé par des fonds d’investissement privés avant de participer à la création de Bpifrance à partir de 2012. Pour Le Journal des Entreprises, il détaille sa feuille de route et précise ses ambitions au service des PME et des ETI.

Guillaume Mortelier, directeur exécutif de l'accompagnement chez Bpifrance, veut "accélérer" 4 000 entreprises en quatre ans — Photo : Xavier Debontride

Le Journal des Entreprises : Début septembre, vous avez été nommé directeur exécutif de l’Accompagnement chez Bpifrance. De quoi s’agit-il ?

Guillaume Mortelier : La création de cette nouvelle direction exécutive traduit la volonté de Bpifrance d’incarner un métier à part entière, essentiel pour la banque. Bpifrance est la seule, en France et en Europe, à avoir fait ce choix. Le principe même qui a présidé à la création de la banque publique, en 2013 – la volonté de créer un point d’entrée pour tous les entrepreneurs vers tous les dispositifs de financement, à la fois subventions, prêts, investissements en fonds propres et depuis 2017, l’assurance export – a permis de créer des relations très fortes entre nos clients et nos chargés d’affaires, dans les territoires. Un rapport de confiance s’est rapidement installé. Très vite, les dirigeants nous ont sollicités, en nous interrogeant sur des besoins portant sur des enjeux non strictement financiers : croissance externe, international, structuration commerciale...

C’est donc tout cela, l’accompagnement ?

G. M. : Exactement ! Nous avons constaté très tôt qu’au-delà de la simple demande de financement, les entrepreneurs exprimaient un vrai besoin de se faire accompagner. Cela va de pair avec la solitude du dirigeant, totalement impliqué dans le développement de son entreprise et qui n’a pas toujours le temps d’échanger avec d’autres.

« Ma feuille de route consiste à faire de l’accompagnement un métier à part entière. »

Nous avons donc lancé des initiatives pour favoriser la mise en relation des dirigeants entre eux ou avec des conseils et de la formation. Nous avons semé des graines, en étant portés par les attentes des entrepreneurs. Cela nous a permis de vérifier l’état de la demande et d’adapter notre offre. Chez Bpifrance, nous sommes convaincus que l’accompagnement est un métier essentiel, en synergie avec les outils de financement. En tant qu’acteur public, nous avons un rôle à jouer en ce sens. Ma feuille de route, c’est d’en faire un métier à part entière, en étant au plus près des territoires.

Que proposez-vous, concrètement ?

G. M. : Nous avons trois grandes actions. La première brique, ce sont les missions de conseil. Nous en avons réalisé plus de 2000 en 2017. Nous faisons émerger les besoins des entrepreneurs, et nous définissons ensemble un cahier des charges en les mettant en relation avec des consultants indépendants, que nous avons sélectionnés sur tout le territoire. Ce n’est pas Bpifrance qui réalise l’étude, nous agissons toujours en facilitation, pour accompagner l’écosystème. Notre enjeu, c’est de rompre l’isolement du dirigeant.

La deuxième brique, c’est la formation. Nous avons noué des partenariats avec des grandes écoles de commerce françaises et internationales pour des formations en présentiel. Nous proposons également une plateforme de e-learning qui compte déjà plus de 15 000 inscrits, pour des formations gratuites en ligne.

Enfin, la troisième brique de l’accompagnement, c’est la mise en relation entre entreprises matures, grands groupes, PME, ETI et start-up, pour piloter l’open-innovation, via le Bpifrance Hub. La banque dédie un budget sur ses fonds propres pour financer ces différentes actions d’accompagnement. C’est un véritable investissement, avec un enjeu majeur d’impact économique.

Et le club Bpifrance Excellence, comment fonctionne-t-il ?

G. M. : Il a été créé dans le même esprit : il se compose de 4 000 dirigeants ambitieux, sélectionnés par les chargés d’affaires dans le réseau, pour lesquels nous organisons des événements, à fort contenu. Mais l’enjeu est aussi dans la rencontre entre dirigeants au sein de ce club, afin qu’ils nouent des relations dans la durée. À partir de tous ces ingrédients, nous créons des parcours à la carte, pilotés par nos chargés d’affaires, en lien avec les responsables de l’accompagnement déployés en région.

Vous avez notamment participé à la création du premier accélérateur PME chez Bpifrance en 2015. De quoi s’agit-il ?

G. M. : Comme son nom l’indique, il s’agit de « booster » les entreprises ! Durant deux ans, nous proposons à des PME et ETI un programme complet comprenant de la formation, du conseil et de la mise en relation.

La première promotion comptait 60 dirigeants de PME. Au bout de deux ans, parce qu’ils se sont réunis huit fois par an, qu’ils ont travaillé ensemble sur des problématiques communes, ont fait des voyages d’études, ils ont créé du lien et n’ont presque plus besoin de nous sur ce volet ! C’est comme une promotion de grande école. 150 dirigeants sont déjà sortis de ces programmes, 700 sont en cours d’accélération. Nous voulons accélérer 4 000 entreprises en quatre ans.

Quel est le profil-type de ces entreprises ?

G. M. : Comme je l’ai dit, il faut qu’elles aient une ambition forte de développement. La volonté du dirigeant de s’investir personnellement et d’échanger, de coinvestir dans des missions de conseils. Nous avons la capacité de parvenir à cet objectif : nous avons des outils de financement qui nous positionnent dans un rapport de proximité très fort avec les entreprises.

