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La logistique urbaine cherche sa place à Lyon
Enquête Lyon # Logistique

La logistique urbaine cherche sa place à Lyon

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À Lyon, pouvoirs publics et acteurs de la supply chain travaillent à optimiser la logistique urbaine alors que la livraison du dernier kilomètre demeure un enjeu fort de rentabilité économique, de décongestion du centre-ville et de réduction de la pollution. Zone à faibles émissions, projet d’Hôtel de logistique urbaine à Gerland et autres initiatives tentent d’apporter une première réponse à cette problématique.

— Photo : Pierre Lelièvre

Et si la logistique venait à se reporter vers les grands centres urbains ? Longtemps repoussées en périphérie où le foncier demeure disponible à moindre coût, les surfaces logistiques commencent tout doucement à se faire une place en ville. À ce jeu-là, Lyon n’échappe pas à la règle. Plusieurs raisons guident cette tendance : congestion du trafic, densification urbaine, difficulté de stationnement, durcissement de la réglementation environnementale. Alors que le volume de colis et de marchandises ne cesse de croître, notamment à cause du boom du e-commerce (505 millions de colis livrés en 2017, soit 10,5 % de plus par rapport à 2016 selon la Fevad, la Fédération du e-commerce), l’approche politique d’organisation des livraisons en centre-ville évolue. « La régulation du trafic des marchandises est un sujet relativement nouveau dans les politiques publiques », évoque Philippe Bossin, directeur Recherche & Développement chez LPA, société d’économie mixte en charge de l’organisation du stationnement, de l’autopartage et de la logistique urbaine dans l’agglomération lyonnaise.

« La Métropole de Lyon concentre près de 130 000 établissements B to B (entreprises, commerces…) et 600 000 ménages. Les points de livraison potentiels sont extrêmement nombreux », note Mathieu Gardrat, chercheur au Laboratoire Aménagement Économie Transport (LAET) du CNRS. D’où le besoin de réfléchir à une nouvelle organisation sur le territoire. En 2017, près de 130 000 mouvements de livraisons étaient effectués quotidiennement dans l’agglomération lyonnaise, selon le Plan de déplacements urbains de l’agglomération lyonnaise 2017-2030.

Zone à faibles émissions

D’autant qu’une autre réalité s’impose. Depuis le 1er janvier 2020, trois communes de la Métropole de Lyon (Lyon, Villeurbanne et Caluire-et-Cuire) sont concernées par la mise en place de la Zone à faibles émissions (ZFE). Les véhicules dédiés au transport de marchandises portant les vignettes Crit’Air 4, 5 et les non classés n’ont plus le droit de circuler, ni de stationner à l’intérieur du périmètre. Dès 2021, la restriction touchera également les véhicules de livraison Crit’Air 3. D’où la nécessité pour les acteurs de la livraison (transporteurs, messageries…) de s’adapter. « Aujourd’hui, rentrer dans la ville pour effectuer des livraisons suppose de disposer de véhicules moins carbonés, plus petits avec des espaces de stockage de marchandises », explique Stéphane Barbier, directeur du développement chez Transpolis, le laboratoire régional de la mobilité urbaine.

L’instauration de la ZFE a, par exemple, incité le transporteur et logisticien haut-garonnais Groupe Labatut (CA 2018 : 71 M€ ; 800 salariés), à venir déployer sa filiale de logistique urbaine, baptisée « Vert chez vous », à Lyon. « Notre but est de rendre les métropoles de France plus vertes. La ZFE n’est pas étrangère à notre implantation », explique Maxime Eduardo, directeur général du groupe. La filiale créée fin 2011 offre un service sur le dernier kilomètre grâce à une flotte de véhicules à faibles émissions (du vélo cargo au poids lourd de 19 tonnes) Elle réalise déjà un tiers du chiffre d’affaires du groupe, est présente à Paris et vient de s’installer à Marseille, ce qui lui a permis de couvrir tout l’axe Nord-Sud.

Un schéma unique de livraison ?

Si la logistique urbaine doit être organisée, « il n’y a pas de schéma unique qui s’adapterait à toutes les métropoles », tranche Stéphane Barbier. « Chaque ville adaptera son schéma de logistique urbaine à sa géographie, son urbanisme et ses particularités propres ».

Mais pour Mathieu Gardrat, les grandes métropoles ont malgré tout un point commun. « En centre-ville, près de 70 % des mouvements de marchandises sont réalisés par des petits véhicules (moins de 3,5 tonnes), 20 % par des camions porteurs et 10 % par des poids lourds articulés ». La livraison à vélo concentre peu ou prou 2 % des mouvements, selon le LAET. Une prééminence du trafic routier qui incite les élus à repenser la place des véhicules de livraison dans l’espace.

