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Quel avenir pour les aéroports locaux de Nouvelle-Aquitaine ?
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Quel avenir pour les aéroports locaux de Nouvelle-Aquitaine ?

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Avec sept aéroports dotés de lignes commerciales régulières, en plus de celui de Bordeaux-Mérignac, la Nouvelle-Aquitaine dispose du maillage le plus dense du pays après l’Occitanie. Ces plateformes parfois méconnues proposent des destinations nationales et internationales, et répondent à des vocations hétérogènes. Sont-elles toutes légitimes ? Comment envisagent-elles leur avenir à l’heure de la décarbonation ?

L’aéroport de Brive, inauguré en 2011, est le plus jeune de France et probablement le dernier construit avant au moins vingt ans — Photo : Brive-Vallée de la Dordogne

La Rochelle, Poitiers, Limoges, Brive, Bergerac, Pau et Biarritz : la Nouvelle-Aquitaine est particulièrement bien pourvue en aéroports locaux. Elle en comptait même 10 à l’époque de la refonte des régions (avec Périgueux, Angoulême et Agen), avant qu’ils ne perdent leurs lignes régulières. Par "aéroport local", il faut comprendre aérodrome (les pistes) doté d’infrastructures (aérogare, sécurité, sûreté) et lignes commerciales (transport pour le compte d’autrui).

Le territoire est ainsi parmi les plus maillés de France. Seule l’Occitanie le dépasse (neuf plateformes), sachant que "la moyenne est plutôt entre quatre et cinq", selon David Charbit, chargé de mission aéroport à la Région. "Cela s’explique par l’attrait touristique et résidentiel du Sud-Ouest", analyse Nicolas Paulissen, délégué général de l’Union des aéroports français (UAF). Les Britanniques, friands de nos campagnes et belles demeures, "peuvent représenter plus de 50 % du trafic d’une plateforme". Mais huit aéroports - Bordeaux compris - n’est-ce pas trop ? Comment des structures comme Brive-Vallée de la Dordogne (91 121 passagers en 2022) peuvent-ils être rentables ? Limoges (191 238 passagers) l’est-il ? Comment vit celui de Pau à 35 km du voisin occitan de Tarbes ?

Un équipement pour le territoire

Pour Nicolas Paulissen, ces questions n’ont même pas lieu d’être. "Tous les aéroports n’ont pas vocation à être rentables, comme les gares ! C’est un équipement pour le territoire, des terrains pour l’industrie aéronautique et un service d’intérêt général." Concrètement, hormis Bordeaux, seuls Biarritz (près de 250 salariés et 17,4 M€ de CA en 2022) et Pau (environ 125 salariés) sont à l’équilibre ou presque, autrement dit ceux qui génèrent le plus de trafic passagers (970 000 estimés en 2023 pour Biarritz, entre 355 000 et 360 000 pour Pau).

D’où la nécessaire distinction entre les différents types d’aéroports, détaille Nicolas Paulissen : ceux qui relèvent de l’aviation générale et d’affaires (moins de 100 000 passagers par an) ; les aéroports de proximité (entre 100 000 et 1 million de passagers) qui ont un trafic commercial y compris sur des petits avions ; les aéroports dits régionaux avec un rôle plus diversifié et des lignes vers Paris ou des villes européennes, souvent avec des compagnies low cost ; les grands aéroports régionaux comme Bordeaux et enfin Aéroport de Paris qui, à lui seul, représente la moitié du trafic en France.

"Il faut réfléchir aux usages futurs. Quand on ferme un aéroport, on ne revient pas en arrière."

Le classement établi par la Région à l’occasion de l’élaboration de son plan stratégique aéroportuaire en 2017 – pionnier en France - diffère un peu mais reflète des principes similaires : intérêt de désenclavement pour les territoires non desservis par le train (l’efficacité ferroviaire étant établie à partir de 3 heures de Paris), intérêt de développement économique avec la présence de grandes entreprises, et intérêt touristique. Un aéroport pouvant cumuler plusieurs enjeux.

