En Auvergne Rhône-Alpes, le défi industriel des acteurs de la vélotech
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En Auvergne Rhône-Alpes, le défi industriel des acteurs de la vélotech

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Portés par l’engouement grandissant pour le vélo, notamment depuis la crise du Covid, de nombreux acteurs d'Auvergne Rhône-Alpes implantés sur le segment du vélo à assistance électrique espèrent profiter de la dynamique positive pour monter en puissance sur le plan industriel.

Le vélo à assistance électrique a le vent en poupe. Sur un marché du cycle totalisant 2,33 milliards d'euros de revenus en 2019, il représente 45,2 % du marché en valeur — Photo : AddBike

Le vélo n’est plus l’apanage des sportifs ou des touristes. La pratique du deux-roues connaît, avec la crise sanitaire du Covid-19, un développement sans précédent dans les villes françaises, en particulier pour les déplacements domicile-travail. À Lyon, le trafic cycliste a explosé en juin, avec 30 % d’augmentation par rapport à juin 2019. Ces dernières années, il progressait de plus de 10 % en moyenne par an à Lyon, selon une étude commandée par la Direction générale des entreprises. De même, alors que la pratique du vélo a bondi de 60 % au niveau national depuis 2000, le vélo atteint 15 % de part modale pour les déplacements domicile-travail à Grenoble, faisant de la cité iséroise la deuxième ville française la plus favorable à ce mode de transport après Strasbourg.

Cet élan, aidé par la météo estivale, s’explique aussi, en cette période de crise sanitaire, par le souhait des usagers de ne plus s’agglutiner dans les transports en commun. Pour Olivier Klein, chercheur sur les questions de mobilité au Laboratoire Aménagement, Économie, Transport (LAET/ENTPE) de l’Université de Lyon, « la dynamique du vélo est positive depuis plusieurs années avec une tendance récente à la hausse de l’utilisation des vélos ». D’après lui, la crise sanitaire participe notamment à légitimer les solutions électriques dans le vélo. « Aujourd’hui, de nombreux usagers ont intégré l’idée qu’ils pouvaient pédaler plus tranquillement sur des distances plus longues ». Il faut dire que le vélo à assistance électrique (VAE) a le vent en poupe. Sur un marché du cycle totalisant 2,33 milliards d'euros de revenus en 2019 (+10,1 % en un an), le vélo électrique représente 45,2 % du marché en valeur. Près de 390 000 unités ont été vendues en France en 2019, en hausse de 12,1 % sur un an, selon l’Observatoire du cycle. Le million d’unités commercialisé est espéré pour 2025.

« Aujourd’hui, la quasi-totalité des vélos sont construits sur des normes asiatiques »

Un héritage régional

Au-delà des avantages environnementaux et sanitaires du vélo, le développement de la pratique a mis en avant toute une filière locale inscrite sur le segment du cycle. Première région en termes d’emplois pour l’industrie du vélo (6 000 salariés), Auvergne Rhône-Alpes est la deuxième en termes de chiffre d’affaires. Une dynamique qu’elle doit notamment à un héritage puissant de son industrie – les anciens fleurons stéphanois Manufrance et Mercier –, aujourd’hui détrônée par des leaders dans leurs domaines respectifs, les équipementiers régionaux Mach1, Mavic, Olympic Cycles, Time Sport ou encore Stronglight. La région dénombre plus d'une soixantaine d'entreprises industrielles positionnées sur le segment du vélo (fabricants, équipementiers, assembleurs...).

Mais l’écosystème régional concentre aussi une nouvelle génération d’entrepreneurs lancée sur de nouveaux types de mobilité, comme le vélo à assistance électrique. Début juin, François Guers, dirigeant et actionnaire de WhaTTfornow, une start-up de Haute-Savoie qui conçoit et fabrique des vélos électriques haut de gamme, a fait l’acquisition de la marque de vélos sportifs Time, née en Isère et jusqu’ici détenue par Rossignol.

