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Valérie Lorentz-Poinsot (Laboratoires Boiron) : « Le gouvernement nous a mis des bâtons dans les roues »
Interview Rhône # Santé

Valérie Lorentz-Poinsot directrice générale des Laboratoires Boiron Valérie Lorentz-Poinsot (Laboratoires Boiron) : « Le gouvernement nous a mis des bâtons dans les roues »

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Valérie Lorentz-Poinsot, directrice générale des Laboratoires Boiron, dont le chiffre d’affaires annuel sera connu le 23 janvier (604 M€ de CA en 2018 ; 3 567 employés), a constaté une baisse de 8,5 % de ses ventes au premier semestre 2019 en France, pays où elle réalise 60 % de ses revenus. Selon elle, le recul est lié à la campagne de dénigrement contre l’homéopathie lancée il y a dix-huit mois, et à son déremboursement, passé de 30 à 15 % au 1er janvier 2020.

Valérie Lorentz Poinsot : « 2020 s’annonce très difficile, nous avons déjà fait deux profit warning (avertissement sur les résultats, NDLR) suite à la dégradation de nos résultats depuis dix-huit mois du fait des attaques contre l’homéopathie » — Photo : Laboratoires Boiron

Vous avez organisé en décembre 2019 un séminaire pour 200 cadres de l’entreprise en charge de la production, du réglementaire, de l’assurance qualité et de la supply-chain. Les équipes de Boiron ont-elles besoin d’être rassurées ?

Valérie Lorentz-Poinsot : D’être rassurées, sans doute un peu, mais surtout « embarquées » dans un projet commun. Dans le contexte chahuté que nous connaissons, j’ai insisté sur le fait qu’il n’y a pas deux types de salariés dans l’entreprise, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ou ceux qui sont considérés et ceux qui ne le sont pas. Jusqu’à présent, la baisse d’activité amorcée depuis dix-huit mois ne s’était pas ressentie. Mais, aujourd’hui, au sein des équipes de production, cette baisse est prégnante. J’entends dire que le gouvernement nous a mis des bâtons dans les roues, avec ses méthodes et ses déclarations : ce n’est effectivement pas une vue de l’esprit.

Qu’entendez-vous par là ?

Valérie Lorentz-Poinsot : En France, la baisse des ventes se poursuit, elle a atteint -15 % en septembre. Au sein du gouvernement, certains n’ont pas pris la mesure de cette crise en disant, sans rien connaître de nos spécificités et de nos contraintes, que l’on s’en sortirait. J’ai entendu, par exemple, que Boiron s’en sortirait, puisque l’entreprise réalise 80 % des ventes à l’export. C’est faux ! L’export pèse 40 % et la France 60 % du chiffre d’affaires.

Quel est votre principal paramètre de pilotage de l’entreprise ?

Valérie Lorentz-Poinsot : En cherchant à maîtriser tous nos coûts. Un départ n’est pas remplacé sauf quand il s’agit d’un poste très technique. On essaye de ne pas renouveler les CDD (80 environ, NDLR) quand ils arrivent à échéance, et nous faisons de même avec les intérimaires. Je suis en réflexion sur le plan des ressources humaines, car nous sommes en sureffectif compte tenu de la contraction de notre activité. Quand j’affirme qu’il y a 1 000 emplois menacés, ce ne sont pas des paroles en l’air, le danger existe mais je ferai tout pour que ce chiffre soit le plus petit possible.

Boiron dispose de quatre sites de production, deux à Lyon, un à l'est de Paris, un site en Touraine, avec 29 sites de distribution dont 23 fabriquent des préparations magistrales — Photo : Laboratoires Boiron

Quelles actions menez-vous pour « limiter la casse » ?

Valérie Lorentz-Poinsot : Je fais en sorte que l’on reparle de l’homéopathie de façon positive. C'est tout l'objet de mon journal de bord* où je retrace les dix-huit mois de campagne de calomnie dont a été victime l’homéopathie pour montrer que nous sommes injustement attaqués.

Vous soutenez la pétition #Monhoméomonchoix et les rencontres « Santé vous libre ! » : vos armes se limitent-elles à l’usage du marketing, du lobbying, de la communication ?

