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Saint-Etienne veut faire son cinéma
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Saint-Etienne veut faire son cinéma

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Propulsée sur le devant de la scène par le récent tournage de la série de Canal+ "Les Sauvages", Saint-Etienne nourrit des ambitions dans l'industrie cinématographique. En témoignent les deux projets de cité du cinéma qui ont émergé récemment : l'un porté par la municipalité et l'autre par un duo composé de l'entrepreneur Damien Charitat et du comédien, scénariste et réalisateur Michel Rizzi.

— Photo : Canal+ Stéphane Remael

Après avoir réussi à s’imposer comme une ville design, Saint-Etienne peut-elle réussir à devenir une cité du cinéma ? Pour la municipalité la réponse est oui. « Lorsque l’on pense à Saint-Etienne, on ne pense pas cinéma. Et pourtant Saint-Etienne est une ville de Cinéma », assure Marc Chassaubéné, adjoint au maire délégué aux Affaires Culturelles.

Et les faits lui donnent raison. Depuis « Noce Blanche » en 1989, la région stéphanoise a su attirer de nombreuses réalisations. Citons sur la dernière décennie : « Les Yeux bandés » (2008), « Coupable » (2008), « La Grande Vie » (2009), « Des lendemains qui chantent » (2014), « Body Builders » (2014), « Qui c’est les plus forts » (2015) ou encore deux films de Tony Gatlif, « Liberté » (2010) et « Geronimo » (2014). Sans oublier le tournage en début d’année de la série de Canal + « Les Sauvages », qui, selon les estimations de la commission du film en Rhône-Alpes, a rapporté la coquette somme de 800 000 € au territoire stéphanois. « Ce n’est pas encore Hollywood mais cela montre qu’il y a un potentiel, un écosystème et des atouts à exploiter », commente l’adjoint au maire.

Une cinémathèque - la deuxième plus vieille de France derrière Paris (1922) - qui renferme des trésors d’archives ; quatre cinémas intra-muros (L’Alhambra, Le Camion Rouge et les deux Méliès) ; un cinéma alternatif, le Gran Lux, qui depuis l’ancienne friche industrielle Mosser s’attache à faire découvrir des œuvres rares tournées en argentique ; un festival de cinéma jeune public « Tête de Mule » qui fêtera en 2020 ses 20 ans… « Saint-Etienne dispose d’un réseau de diffusion particulièrement riche », assure l’élu.

Des décors variés, des mètres carrés disponibles et des compétences

Une richesse que l’on retrouve aussi dans la pluralité des décors naturels avec le Pilat, les Gorges de la Loire, une pléthore de friches industrielles et un tissu urbain hétéroclite. « Cette variété de décors fait partie de nos atouts. Ça et ce que nous, Stéphanois, vivons comme un crève-cœur : le nombre de mètres carrés disponibles. Trouver un immeuble vide, un aéroport pour tourner une scène à moindre coût, cela devient très compliqué à Paris mais aussi à Lyon qui, grâce au travail de coproduction mené par Auvergne Rhône-Alpes Cinéma (300 films et 250 auteurs soutenus dans la région depuis 1991, NDLR), est aujourd’hui clairement identifié », explique Raphaëlle Bruyas, première assistante de réalisateur et relais depuis plus de six ans des productions parisiennes sur le territoire stéphanois.

Cette vacance immobilière pourrait donc bien être un atout majeur pour faire de Saint-Etienne une place annexe du cinéma français derrière Paris et Lyon. « Je ne crois pas que l’on puisse devenir le nouveau Berlin ou un petit Hollywood sur Loire, mais nous avons des atouts. Outre les décors, nous disposons d’un réseau de techniciens et comédiens, qui s’est formé par le spectacle vivant avec La Comédie et les nombreux théâtres stéphanois. Nous avons aussi des chefs de poste (premier assistant, ingénieur du son, régisseur adjoint etc.) qui résident dans la région. C’est un vrai plus aux yeux des productions parisiennes », argumente Raphaëlle Bruyas.

