La finance à impact poursuit son mouvement de fond
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La finance à impact poursuit son mouvement de fond

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L’investissement dans des entreprises dites "à impact" séduit. En Auvergne-Rhône-Alpes, les banques et les fonds d’envergure nationale se déploient auprès de ces entreprises pas tout à fait comme les autres, créatrices de richesses mais aussi actrices de l’inclusion, de l’environnement, la formation ou la santé. Regard sur les raisons de l’engouement, et les conditions pour que ce phénomène perdure et s’amplifie.

A l'image du réseau des cantines de quartier, " Les Petites Cantines", la région Auvergne-Rhône-Alpes recense 12 % d’entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS), soit près de 17 % des emplois du privé. — Photo : Manon Charon Les petites cantines

Les placements éthiques ont la cote. Crises financières, arrivée de la génération Y dans la vie active, catastrophes écologiques ont réveillé les consciences. Pour preuve, la cagnotte de l’épargne solidaire a bondi de 8 % sur un an pour être à 12,6 milliards d’euros en 2018.

Cette manne destinée à soutenir les entreprises à impact opérant dans des structures à vocation solidaire, environnementale ou éthique profite largement au territoire régional. La région recense d’ailleurs 12 % d’entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS), soit près de 17 % des emplois du privé. Un chiffre qui se positionne au-dessus de la moyenne nationale où ces entreprises pèsent 10 % du PIB français et 13 % des emplois (2,4 millions de salariés) selon les chiffres du CRESS AuRA.

Depuis 2014, le mouvement s’est accéléré. La loi ESS portée par Benoît Hamon a « dopé » l’intérêt des fonds à impact pour ces sociétés dont les performances sont jugées sur des critères extra-financiers. « L’investissement d’impact est un marché en croissance en France », note France Invest dans son annuaire 2018 des membres de la commission « Impact ». Née en 2012 autour d’une poignée de fonds, cette commission rassemble, mi-2019, 26 acteurs (Amundi, Arkeo, Aviva, Danone Communities…) atteignant en valeur 1,57 milliard d’euros. Selon France Invest, ces fonds ont misé dans 781 entreprises en 2018 dont 45 % en région.

Engouement régional

Parmi les plus importants figure le fonds NovESS, né en 2016 et géré par Mandarine Gestion et Inco. Il est doté de 60 M€ dont 49 % sont abondés par Banque des Territoires. Deux ans après la loi Hamon, sa création impulsée par l’Etat visait à donner un coup de pouce pour initier un mouvement de soutien aux entreprises à impact. Avec l’espoir que la finance classique prenne le relais.

C’est désormais chose faite. À Lyon, Frédéric Hello pilote l’agence ESS de la Caisse d’Épargne, une antenne créée en 2017 pour accompagner le mouvement d’épargnants soucieux de la destination de leurs fonds. Parmi ses 1 200 clients, dont un quart d’entreprises de l’ESS, se trouve notamment la société « Comptoir de Campagne » qui ouvrira huit magasins multiservices d’ici à 2020 dans les zones touchées par la désertification rurale. « Les banques régionales cherchent toutes à développer ce type de clients », convient Frédéric Hello.

Dès 2007, Fanny Picard perçoit l’intérêt de ce type de placement bien avant les autres et quitte la finance traditionnelle pour créer Alter Equity. Avec 41,50 M€ sous gestion et 11 affaires en portefeuille, ce fonds mise sur le cercle vertueux créé par l’activité intrinsèque des entreprises financées. Et encourage aussi les progrès accomplis en matière de responsabilité dans la pratique des affaires. Le fonds a, par exemple, misé 2,80 M€ dans NED Énergie, spécialiste en énergie renouvelable à Chaponost (69). Il a aussi accompagné l’entreprise lyonnaise de cosmétiques bio à prix accessibles, Bo. Ho Green (3,1 M€). En croissance de 20 % cette année, l'entreprise, dirigée par Hanane Bourimi et incent Ribeiri (CA 2018 : 4,5 M€), vient d'être cédée à Lea Nature. Aujourd’hui, Alter Equity boucle un tour de table de plus de 70 M€ pour créer un deuxième fonds qui engagera des tickets d’1 à 10 M€. Avec deux investissements déjà prévus sur la quinzaine de prises de participations visées à terme, elle cherche surtout à « démontrer qu’on peut faire de la finance responsable avec des rendements de marchés classiques, autour de 10 % », explique-t-elle. D’où un intérêt manifeste pour des entreprises déjà rentables.