"Chacun doit trouver sa vocation et c’est à la région de penser sa politique aéroportuaire pour éviter les doublons. La Nouvelle-Aquitaine est la plus avancée en la matière", résume Nicolas Paulissen.

Merci les Britanniques

Ainsi, selon le "classement" régional, Biarritz, La Rochelle et Poitiers présentent un intérêt majoritairement touristique, Pau et Limoges principalement économique, Bergerac et Brive nécessitent un désenclavement.

Le corrézien Brive-Vallée de la Dordogne (39 salariés) est le plus jeune aéroport de France, inauguré en 2011, et probablement le dernier avant au moins vingt ans, s’accordent à dire tous les professionnels. "Il a été créé comme un outil essentiel pour faire venir les Parisiens", raconte Julien Bounie, à la fois président du syndicat mixte propriétaire et de la régie exploitante. Aujourd’hui, ce ne sont plus les seuls séduits. "Nous accueillons beaucoup d’Anglais et de Belges qui ont des résidences secondaires. La ligne vers Porto, qui bénéficie aussi de l’export (les Corréziens qui voyagent, NDLR), explose également avec 36 000 passagers en 2023." 2023 sera une année record : "nous allons dépasser 98 000 passagers, et ce malgré une rotation quotidienne en moins sur Paris", estime Julien Bounie. Il a trouvé sa voie.

La Cour des comptes dénonce les risques de pression de la part des compagnies à bas coût, dont dépend souvent l’essentiel du trafic des aéroports locaux — Photo : Aéroport de Poitiers

À Bergerac, la situation est aussi singulière dans son genre, puisque de l’intérêt de désenclavement l’infrastructure a pris une vocation touristique. À l’inverse de La Rochelle ou Biarritz, "c’est l’aéroport qui a permis le développement du tourisme", affirme Mathieu Bergé, conseiller régional en charge des aéroports. Dans les cabines des avions désormais se pressent très majoritairement des Britanniques. L’aéroport ne dessert ainsi pas moins de dix destinations du Royaume-Uni et ce toute l’année. "Ils représentent l’essentiel du trafic", affirme Nicolas Paulissen, de l’UAF.

"Au total, c’est 5 à 7 millions d’euros par an de la Région, à comparer aux 300 millions pour le ferroviaire"

Limoges aussi peut compter sur ses lignes extérieures (Royaume-Uni, Maroc) pour booster son trafic. Elles y enregistrent une progression de 40 % en 2023, contribuant largement à la reprise (+35 % de passagers au total par rapport à 2022) et remettant l’aéroport sur les rails d’avant Covid (260 000 passagers estimés en 2023, 300 000 en 2019). Dans ses bagages pour 2024, Limoges-Bellegrade confirme donc logiquement sa volonté de multiplier les nouvelles lignes régulières et charters. Il y a d’autant plus intérêt que les subventions qu’il perçoit par la Région vont fondre dans le cadre de la politique d’harmonisation des participations à 25 % (à l’origine de 49,6 % à Limoges).

Poitiers aussi peut remercier les Britanniques, puisque depuis l’arrêt de la ligne vers Lyon fin octobre 2023, Londres est désormais son unique destination régulière à l’année. "Malgré cela, le nombre de passagers est en hausse de 4 % en 2023", se réjouit l’aéroport (90 000 passagers estimés en 2023, encore loin des 114 000 de 2019). Pour rappel, Poitiers-Lyon, subventionnée au titre de l’obligation de service public (OSP), est en sommeil suite au départ avant terme de la compagnie Chalair en mars 2023, puis d’un contrat non reconduit avec Van air Europe et surtout de compagnies candidates jugées trop gourmandes en financements par les collectivités.

