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Jade Le Maître (ex-Hease Robotics) : « Le hardware devient la cinquième roue du carrosse de l’investissement »
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Jade Le Maître (ex-Hease Robotics) : « Le hardware devient la cinquième roue du carrosse de l’investissement »

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Jade Le Maître, cofondatrice de la start-up d'électronique Hease Robotics à Villeurbanne (Rhône), qui a déposé le bilan en fin d’année 2019, déplore la frilosité des investisseurs pour les start-up hardware. Elle l'analyse par le manque de culture des financiers vis-à-vis du monde industriel et par les besoins en financement conséquents requis par ce type d’entreprises, spécialisées dans la conception de matériel.

Jade Le Maître, cofondatrice de la start-up Hease Robotics, a développé le robot d'accueil Heasy. Elle déplore le manque de moyens, en France, pour les start-up industrielles — Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Après le dépôt de bilan de votre société d'électronique et de robotique Hease Robotics fin 2019, c’est au tour de la start-up industrielle Euveka, dans la Drôme, de tirer la sonnette d’alarme sur ses difficultés de financement. Comment jugez-vous l'implication des investisseurs dans les start-up hardware, celles qui travaillent sur le matériel, plutôt que le logiciel ?

Jade Le Maître : J’ai la chance d’être à la fois entrepreneure et membre du réseau de business angels Holnest, ce qui me permet d’observer les deux facettes et de voir comment se décident les prises de participation. Le hardware bénéficie en France d’un fort capital de sympathie, surtout depuis quelques années. Les acteurs de ce secteur sont très sollicités pour participer à des événements. Nous bénéficions d’une certaine reconnaissance. Les investisseurs nous tapent dans la main, nous font des grands sourires, vantent nos produits. Mais en y regardant de plus près, ils se rendent compte que c’est un univers risqué, complexe, avec des besoins en financement plus importants que dans d’autres secteurs.

Il est plus onéreux de fabriquer un objet connecté qu’une application SaaS. Entre un dossier "objet connecté" et un autre "plateforme BtoB SaaS", qui demandent exactement le même financement, le second aura des indicateurs de performance plus intéressants. Le hardware devient la cinquième roue du carrosse de l’investissement.

Comment peut-on expliquer cette frilosité des investisseurs ?

Jade Le Maître : Les investissements ne se font pas au moment où les entreprises en ont le plus besoin. Il y a une majorité d’investissements qui sont faits en amorçage, sur de petits montants. Les start-up dans cette phase sont très bien soutenues en France, grâce aux aides à l’innovation et Bpifrance. Financer son premier prototype n’est pas difficile.

À l’inverse, une entreprise hardware a besoin de cash, lorsqu’elle doit passer à la réalisation de la présérie et à l’industrialisation. Les besoins sont énormes, parce que les coûts sont très importants, que ce soit en plasturgie ou en électronique. Pour Hease Robotics, c’était de l’ordre de 2 millions d'euros.

« Il y a un vrai problème d’acculturation au hardware en France. »

De plus, les investisseurs ne sont pas des experts techniques et ne savent pas toujours s'entourer de l'expertise nécessaire à l'évaluation des dossiers. Évaluer la technicité et le potentiel d’une entreprise qui fait du software ne fait pas appel aux mêmes compétences que celles nécessaires à l'évaluation du potentiel et de la complexité d’un projet hardware. Ce ne sont pas les mêmes métriques. Le hardware fait appel à une kyrielle de métiers et savoir-faire différents, qui sont plus difficiles à évaluer et à comprendre. Il y a un vrai problème d’acculturation au hardware en France.

Les industriels n’ont-ils pas un rôle à jouer aux côtés des start-up ?

Jade Le Maître : L’alliance avec les industriels est cruciale. Ils disposent d’un savoir-faire et d’une force de frappe considérable sur l’industrialisation de produits. Néanmoins, réussir à faire en sorte que les industriels aillent dans le même sens que les start-up est parfois compliqué. Le dialogue peut-être délicat, si on veut préserver notre âme et notre capacité à apporter de la disruption dans l’approche des problématiques. Il faut trouver un juste équilibre, dans lequel l’industriel apporte ses compétences et son savoir-faire, tout en laissant le champ libre à la start-up.

En outre, les alliances avec les industriels s’avèrent délicates, parce qu’elles peuvent fermer toute une partie du marché pour cause de concurrence.

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