Coronavirus : bousculés, les groupes d'intérim d'Auvergne Rhône-Alpes revoient leurs plans
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Coronavirus : bousculés, les groupes d'intérim d'Auvergne Rhône-Alpes revoient leurs plans

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Alors que le secteur profitait jusqu’ici d’une activité soutenue, le confinement a entraîné un trou d'air pour les acteurs de l’intérim en Auvergne Rhône-Alpes. Un coup d’arrêt pour trois acteurs majeurs du secteur de la région, alors que la profession a perdu 500 000 équivalents temps plein en quelques jours au niveau national.

Les 260 agences d'intérim du réseau Adéquat sont fermées et n'accueillent pas de public pendant la crise liée au coronavirus — Photo : Adéquat

Jusqu’à la mi-mars, l’emploi dans l’intérim profitait d’une dynamique au plus haut depuis plus de vingt ans. Près de 800 000 emplois en équivalents temps plein étaient dénombrés en France en janvier, dont 110 802 missionnés par des établissements de travail temporaire d’Auvergne-Rhône-Alpes, selon des chiffres de la Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares). Évidemment, l'épidémie de coronavirus a sensiblement changé la donne.

Cinq fois moins d'intérimaires en quelques jours

« Nous avons pris une claque monstrueuse les deux premières semaines du confinement avec une baisse de près de 80 % de notre activité », note Fabrice Faure, patron du groupe Lip (CA 2019 : 415 M€ / 600 salariés), qui détient 160 agences en France. Avant la crise, le groupe lyonnais dénombrait 8 000 intérimaires en mission. Un chiffre divisé par cinq en quelques jours. « On oscille aujourd’hui entre 1 600 et 1 700 intérimaires en poste aujourd’hui ». Un chiffre qui devrait, selon le patron, demeurer à un niveau similaire au moins jusqu’en mai. « L’annonce du déconfinement à compter du 11 mai nous laisse penser que les entreprises ne vont pas davantage faire appel à l’intérim d’ici là », précise-t-il.

Un constat similaire observé également du côté de ses concurrents régionaux, avec quelques différences néanmoins en fonction des secteurs d’activité. Le groupe lyonnais Adéquat (CA 2019 : 1 Md€ / 1 100 salariés), qui compte 260 agences d’intérim en France et est présent dans cinq pays, accuse une baisse d’activité de l’ordre de 60 %, selon son directeur général Jérôme Rieux. Une baisse majeure mais qui semble plus contenue. « L’activité perdure dans les secteurs de l’agroalimentaire, de la distribution ou de la logistique, moins impactés. À l’inverse, le BTP, quasiment à l’arrêt, sera plus long à redémarrer », prévoit-il. De 25 000 intérimaires en poste dans toute la France avant la crise, Adéquat en missionne aujourd’hui un peu plus de 10 000.

L’entreprise grenobloise Mare Nostrum (CA 2019 :165 M€ / 290 salariés), qui fédère 74 agences de travail temporaire en France et dénombre 4 000 équivalents temps plein, est historiquement très orientée vers le BTP. L'arrêt brutal de ce secteur au début du confinement « a entraîné une baisse importante de (l')activité », indique le PDG Nicolas Cuynat. « Mais aujourd’hui nous percevons des premiers signes de redémarrage », tempère-t-il, ajoutant que le niveau d’activité sur la logistique et l’agroalimentaire demeure bon.

Une organisation à repenser en urgence

Pour faire face, les méthodes diffèrent. « Il a fallu s’organiser en urgence pour fonctionner autrement, répondre aux multiples sollicitations et faire avec les positions du gouvernement qui changeaient constamment », note Fabrice Faure, du groupe Lip. Une des premières interrogations a d’ailleurs été la possibilité pour les intérimaires de pouvoir prétendre au chômage partiel en cas d’arrêt de l’activité. Après de longs atermoiements, le gouvernement a ouvert ce droit fin mars. « Le cycle de paye du mois de mars a été clos, tout le monde a pu être payé normalement ou en bénéficiant du chômage partiel », fait savoir Fabrice Faure. Un soulagement aussi pour Jérôme Rieux : « Ce sont près de 800 000 équivalents temps plein concernés, nous n’aurions pas pu imaginer qu’ils soient laissés pour compte. C’était impensable », estime-t-il.