Valérie Lorentz-Poinsot : En partie oui, mais pas seulement. Nous avons déposé un recours le 29 novembre devant le Conseil d’État. Notre avocat, Maître Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, qui défend notamment les intérêts de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) et de la Ligue des Droits de l’Homme, compte parmi les plus solides dans son domaine. Nous espérons une réponse de la magistrature en juin. Si elle penche en notre faveur, la décision sera suspensive. Dans ce cas, l’homéopathie se maintiendrait à une prise en charge de 15 % par l'Assurance maladie.

« Les médecins ont levé le crayon et les patients n’achètent plus, ou moins. »

L’entreprise peut-elle survivre et se remettre d’une telle crise ?

Valérie Lorentz-Poinsot : La rupture se lit dans nos chiffres. J’ai donné à Bercy des éléments comptables ainsi que des études montrant que cette campagne de dénigrement nous a porté un coup sévère. Les documents remis au ministère de Bruno Le Maire objectivent que deux tiers des raisons de la baisse des ventes sont liées à l’annonce du déremboursement. Les médecins ont levé le crayon et les patients n’achètent plus, ou moins. Mais qui va payer si nous en arrivons à des mesures plus fermes concernant l’emploi ? Le chômage sera payé par nos impôts, les patients vont se rabattre sur les benzodiazépines et les antibiotiques. Où est le bénéfice dans toute cette affaire ?

Envisagez-vous un plan social en 2020 ?

Valérie Lorentz-Poinsot : Je ne peux pas répondre à cette question. 2020 s’annonce très difficile. Nous avons déjà fait deux profit warning (avertissement sur les résultats, NDLR) suite à la dégradation de nos résultats depuis dix-huit mois du fait des attaques contre l’homéopathie. Nous avons toujours été clairs, plusieurs centaines de postes sont en jeu.

Boiron a déjà connu des baisses de remboursement et s’était alors montré résilient. Vous n’êtes pas optimiste cette fois ?

Valérie Lorentz-Poinsot :
Nous avons connu une baisse des taux de remboursement qui sont passés de 76,5 % à 30,5 % mais la mutuelle complétait. Si le gouvernement avait laissé un remboursement de 5 %, les complémentaires auraient joué le jeu. Mais sans base Sécurité sociale, nous subissons une triple peine : la TVA passe de 1,5 % à 10 %, les prix deviennent libres et les mutuelles ne les prendront plus en charge. Certes, certaines veulent continuer à rembourser, mais l’acte sera techniquement compliqué car il faudra gérer des factures qui ne passent pas par le tiers payant, même si des opérateurs de tiers payant type Almerys commencent à regarder comme procéder. Bref : nous arrivons toujours à la conclusion que l’idéal serait de conserver ce taux de neutralité de 15 % qui ne coûte rien à la Sécurité sociale.

En quoi ce taux ne coûterait-il rien ?

Valérie Lorentz-Poinsot : Avec un remboursement de 30 %, un tube de granules coûte 70 centimes à la Sécurité sociale, mais l’assuré paye 50 centimes de franchise, dont il reste 20 centimes de prise en charge de la Sécurité sociale. Demain avec un passage à 15 %, la Sécurité sociale remboursera 35 centimes, avec une franchise maintenue à 50 centimes : le solde est positif et le remboursement à 15 % ne coûte rien. L’avantage serait que les mutuelles pourraient continuer à prendre en charge le reste.

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, n’a-t-elle pas entendu cet argument économique ?

Valérie Lorentz-Poinsot : Non, elle n’en tient pas compte. Elle voulait juste dérembourser l’homéopathie.

Pour compenser la baisse des ventes en France, allez-vous développer vos positions à l’international ?

Valérie Lorentz-Poinsot : Oui, nous attendons des autorisations de mises sur le marché. Nous avons lancé une filiale en Colombie. Nous travaillons avec un distributeur en Chine et demain la création d’une filiale n’est pas exclue. Par ailleurs, nous allons ouvrir une pharmacie Boiron près de Bruxelles, ainsi qu'à Sao Paulo au Brésil. Nous proposerons également de nouveaux produits en France au 1er trimestre 2020.

* Homéopathie Liberté Égalité Santé ! Flammarion, octobre 2019, 6,90 euros, 136 pages

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