Nous sommes une banque publique, mais très proche du privé, et les collaborateurs ont souvent un parcours professionnel dans les deux mondes, ce qui est mon cas (Guillaume Mortelier a notamment travaillé chez le cabinet de conseil en stratégie Bain & Co, au sein du fonds Astorg Parners et chez Proparco avant de rejoindre CDC Entreprises, l’une des composantes de Bpifrance, en 2012, NDLR). Cela nous positionne comme un entremetteur sociétal. Je suis convaincu qu’au cours des quatre dernières années, Bpifrance a contribué ainsi à transformer le métier de la banque. Et sur les quatre prochaines années, nous allons transformer la manière de faire de l’accompagnement, en mobilisant l’écosystème !

Très concrètement, quel est le parcours qu’un dirigeant de PME ou d’ETI en région doit suivre pour bénéficier de cet accompagnement ?

G. M. : Il doit d’abord s’adresser à sa direction régionale Bpifrance. Le chargé d’affaires reste son interlocuteur privilégié, c’est lui qui va cadrer les besoins et ensuite, établir des priorités et un parcours en l’orientant vers des experts. Notre puissance, c’est le point d’entrée unique, simple et lisible pour les dirigeants.

« L’objectif du fonds Build-up International, c’est de contribuer à la création de multinationales familiales françaises »

Vous venez d’annoncer la création du fonds Build-up international pour l’internationalisation des PME et ETI familiales. Que proposez-vous ?

G. M. : Nous ciblons en priorité les entreprises ayant un blocage capitalistique : les entreprises familiales sont parfois dans ce cas. Nous les encourageons à ouvrir leur capital, car les avantages sont énormes, mais certaines ne veulent pas ou ne peuvent pas le faire. Pour pousser ces entreprises à s’internationaliser, nous avons incubé ce fonds depuis le début de l’année. Nous sommes actuellement en dialogue avec une quinzaine de dirigeants qui cherchent à consolider leurs positions sur des marchés matures. Nous mobilisons 200 millions d’euros dans ce fonds et nos investissements se situent entre 3 et 30 millions d’euros. Ce qui nous permettra d’accompagner 15 à 20 projets en quatre ans.

L’objectif, c’est de contribuer à la création de multinationales familiales et de renforcer le Mittelstand français, ce tissu de PME et ETI performantes qui fait la force de l’économie outre-Rhin. Ce qui est novateur, c’est que nous allons coinvestir avec elles à l’étranger, pour renforcer leur puissance de feu et leur apporter un accompagnement spécifique, pour limiter les risques liés à l’acquisition.

Quel regard portez-vous sur la conjoncture économique en cette rentrée un peu compliquée ?

G. M. : Il faut être conscient des signaux négatifs à court terme et des dangers potentiels, mais les entrepreneurs doivent adopter une vision de long terme et définir une ligne structurante pour y parvenir. Les entrepreneurs à succès sont ceux qui ont, dès le début, une vision, un cap, sans avoir des œillères pour autant. Il faut savoir s’adapter au gré du contexte économique et des opportunités stratégiques tout en gardant ce cap.

Nous observons de plus en plus d’entreprises qui se préoccupent de leur utilité sociale, qui adoptent une démarche RSE. Comment les accompagnez-vous ?

G. M. : Pour Bpifrance, l’intégration de cette démarche est essentielle. Mais nous n’entrons pas dans un enjeu de doxa, pour cocher des cases ou faire un beau rapport. Nous considérons qu’il s’agit d’un enjeu de business : l’intégrer tôt dans la stratégie permet d’anticiper les mouvements technologiques, sociétaux et réglementaires. C’est le cas pour les ressources humaines, la production. Nous proposons ainsi des modules de conseil qui permettent d’accompagner les entrepreneurs dans cette transition.

À propos de transition écologique, n’est-ce pas paradoxal de prôner l’essor de l’internationalisation, à l’heure où l’on redécouvre les vertus des circuits courts et de la proximité ?

G. M. : Se développer à l’international ne signifie pas forcément internationaliser la chaîne de production. Nous ne sommes plus dans la vision de l’usine globale, à la chinoise, pour servir le marché mondial. Nous rentrons dans une phase de régionalisation de l’internationalisation, en réfléchissant par ensembles géographiquement proches.

« Les entrepreneurs à succès sont ceux qui ont, dès le début, une vision, un cap, sans avoir des œillères pour autant, car il leur faut savoir s'adapter. »

Pour les entreprises françaises, l’enjeu de l’internationalisation, c’est déjà l’Europe. Il s’agit de créer des leaders européens. On peut s’associer avec des Allemands sans créer une usine sur place, en développant des échanges technologiques. La croissance externe est importante, en termes de captation de culture industrielle, d’innovation. Une PME qui réalise un build-up à l’international se transforme, par la langue, la culture. Cela rend les entreprises plus agiles.

Vous venez de vous voir confier une feuille de route passionnante. Quel est votre objectif à quatre ans ?

G. M. : Dans quatre ans, nous aurons largement développé l’accompagnement en termes de nombre d’interventions. Nous continuons à déployer des accélérateurs en partenariat avec les Régions et des filières, comme dans le secteur aéronautique avec le Gifas, nous travaillons aussi avec la plasturgie, la chimie, l’automobile…

À côté de cette feuille de route « développement », nous avons un volet « transformation » très important. Nous travaillons sur des projets innovants qui verrons le jour dans les prochains mois et qui sont déjà très prometteurs. Nous sommes dans une phase de « passage à l’échelle de l’accompagnement sur-mesure » ! Mais nous ne voulons pas être une organisation lourde, nous recherchons en priorité l’effet de levier pour emmener l’écosystème dans la voie de la transformation, toujours en partenariat.

Le 11 octobre aura lieu la quatrième édition de l'événement BIG, à Paris. C’est la traduction directe du positionnement de Bpifrance auprès des entreprises ?

G. M. : Réunir 40 000 entrepreneurs en un même lieu, c’est majeur ! C’est un grand chaudron de la transformation, avec l’idée que cela crée de l’activité et de la valeur.

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