Les agences désormais pour la plupart fermées, les entretiens se font en visioconférence, les demandes des entreprises traitées à distance. Alors qu’Adéquat déploie trois ou quatre permanents par agence, un seul est désormais présent. « Nous avons réussi à passer 800 de nos salariés en télétravail en moins de 72 heures après l’annonce du confinement. 100 % de notre service est assuré aujourd’hui », précise Jérôme Rieux.

L'intérim, une « variable d’ajustement »

Mais cette situation traduit plus globalement le caractère particulier du secteur de l’intérim face au reste de l’économie. Prism’Emploi, la fédération patronale de l’intérim, estime à plus de 500 000 le nombre d’emplois en équivalent temps plein détruits en mars. Rien d’anormal pour le patron d’Adéquat. « L’intérim est une variable d’ajustement puisque notre activité suit celles des entreprises. Nous amplifions les phénomènes économiques : quand tout va bien, nous sur-performons. Quand c’est plus compliqué pour les entreprises, nous le subissons très fortement », explique Jérôme Rieux. À l’inverse, Nicolas Cuynat, de Mare Nostrum, se montre plutôt optimiste sur les capacités du secteur à rebondir rapidement. « L’intérim est une option de flexibilité pour les entreprises », veut-il croire.

Pourtant, la perspective de la levée du confinement prévue au 11 mai ne déclenche pas la liesse. Au contraire. « La reprise sera tout aussi violente, voire pire, que la crise que nous vivons », estime Fabrice Faure dont le groupe Lip a procédé fin janvier à sa troisième acquisition en six mois avec la société parisienne Mantrans (CA 2019 : 80 M€). « Tout le monde doit prendre conscience que les conséquences à venir seront sans doute pires que la maladie elle-même. L’arrêt brutal de l’activité va générer des drames sociaux économiques et financiers dramatiques en France », confie-t-il, estimant devoir patienter un an avant de pouvoir retrouver un rythme d’avant-crise.

« Une entreprise fera appel à des intérimaires lorsqu’elle aura retrouvé un niveau d’activité suffisant. », anticipe pour sa part Jérôme Rieux, pour qui le redémarrage de l’activité prendra jusqu’à dix-huit mois.

Développer une capacité de résistance

Dans cette période de crise, le groupe Adéquat estime que son salut ne viendra pas forcément de ses clients mais d’abord de sa gestion de la crise et de sa capacité à avoir su se démarquer. « Le gâteau ne va pas s’agrandir avec la crise. Il s’est réduit puis reprendra un peu d’ampleur avec la reprise du BTP. La bonne gestion de cette période inédite, violente, soudaine permettra de creuser des écarts sur la qualité du service que l’on aura su proposer. Se montrer en meilleure forme après la crise peut nous permettre de gagner des parts de marchés », note le directeur général Jérôme Rieux. Le groupe a d’ailleurs mis en pause le développement de son réseau. « Nous continuerons à investir dans la digitalisation de nos services et dans la formation de nos collaborateurs, mais le développement du réseau d’agences est pour l’instant stoppé », confie-t-il.

Une capacité de résistance dans la crise qui motive également Mare Nostrum. La société a fait le choix d’anticiper le déploiement d’outils et de services aux intérimaires, et se veut prévenante. Le groupe a par exemple mis en place une formation sanitaire sur le coronavirus dédié au BTP et sa filiale Linkeys met son offre 100 % numérique de cooptation gratuitement à disposition de ses clients. Ce qui n’empêche Nicolas Cuynat de s’alarmer : « Je suis inquiet du comportement de certains de nos concurrents qui ne respectent pas certaines règles de notre fédération. Certains délèguent du personnel sans aucune formation liée au Covid-19 ni aucun équipement de protection individuelle », tacle le patron grenoblois. Qui nourrit cependant l’espoir que le secteur de l'intérim « ressorte de cette crise encore meilleur ».

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