En 2018, l’association France Active, pionnière depuis 30 ans de la finance solidaire, a mobilisé 48 M€ au sein de 1 137 entreprises d’AuRA, pour 5 171 emplois créés ou consolidés. Parmi elles, l’agence immobilière lyonnaise Appart & Sens qui aide les ménages à faibles revenus à trouver un logement dans le parc privé ou encore le drômois Modetic qui a créé sa marque de jeans en coton bio et équitable, 1083.

Cercle vertueux

À Lyon, la société d’investissement Angelor qui réunit des business-angels locaux (15 M€ investis dans 41 entreprises en 10 ans) a déjà investi 500 000 euros dans huit entreprises sociales depuis 2015 via sa branche Angels for impact. « Les actionnaires de ce portefeuille ont renoncé aux plus-values éventuellement générées afin qu’elles soient réinvesties dans d’autres projets sociaux, avance Sébastien Bonte, son fondateur. C’est un cercle vertueux où la rentabilité est au service de l’intérêt collectif ».

L’immobilier aussi s’engage dans l’investissement d’impact. Lancé par Cedrus & Partners et Swiss Life, le fonds Immobilier Impact Investing compte collecter 300 M€ pour un portefeuille immobilier de 450 M€ en valeur. 20 % des logements seront confiés gratuitement à Habitat & Humanisme et au Samu Social de Paris pour soutenir le relogement des plus démunis. « 10 % des investissements seront alloués en logements à Habitat & Humanisme, soit 400 à 450 nouveaux logements mis en service par an », détaille Lydie Crépet, responsable du développement des ressources de la structure lyonnaise.

« Les fonds ayant vocation à investir dans l’ESS vont se retrouver avec une énorme manne financière. En parallèle, les épargnants sont aussi de plus en plus sensibilisés », prophétise Rémi Leservoisier, directeur adjoint de Mandarine Gestion. Le mouvement est lancé ! « Demain, même les grands groupes, cotés ou non, auront intérêt à travailler avec ce secteur, estime-t-il. On assiste à un mouvement de fond qui perdurera ».

L’exigence de la mesure d’impact

Ce qui pourrait freiner l’engouement ? Le « flou » qui entoure encore l’évaluation de l’impact (lire encadré). « La terminologie n’est pas encore stable », résume Rémi Leservoisier. « Les attentes de RIO sont de l’ordre de 3 % mais d’autres fonds plus spécialistes notamment sur l’énergie ou le bio peuvent en attendre 7 % », précise Maxime Lanore, collaborateur de Mandarine Gestion. Le fonds NovESS, qui requiert l’agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale), compare les projets grâce à l’outil MESIS, doté de 15 domaines d’analyse extra-financière.

À Romans-sur-Isère (Drôme), le fabricant d’outillages Veyret Technique Découpe (CA 2019 : 17,50 M€ / 175 salariés) s’est tourné vers la découpe à façon pour la maroquinerie de luxe. En croissance de 50 % sur ce métier, la Scop a levé 2 M€ en titres participatifs non dilutifs auprès de NovESS, Aviva et Mandarine en 2018 pour 7 ans. Un levier pour investir et équilibrer le ratio endettement-trésorerie tout en visant le retour à l’emploi de publics en difficultés. Mieux, ces fonds en appellent d’autres. « Notre plan de développement s’intensifie et nous discutons avec un autre fonds potentiel », explique José Magalhaes, président du conseil d’administration de VTD.

La mesure d’impact porte également un enjeu d’engagement des salariés, comme l’illustre l’association lyonnaise Les Petites Cantines qui déploie en France ses cantines participatives de quartiers. « La mesure de l’impact social est d’abord un outil de pilotage interne plutôt qu’un outil marketing », défend Diane Dupré la Tour, cofondatrice, qui n’exclut pas de l’utiliser pour lever des fonds.

Reste que la mesure d’impact n’est pas la finalité tant recherchée. « Notre enjeu à plus long terme est de parvenir à répondre à la notion de coûts évités (coûts sociaux, sanitaires, etc., NDLR) », fait-elle savoir. Un indicateur clé pour calculer la véritable performance économique globale des entreprises sociales, qui devrait intéresser la puissance publique.

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