Certains projets industriels naissent de rencontres fortuites. C’est le cas de Wattlux qui a vu le jour… dans un salon de coiffure. Une discussion sur les migraines ophtalmiques occasionnées par l’éclairage artificiel a ainsi conduit Patrick Belin, architecte et physicien de formation, à s’intéresser à la question. Curieux et touche-à-tout, ce dernier découvre que ces symptômes sont dus à la saturation en UV des ampoules led classiques. Avec ses amis Yannick Bailly et Thierry de Larochelambert, chercheurs à l’institut Femto-ST de Besançon (Doubs), spécialisé dans la physique de la lumière, il développe un prototype d’ampoule permettant, grâce à un mélange de fréquences et de couleurs, de se rapprocher des caractéristiques de la lumière naturelle. Le projet a tôt fait d’intéresser le patron du fameux salon de coiffure, Yannick Kraemer (200 salons de coiffure dans 11 pays, représentant 70 M€ de CA et 1 700 salariés), qui y voit la possibilité de valoriser le travail de coloriste de sa profession.
Des ampoules éco-conçues et fabriquées en France
Les associés fondent la société Wattlux en janvier 2015. Un brevet international (couvrant l’Europe, l’Amérique du Nord, la Russie, la Chine et le Japon) est déposé 11 mois plus tard. Mais le processus d’industrialisation est long. De test en mise en situation, la première ampoule écoresponsable voit finalement le jour en 2022. Elle devrait être suivie de nouveaux modèles en septembre 2023 et en avril 2024.
Les premières analyses de marché ont conduit Wattlux à s’adresser en premier lieu au marché des collectivités et des bailleurs sociaux. "Nos ampoules ont beau être 40 % plus chères que les produits classiques fabriqués en Chine, elles permettent d’économiser 60 % d’électricité. Elles sont aussi bien plus durables et peuvent rentrer dans une politique d’achat responsable", note Patrick Belin. L’entrepreneur vient de signer un premier contrat avec Sedes, propriétaire de 1 800 logements sociaux dans l’Eurométropole, permettant à la start-up d’enregistrer son premier chiffre d’affaires. D’autres perspectives s’ouvrent dans le secteur de l’éclairage public : Wattlux va ainsi réaliser un premier test dans une commune de l'Eurométropole de Strasbourg, pour des lampes qui seront mises sur le marché début 2024.
Des collectivités à la grande distribution
Mais ce sont finalement les grandes surfaces qui constituent son marché le plus prometteur. Avant de remplir les rayons des supermarchés, la technologie Wattlux viendra en premier lieu équiper les établissements eux-mêmes. Elle permet en effet de choyer le public sensible à la lumière et d’améliorer le confort dans les magasins. Les discussions sont en cours pour assurer cet été le renouvellement du parc éclairage d'un hypermarché. Si le test est concluant, Wattlux pourrait être amené à équiper une bonne part du réseau de l’enseigne concernée, avant d’être référencé dans ses rayons. Une perspective de croissance rapide (le budget d’équipement d’un magasin oscille entre 250 000 et 300 000 €) qui amène Wattlux à afficher d’importantes ambitions : se tailler une part de marché de 10 % en Europe, d’ici 5 ans.
Pour cela, Patrick Belin envisage trois phases de développement industriel. Wattlux travaille aujourd’hui avec APF Entreprises à Illkirch (CA 2022 : 8,50 M€ ; 190 salariés), une entreprise d’insertion spécialisée dans l’électronique qui a conseillé la start-up dans la mise en production des ampoules et a réalisé une présérie de 15 000 exemplaires. À compter de septembre prochain, elle fabriquera l’électronique embarquée des nouveaux produits. Quatre à six opérateurs seront également dédiés à l’assemblage des petites séries (200 000 pièces par mois). Une ligne de production plus importante (600 000 unités par mois) pourrait ensuite être mise en place en mai 2024 au sein des installations de l’équipementier Sogefi à Orbey (Haut-Rhin). À plus long terme cependant, Wattlux espère bien disposer de sa propre usine au sein de l’Eurométropole, pour alimenter le marché européen. Le personnel de production sera là encore fourni par APF Entreprise. La nouvelle unité, dont les études devraient démarrer en octobre prochain, pourrait voir le jour mi 2025.
L’indépendance avant tout
Avec un capital social de 12 200 €, la société de R & D n’est pourtant encore qu’un tout petit Poucet. "L’entreprise a été créée avec très peu de fonds. Chaque associé a mis à profit ses compétences, ce qui a permis de réaliser les études sans engager de frais. Et le dépôt du brevet a permis d’améliorer sa valorisation", explique son fondateur et gérant. Les mêmes actionnaires ont également injecté 350 000 € de fonds au fur et à mesure des besoins. Wattlux a par ailleurs bénéficié d’une subvention de 30 000 € de la BPI dans le cadre du dépôt de brevet.
Quant au financement des développements industriels à venir, Patrick Belin compte avant tout sur le soutien de ses partenaires potentiels : Banque des territoires, Banque populaire, Eurométropole de Strasbourg, Fondation du Crédit Mutuel. Il envisage également la construction d’un partenariat avec les différents acteurs en charge du foncier, des lignes de production, de l’approvisionnement. "Nous voulons garder une certaine liberté dans notre rythme de développement. La taille du marché nous met en capacité d’amortir les investissements très rapidement", indique-t-il. "L’ampoule Wattlux est un produit fantastique. Cela ne posera pas problème de lever des fonds si nécessaire", complète Yannick Kraemer.