Vélo à assistance électrique de la start-up WhaTTfornow fondée en 2016 en Haute-Savoie — Photo : © Whattfornow

S'affranchir de la dépendance à l’Asie

La dynamique autour du vélo s’illustre comme particulièrement porteuse pour le développement d’une filière du vélo électrique dans la région. Pour autant, si le marché du VAE est encore jeune, la montée en puissance des acteurs régionaux du vélo électrique passe par un affranchissement de certaines contraintes. Première d’entre elles, la dépendance au marché asiatique. Plus de la moitié des pièces de vélos entrant dans la fabrication des cycles vendus en Europe proviennent aujourd’hui d’Asie, selon la Confédération de l’industrie du cycle européenne (Conebi). Une dépendance qui a atteint ses limites pendant la crise du Covid-19, entraînant des retards d’approvisionnement et parfois même des pénuries.

Éléments clés des VAE, les batteries sont encore aujourd’hui pour l’essentiel produites en Chine. Anne-Sophie Caistiker a fondé en 2014 Doctibike (CA 2019 : NC / 14 salariés), une entreprise de Villeurbanne qui redonne une seconde vie aux batteries de vélos. « Nous faisons du reconditionnement et du recyclage de batteries pour les vélos et trottinettes électriques. Nous gérons jusqu’à 10 000 batteries par an et profitons aujourd’hui d’une croissance très forte, malgré deux crises (l’incendie de Bel Air Camp en octobre 2019 et le Covid-19, NDLR) », explique-t-elle.

Un tiers de l'activité de Doctibike est réalisé auprès des particuliers, un autre tiers auprès des réseaux de magasins spécialisés. « Pour limiter la saisonnalité de l’activité, nous travaillons également avec les constructeurs et concepteurs de batteries », précise celle qui a pris la tête du cluster MAD, pour « Mobilité active et durable », une association née en juin dernier qui vise à fédérer l'ensemble du peloton régional du vélo autour de problématiques communes. Mais la dirigeante projette, d’ici dix ans, de repositionner sa start-up sur la fabrication d’une batterie locale. « Aujourd’hui, l’essentiel des cellules de batterie, mais aussi les "casing" (boîtes entourant les cellules, NDLR) proviennent de Chine. Notre volonté est de proposer une batterie standard fabriquée à partir d’éléments produits en France et en Europe », fait-elle savoir.

L’Asie, un choix par défaut auquel est également contraint Dominique Houzet, à la tête d’EBikeLite (CA 2019 : 800 000 € / 2 salariés), basée à Saint-Martin-d'Hères, en Isère. Le dirigeant a créé le GBoost, un kit d’électrification compatible avec la quasi-totalité des vélos. « Nous en vendons une centaine par mois depuis le déconfinement mais nous sommes obligés de produire en Chine par lot de 1 000, ce qui a des conséquences sur les approvisionnements », explique le dirigeant, qui ne désespère pas de pouvoir un jour faire produire son Gboost en Europe.

Vers une relocalisation industrielle ?

Un espoir partagé par toute une frange d’entrepreneurs. « Aujourd’hui, la quasi-totalité des vélos sont construits sur des normes asiatiques », complète Renaud Colin, fondateur d’Addbike (CA 2018 : NC / 8 salariés), une start-up de Villeurbanne qui conçoit des solutions modulaires pour transformer un vélo en triporteur. L’entreprise vient d’ailleurs de dévoiler son dernier produit, baptisé « U-Cargo », un vélo urbain cargo modulaire compact et à assistance électrique. « Nous confions la fabrication des pièces et des éléments à des sous-traitants puis nous assemblons les vélos en interne », précise Renaud Colin, également vice-président du cluster MAD.

Une démarche loin d’être inédite dans le milieu. « L’essentiel des fabricants français de vélos sont des assembliers mais ne fabriquent pas eux-mêmes. Notre volonté est de développer et fédérer un ensemble d’acteurs pour concevoir et fabriquer des vélos au plus proche du terrain », partage-t-il.

