Côtes-d'Armor
Le plan logement inquiète le bâtiment
Côtes-d'Armor # BTP # Collectivités territoriales

Le plan logement inquiète le bâtiment

S'abonner

Les mesures inscrites dans le plan logement inquiètent les professionnels du bâtiment en Côtes-d’Armor. Même si certaines dispositions sont jugées plutôt pertinentes, la baisse des APL, la fin du dispositif Pinel ou la refonte de certains crédits d’impôts laissent craindre un ralentissement brutal d'une reprise, pourtant constatée par tous les acteurs depuis quelques mois.

— Photo : Julien Uguet / Journal des entreprises

Un « choc de l’offre » qui pourrait se transformer en crash pour de nombreuses entreprises du bâtiment en Côtes-d’Armor. Présenté fin septembre par le gouvernement, le plan logement, censé offrir un souffle nouveau à la filière, inquiète plus qu’il ne rassure. « En l’état actuel, si rien ne bouge, on risque d’aller à la catastrophe pour de nombreuses sociétés costarmoricaines qui vont voir leur marché s’effondrer », confirme Jean-François Hervé, secrétaire général de la fédération française du bâtiment en Côtes-d’Armor.

Président de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment dans les Côtes-d’Armor, Vincent Dejoie estime, de son côté, « qu’un certain nombre de mesures a été pris dans un seul objectif d’économie budgétaire. Aucune étude d’impact n’a été réalisée sur les conséquences pour les marchés de la construction et de la rénovation. »

Le risque d’une fracture territoriale

L’inquiétude est d’autant plus grande pour les professionnels du bâtiment que le marché était revenu à des niveaux très acceptables. Au cours des 6 premiers mois de l’année 2017, la construction de logements neufs, individuels ou collectifs, affichait une hausse de 29 % sur un an, en surperformance par rapport à l’échelon régional (+ 10 %) ou national (+ 14 %). Toujours sur la même période, le nombre de permis de construire délivrés a atteint 1360 contre 1067 en 2014, signe de carnets de commandes remplis pour les 12 mois à venir.

« Nous étions confiants dans l’avenir avec de véritables perspectives sur le long terme après des années de tension, confirme Trémeur Fraval, P-dg de la société Bidault TP à Saint-Donan (7,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, 70 salariés). Et là, patatra ! De nombreuses dispositions du plan, si elles ne sont pas amendées par le Parlement, vont détruire la dynamique enclenchée avec un recul immédiat de l’offre. Tout risque de s’effondrer car personne, à Paris, n’a pris en compte les spécificités du tissu économique local. Nous sommes de toute manière habitués. Les Côtes-d’Armor ont toujours été le parent pauvre du bâtiment vue de la Capitale. »

Les chiffres annoncés par la fédération du bâtiment parlent d’eux-mêmes. « A l’échelle de la Bretagne, on estime que le plan logement aura comme conséquence un recul de 5000 à 6000 logements neufs par an, confirme Jean-François Hervé, de la FFB 22. C’est considérable d’autant que l’on assistera à des disparités fortes entre les territoires. Le risque de fracture entre les grandes zones urbaines, comme Rennes ou Brest, et les zones rurales ou moins denses, comme les Côtes-d’Armor, va se renforcer. »

Le recalibrage nécessaire des crédits d’impôts

Dans la ligne de mire, les mesures d’incitation fiscales qui disparaissent ou sont rabotées à leur plus simple expression. « Il semble que les choses évoluent mais la fin du Pinel ou la modulation du prêt à taux zéro aura pour conséquence l’arrêt des investissements immobiliers en Côtes-d’Armor, juge Jean-François Hervé. Les conséquences seront identiques sur la remise en cause des crédits d’impôts accordés pour le changement des portes, fenêtres ou volets. Leur suppression va impacter directement le modèle économique de tous ces petits artisans qui ont émergé sur ce créneau. » Cette position de défiance est partagée par Vincent Dejoie de la Capeb 22 : « le rétrécissement du champs d’application des aides risque de provoquer une baisse de l’activité du secteur. Par exemple, nous sommes opposés au recalibrage du crédit d’impôt pour la transition énergétique. L’exclusion des chaudières fioul les plus performantes, hybrides notamment, est une erreur. »

Un dispositif pour remplacer Pinel

Pleinement concerné par la suppression du dispositif Pinel, qui permet aux investisseurs de bénéficier d’une réduction d’impôt pouvant aller juqu’à 21 % dans le cas d’un investissement locatif, Philippe Le Maréchal, patron de la société IPCS Invest à Langueux, estime, indéniablement, que le gouvernement devra revoir sa copie. « Quand Cécile Duflot a raboté le Scellier, le marché a dévissé du jour au lendemain. Avec le Pinel, nous avions retrouvé une sorte de stabilité d’autant que l’éligibilité en zone B2 était soumis à arrêté préfectoral. Tout cela avait du sens. »