« La structure du stationnement est liée à la densité de la ville. Plus on va dans le centre, plus il est déplacé sur la voirie, entraînant congestion, pollution, bruit… », relève-t-il. Depuis 2015, la rue de Grenette, un des principaux axes traversant d’Est en Ouest la Presqu’Île, est équipée d’une voie réservée aux stationnements temporaires des véhicules de livraisons. Une solution qui n’est pourtant pas suffisante à l’échelle d’un centre-ville comme celui de Lyon. À fin novembre 2017, le besoin de places nécessaires au stationnement des livraisons lors du pic d’activité à 9 heures était estimé à 43 000 m² pour 32 000 m² existants, selon le PDU 2017-2030.

Développement d’espace mixte

Aujourd’hui, alors que l’essentiel des livraisons en ville s’opère depuis les zones logistiques situées en périphérie avec de nombreux flux de véhicules entrant, la situation évolue. De plus en plus de petites surfaces logistiques de quelques centaines de mètres carrés s’installent au cœur des villes. À Lyon, les espaces de distribution urbaine (EDU), aussi appelés espace de logistique urbain (ELU) se multiplient. Lyon Parc Auto en gère deux, dans le parking des Cordeliers (2e arrondissement) et à Part-Dieu dans le parking des Halles (3e arrondissement). Elle prévoit également d’en déployer d’autres, notamment à Cité internationale, en cours de commercialisation.

Vert chez vous s’est installé sur 700 m² à La Mulatière, au sud de Lyon avec un accès direct au centre-ville depuis Confluence. « Depuis fin mars, nous sommes passés de six à dix tournées par jour, preuve que le besoin augmente », précise Maxime Eduardo. Avec 70 % de l’activité dédiée aux professionnels, Vert chez vous adresse les boutiques, les cafés et hôteliers du centre de Lyon avec une activité tournée vers la livraison de produits haut de gamme : vins, champagne, spiritueux notamment. Et dispense des services supplémentaires comme la mise en cave en gant blanc, par exemple.

Étoffer le maillage

Un projet d’espace logistique bien plus important est en cours en bordure de la ZFE. À Gerland, sur l’emprise du Port de Lyon, géré par la Compagnie nationale du Rhône, un Hôtel de logistique urbaine (HLU) doit voir le jour d’ici 2022 pour 40 millions d’euros. « Les ELU constituent une maille intéressante dans l’élaboration d’une organisation de la logistique urbaine mais elle n’est pas suffisante. Nous avons besoin d’infrastructures de différentes tailles », suggère Philippe Bossin. L’idée ? Expérimenter la mutualisation des flux en provenance du fret routier, ferroviaire et fluvial au sein d’un espace de 28 000 m² - soit 4 terrains de football - divisé en modules que se partageront messageries et transporteurs. L’objectif est ainsi de proposer des espaces dédiés au déchargement, au tri et au dispatche des colis vers les clients finaux ou de plus petits espaces de stockage situés en cœur de ville, grâce à des véhicules propres. « C’est un outil d’expérimentation au service de la mobilité propre, explique Frédéric Storck, directeur Transition énergétique et Innovation pour la CNR. On compte bien créer des synergies avec la multimodalité ».

Vue 3D du Port de Lyon où s'implantera le futur Hôtel de logistique urbaine (au premier plan) qui délivrera 28 000 m² de surface logistique — Photo : AREP

Un consortium réunissant LPA, La Poste Immo, la Banque des Territoires et la Serl a été retenu, l’an dernier, pour commercialiser les espaces. « L’HLU sera près de cent fois plus grand que les ELU de centre-ville. Ce site est un point d’entrée dans le maillage de la ville et dans l’organisation de la rupture de charge », justifie le directeur R & D de LPA.

Un projet qui attire la convoitise. Pascal Lamoureux, directeur régional pour DHL se verrait bien occuper une partie de l’HLU pour profiter de la multimodalité offerte par le site. Le transporteur international traite 30 000 colis par jour depuis l’aéroport Saint-Exupéry dont près d’un quart arrive dans Lyon.

« L’HLU nous intéresse mais la date de livraison est lointaine », fait savoir de son côté Maxime Eduardo, DG de Vert chez Vous, qui penche plutôt pour investir du côté de Saint-Priest ou Vénissieux l’année prochaine. « On souhaite avoir un hub périphérique de 2 000 m² avec des quais de déchargement pour adresser des ELU en centre-ville ».

Mathieu Gardrat l’assure : « Demain, quelques plateformes comme l’HLU de Gerland capteront une part des flux et coexisteront avec des ELU de plus petites tailles en centre-ville ». Reste que pour l’instant, les ELU mutualisent des flux de filières non-concurrentes. « Aux Cordeliers par exemple, le transporteur Deret et Ooshop, filiale de Carrefour, livrent des produits cosmétiques pour l’un et des produits alimentaires pour l’autre », précise-t-il.