Seul bémol, malgré une petite dizaine de sociétés de production audiovisuelle dont certaines réputées dans le film corporate et les clips vidéo comme Auuna, La Casquette Production, Teaser Médias, Grinta Films ou encore TL7 : « Saint-Etienne manque de compétences sur des postes très techniques liés à l’image », estime Raphaëlle Bruyas. Et d’ajouter : « Les gens qui tournent à Saint-Etienne n’ont pas une bonne connaissance du matériel utilisé sur les plateaux de long-métrage. Il faudrait une initiative comme la CinéFabrique à Lyon qui forme les 18-25 ans aux métiers du cinéma et leur propose ensuite de s’installer dans des pépinières. »

Une « Cité du cinéma » sur la friche Jtekt

Former aux métiers techniques du cinéma, éviter la fuite des talents et « pousser le potentiel cinégénique de Saint-Etienne », c’est justement ce qui anime l’entrepreneur du numérique Damien Charitat (Logic, Académie des Télécoms) et le réalisateur stéphanois Michel Rizzi. À eux deux, ils portent un projet immobilier de 18 000 m², estimé à plus de 15 millions d’euros.

Ce projet, qui devrait voir le jour sur l’ancien site de l’équipementier automobile japonais Jtekt, comprend la création d’un pôle numérique TEN (Télécoms, Énergies, Numérique) dédié à l’accueil d’entreprises et à la formation, couplé à un projet plus inattendu de « Cité du Cinéma ». « L’idée est de créer un lieu dédié à la convergence entre les métiers des télécoms, du numérique et du cinéma », expliquent de concert Damien Charitat et Michel Rizzi.

Portée par des fonds privés et soutenue par le Medef Loire et le Département, cette « Cité du cinéma » associerait sur 4 000 m² des studios de tournage, de la formation aux métiers techniques en lien avec l’Académie des Télécoms (qui prévoit d’emménager sur le site) et une école inspirée du modèle Tumo en Arménie pour former les 12/18 ans. Le tout articulé autour de la société de production 1504, créée par Michel Rizzi et Damien Charitat, pour amorcer la pompe. « Nous avons un projet de court-métrage et surtout une série « Immolife », qui raconte la vie déjantée d’un agent immobilier. Cette série doit servir de vitrine pour la future Cité du cinéma. Un peu comme Plus Belle la Vie à Marseille », développe Michel Rizzi.

Un « projet du Palais » complémentaire

À l’autre bout de la ville, Raphaëlle Bruyas et la municipalité stéphanoise planchent depuis le début de l’année avec l’Établissement public d’aménagement de Saint-Etienne sur un projet visant, lui, à inclure « le cinéma dans la cité ». Un projet qui devrait voir le jour au cœur de l’ancien Palais des Spectacles, et qui trouve ses origines dans la volonté de Thalès Angénieux de céder gracieusement son studio de cinéma à la Ville pour retrouver de l’espace sur son site de Saint-Héand.

« De notre côté, nous réfléchissions à la possibilité de proposer un lieu de tournage intérieur en complément de nos décors naturels. Nous avons donc saisi cette proposition qui entre en corrélation avec la volonté de la Comédie de Saint-Etienne d’avoir des espaces supplémentaires dans le cadre de sa formation d’acteurs et du FIL (salle des musiques actuelles, NDLR) qui a aussi des besoins en matière d’enregistrement sonores », explique Marc Chassaubéné.

Jugé par la municipalité « complémentaire » du projet privé de « Cité du cinéma », le « projet du Palais » vise à mettre en lumière l’écosystème déjà en place. « L’idée est de structurer tout ce que l’on fait déjà en termes d’accueil des tournages, de nous rendre visibles et efficaces pour attirer encore plus de productions extérieures mais aussi faire émerger une production stéphanoise. Beaucoup de films sont produits ici en dehors des circuits classiques. Des films qui ne sont donc pas diffusés mais qui gagnent des prix à l’étranger », explique Raphaëlle Bruyas. C’est le cas de son court-métrage « Le Lit » (2012) qui a remporté le prix du meilleur film étranger à Sydney ou plus récemment de « L’Homme bleu » (2017) du collectif Les 87 revanchards, récompensé à Moscou.

Si Saint-Etienne ne manque donc pas de talents, reste désormais à les faire connaître en « créant un espace pour accueillir des résidences d’écriture et un collectif pour proposer des scénarios aux boîtes de production parisiennes », suggère Raphaëlle Bruyas. Et de conclure : « Saint-Etienne a bien été la première ville en France à tenter la décentralisation théâtrale. Pourquoi ne pas refaire la même chose avec le cinéma ».

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