En Bretagne, seule l’agglomération de Rennes, celle de Saint-Malo/Dinard et Belle-Ile dans le Morbihan vont conserver leur attractivité fiscale. En Côtes-d’Armor, les quelques communes éligibles de Saint-Brieuc Armor Agglomération en seront exclues. « On sait déjà qu’une période transitoire de trois mois va être accordée pour finaliser les opérations en cours, ajoute Philippe Le Maréchal. Je vais pouvoir boucler sereinement mes deux projets sur Pordic et Langueux. Après le 31 mars 2018, il faudra s’adapter. »

L’incertitude autour du logement social

Autre crainte pour le bâtiment costarmoricain, celle de voir le marché du logement social exploser en plein vol. « Alors qu’à l’échelle nationale, la construction de HLM ne représente que 12 % du chiffre d’affaires des entreprises, cette part atteint 25 % en Côtes-d’Armor, confirme Jean-François Hervé. Je n’ose imaginer les conséquences si certains opérateurs mettent la clé sous la porte, faute de trésorerie, ou décident, pour préserver leur capacité d’autofinancement, de revoir leur programmation immobilière ou procèdent à des années blanches. »

A moyen terme, la FFB 22 redoute d’ailleurs une déstabilisation complète du marché du BTP. « Nos adhérents vont s’adapter mais ceux qui sont actuellement peu concernés par les marchés publics ont compris que leurs confrères impactés vont venir marcher sur leur plate de bande. » Pour Bidault TP, chez qui les marchés publics représentent une part importante de l’activité, l’heure est déjà à la diversification. « Alors que chaque opérateur avait trouvé sa place, ce plan logement relance une concurrence sauvage sur les marchés du logement privé ou de l’immobilier d’entreprises, confirme Trémeur Fraval. On va revenir dans un cycle de prix bas pour décrocher les chantiers. »

Des dommages collatéraux insoupçonnés

La question du recrutement et des investissements se pose également. Alors que la filière peine à trouver des manœuvres qualifiés, certains entreprises annoncent déjà un gel probable de leur besoin en main d’œuvre. « Comment peut-on se projeter avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête », confirme Trémeur Fraval. J’ai déjà du décaler certaines choses car les incertitudes sont trop importantes. »

D’ailleurs, les dommages collatéraux pourraient se révéler bien plus importants. « Si le gouvernement persévère dans ce choix désastreux, le secteur du bâtiment sera impacté dans sa globalité, juge Alain Cadec, président du conseil départemental des Côtes-d’Armor. Rapidement, Côtes d’Armor habitat ne pourra plus rembourser ses prêts. Ce sont 370 millions d’euros qui devront être pris en charge par le département, qui en est garant en tant que collectivité de rattachement. 370 millions, c’est l’équivalent de l’ensemble de nos investissements pendant 4 ans dans les collèges, les routes, les infrastructures, etc. »

La formation en stand-by

Très critiques sur les grandes lignes du plan logement, qu’ils souhaitent unanimement amendés, les professionnels du bâtiment lui accordent toutefois quelques bonnes grâces. « La mesure qui vise à libérer le foncier en luttant contre la rétention foncière va dans le bon sens, confirme Vincent Dejoie de la Capeb 22. L’abattement fiscal sur les plus-values pour la vente de terrains en zones tendues permettra d’accélérer les mises en chantiers et donc de construire plus rapidement. »

Idem sur la question de la formation des salariés, inscrite dans le plan national de transition numérique : « L’accompagnement prévu pour généraliser le recours au BIM (Building Information Modeling) dans le bâtiment est une bonne chose, confirme Trémeur Fraval. Toutefois, cela demande des investissements importants, à minima de 50.000 euros par entreprise pour s’équiper au niveau matériel et former les salariés. Avec la situation qui s’annonce, personne ne va poursuivre de telles initiative. La numérisation des chantiers risque de marquer le pas, voire de passer à la trappe. »

Le gel des normes apprécié

Reste la question des normes que le gouvernement, en dehors des domaines de la santé et de la sécurité, veut geler pour les cinq prochaines années. « C’est une bonne chose si on ne reste pas au stade des incantations, modère toutefois Jean-François Hervé. Nous dénonçons depuis des années la mise en place de certaines réglementations dont le seul impact notable a été d’alourdir encore plus les coûts de construction. Je prends l’exemple du collège de Lamballe où des normes antisismiques ont été demandées. Avait-on besoin d’en arriver là ? Cette situation résume bien le sentiment de nombreux chefs d’entreprises sur le terrain : celui de se voir imposer depuis Paris des mesures déconnectées des réalités du terrain. Le plan logement en est un nouvel exemple. »

Côtes-d'Armor # BTP # Collectivités territoriales