Photo : G. Perret

Rationaliser la livraison

Dans l’objectif de rationalisation des livraisons, la rupture de charge constitue un axe clé, tout comme la mutualisation des flux. « Plutôt qu’un établissement soit livré cinq fois, l’idée est de réunir les flux sur un ou deux trajets », évoque le chercheur du LAET, qui note cependant les limites d’un tel schéma : « des transporteurs peuvent être rétifs à travailler avec des concurrents ».

Une stratégie que le groupe La Poste s’est malgré tout empressé d’aborder. S’il teste la livraison par drone dans les zones isolées en Isère, notamment, via sa filiale DPD, il est aussi à l’origine de la filiale Urby, lancée à Grenoble en 2017, qui a très vite rejoint Lyon en 2018, tout comme Saint-Etienne, Clermont-Ferrand et d’autres villes de France. « Avec l’essor du e-commerce, Urby peut aussi bien livrer un petit colis que gérer une livraison de plusieurs palettes. », explique Hervé Magnin, directeur régional d’Urby, qui opère pour le compte de transporteurs et messageries. « 35 à 45 % du coût de la supply chain sont le fait du dernier kilomètre », note-t-il.

C’est depuis Saint-Priest qu’Urby livre le centre-ville lyonnais grâce aux 2 000 m² de son centre de mutualisation. Y sont réceptionnées, triées et livrées les marchandises avec une flotte de véhicules propres. Les 250 à 300 flux quotidiens de colis et palettes prennent ensuite la direction des ELU installés sous les Halles Bocuse (300 m²) et à Confluence (100 m²). « Nous créons la rupture de charge à l’intérieur de la ville, en dispatchant les marchandises qui seront ensuite livrées par vélos cargos ou véhicules électriques auprès des clients finaux, particuliers comme commerçants », explique Hervé Magnin.

Pour accompagner ce déploiement de la logistique du dernier kilomètre, la mise en place de stations de recharge dédiées aux énergies vertes presse. D’ici la fin de l’année, le territoire de la Zone de faibles émissions devrait compter 900 points de recharge électrique, selon des chiffres de la Métropole de Lyon. Mais la plupart sont dédiés aux particuliers. À Gerland, à côté de l’HLU, une station multi-énergies (électrique, GNV et hydrogène), baptisée Quai des Énergies est en cours de déploiement pour accompagner le besoin en énergie alternative des livreurs.

Reste que pour certains, si l’écosystème lyonnais se développe, le chemin est encore long. « Le schéma global proposé n’est pas encore assez ambitieux », glisse Maxime Eduardo, en référence notamment à des restrictions de livraisons en journée dans certaines grandes villes comme Toulouse.


Le retard de l’immobilier logistique

Vue 3D de l'Hôtel de Logistique urbaine qui verra le jour en 2022 — Photo : AREP

En matière d’immobilier de logistique urbaine, « Lyon est très en retard », concède Benoît Lamour de Caslou, en charge de la supply chain et des solutions logistiques pour le conseil en immobilier d’entreprise JLL. Une spécificité lyonnaise ? Pas sûr ! « La France aussi est en retard ». Alors qu’une trentaine de projets d’immobilier logistique sont en cours à Londres en raison de nouvelles règles environnementales strictes, seulement trois ou quatre le sont à Paris.

À Lyon, c’est encore moins, puisqu’un seul projet d’envergure est en cours sur le port Édouard Herriot avec l’HLU. « Lyon est très contraint par sa géographie, ce qui suppose d’établir un plan de distribution adapté », précise-t-il. Si l’HLU possède l’atout de la localisation en étant proche du centre, « il ne suffira pas », tacle-t-il. D’ici 2030, en suivant la croissance du e-commerce BtoB et BtoC, il faudrait plus de 160 000 m² de surface de logistique urbaine dans Lyon intra-muros, contre les 40 000 m² nécessaires en 2020, selon une étude du cabinet JLL. Les experts estiment que seuls 20 000 m² de surface logistique existent aujourd’hui en proche périphérie de Lyon, sans que la totalité ne soit dévolue à la logistique urbaine.
Dès lors, les professionnels s’attachent à dénicher les zones les mieux situées. « La localisation est le nerf de la guerre. Les coûts de transport économisés grâce à une situation optimale permettent de compenser des tarifs de location qui peuvent être jusqu’à cinq fois plus chers qu’en périphérie (50 € / m² en moyenne, NDLR) », note-t-il. La solution passera notamment par « une densification en étage et par des bâtiments mixtes » mêlant bureaux, logements et logistiques en sous-sol. Ne reste qu’à trouver le foncier.

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