Une opportunité en laquelle veut croire Gérard Tetu, fondateur et dirigeant de Kleuster, en banlieue lyonnaise qui conçoit et assemble des triporteurs utilitaires, les Freegônes. « Aujourd’hui, on commence à reprendre conscience du savoir-faire auralpin. En revanche, nous sommes tous confrontés à un problème industriel qui nous amène à sourcer nos pièces en Asie et à assembler ici, souligne-t-il. Je suis persuadé que nous avons une réelle possibilité d’investir localement pour détenir notre propre industrie. » Une difficulté directement rencontrée par ce dirigeant, qui en est à son cinquième sous-traitant industriel en huit ans. Si l’ensemble des pièces qui composent son triporteur sont sourcées en France, à l’exception des batteries, le patron déplore le paradoxe français : « Nous payons nos pièces quatre fois plus cher ».

Autre signe du potentiel que revêt le vélo électrique dans la région, le groupe Seb (CA 2019 : 7,3 Md€ / 34 000 salariés), spécialisé dans le petit électroménager, s’est rapproché de Marc Simoncini, fondateur de Meetic et investisseur, pour produire les vélos Angell dans son usine d’Is-sur-Tille (Côte-d’Or). « Face au succès rencontré par les vélos en précommande, les dirigeants d'Angell avaient besoin de capacités de production bien plus importantes », justifie Sandrine Vannet, directrice de Seb SAS. L’usine bourguignonne pourra produire plusieurs dizaines de milliers d’unités par an et s'occupera de l'assemblage et du câblage électronique des vélos.

Alors, pédaler local est-il envisageable ? Anne-Sophie Caistiker l’espère : « il y a une volonté de fédérer des industriels du secteur dans la région pour mettre en place un standard sur la fabrication de pièces ». Une solution pour faciliter le sourcing des pièces tout en étant compétitifs.

L'innovation passe par les services

Avant de pouvoir espérer pédaler sur un vélo "made in Auvergne-Rhône-Alpes" ou "made in France", la construction de l’écosystème se poursuit aussi sur d’autres terrains. À commencer par celui du service. Maël Bosson a créé il y a cinq ans à Grenoble EBikeLabs (CA 2019 : 270 000 € / 16 salariés), un gestionnaire de flotte de VAE. « Nous avons développé une solution logicielle couplée à un contrôleur hardware breveté qui permet d’utiliser le moteur du vélo électrique comme antivol et gérer la maintenance », présente-t-il. Ses clients ? Les opérateurs de flottes privées (entreprises ou freefloating) sur des vélos électriques ou cargo. Pour améliorer son dispositif, Maël Bosson a lancé début juillet une campagne de crowdfunding pour lever 1 million d’euros et améliorer l’industrialisation de son produit. « Aujourd’hui, nous devons collaborer avec cinq acteurs asiatiques pour intégrer notre solution. D’où notre volonté de nous rapprocher d’autres acteurs locaux pour faciliter l’implantation de notre système », explique-t-il. À Lyon, Velogik, un autre acteur important se taille la part du lion avec sa solution de maintenance et de gestion de flottes de vélos. La société gère plus de 35 000 vélos, dont ceux des villes de Grenoble ou de Bourg-en-Bresse, mais aussi de flottes entreprises (CNR, Orange, La Poste...).

À l'inverse, Yokler (CA 2019 : 1,3 M€ / 7 salariés) a commencé son aventure à Villeurbanne sous le prisme du service, avant de pivoter vers l’industrialisation de vélos triporteurs et cargo. « Depuis 2003, nous fonctionnions sur un business model basé sur le service avec Cyclopolitain, qui était une agence de street marketing autour des triporteurs. Nous avons évangélisé ce système, ce qui nous a incités, en 2017, à pivoter pour se dédier à la conception de triporteurs. », explique Gérald Lévy, cofondateur avec Sarah Dufour.

Mais, tous l’accordent : la région est un territoire propice à l’innovation. « Nous avons un écosystème riche en ce qui concerne le financement de l’innovation », avance Gérard Tetu, de Kleuster. Reste désormais à prendre la roue de l'industrialisation.

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