Globalement, "les aéroports locaux de Nouvelle-Aquitaine ont reconstitué 80 à 85 % du trafic d’avant Covid", estime Mathieu Bergé, conseiller régional en charge des aéroports. "On le retrouvera naturellement en 2025 grâce à la démographie."

Des turbulences dans les vols business

S’il y a bien une catégorie qui n’a pas retrouvé sa superbe de 2019, c’est la classe affaires. "Nous sommes encore à -20 % de fréquentation (chiffre national). Les pratiques et les mentalités ont changé, les entreprises préfèrent le train ou les visioconférences", analyse Nicolas Paulissen. Pour un aéroport comme Pau (environ 125 salariés), le coup est rude. "Notre clientèle est très typée affaires, avec de grands donneurs d’ordre sur le territoire. Notre fréquentation d’avant Covid était de 600 000 passagers - gonflée aussi par la fermeture quelques mois de Biarritz et le report de la ligne vers Orly - elle devrait être entre 355 000 et 360 000 en 2023", estime Nicolas Patriarche, qui fustige aussi la concurrence de Tarbes (lire par ailleurs).

Néanmoins, l’aviation d’affaires, elle, perdure, y compris à Pau. Ce sont ces avions, détenus parfois par les entreprises pour leur propre compte ou par des sociétés spécialisées, qui commercialisent le transport de passagers. "Ils permettent à des entreprises de rejoindre les grands centres de décision quand la région est enclavée, ou bien de visiter l’ensemble des sites de la société en une journée quand ils sont éparpillés, ce qui est tout à fait impossible en train. Si l’aéroport de Limoges avait fermé, Legrand (8,3 Mds€ de CA en 2022, première entreprise de Nouvelle-Aquitaine) ne serait jamais resté", considère Nicolas Paulissen, de l’UAF.

L’aéroport de Brive, qui enregistre un nombre de mouvements stable à 360 en 2023, soit presque un par jour, a néanmoins renoncé à son projet qui visait à le doter de son propre appareil, qu’il aurait mis à disposition des dirigeants. "Mais quand l’avion bashing a commencé – avec l’histoire du PSG et du char à voile (interrogé en septembre 2022 sur les déplacements en avion de ses joueurs, l'entraîneur de l'équipe de football avait répondu ironiquement réfléchir au char à voile, NDLR) – nous avons senti les entreprises frileuses et renoncé, avoue Julien Bounie. Seule une société locale a son propre appareil basé ici."

Les premiers vols décarbonés

"Nous souffrons de ces critiques qui s’élèvent contre l’aviation en général, reconnaît Nicolas Paulissen. Mais ces petites plateformes vont jouer un rôle demain : la première aviation décarbonée sera de courte distance. Il faut réfléchir aux usages futurs. Quand on ferme un aéroport – procédure complexe – on ne revient pas en arrière."

La décarbonation de l’aviation était précisément au cœur d’une journée de travail avec tous les acteurs (entreprises, compagnies, aéroports, DGAC…) à La Rochelle en novembre, dans le prolongement des journées de la Mobilité aérienne légère verte et durable (Maele) organisées pour la deuxième fois à Bordeaux et Toulouse par le pôle de compétitivité Aerospace Valley. Signe, encore, de la pole position que souhaite prendre le sud-ouest en se penchant sur les questions concrètes : quels seront les nouveaux avions, quelles seront les infrastructures nécessaires pour les accueillir, les ravitailler, quels nouveaux carburants…

L’aéroport de Brive, inauguré en 2011, est le plus jeune de France et probablement le dernier des décennies — Photo : Brive-Vallée de la Dordogne

Brive se positionne ainsi pour accueillir une des premières lignes décarbonées. "La compagnie Amelia (groupe français Regourd Aviation), qui opère déjà un Brive-Paris, a acheté des kits de retrofit pour de l’hydrogène dont elle équiperait un ATR72. Un modèle parfait pour chez nous qui proposerait 50 places, avec une capacité de vol de 1 000 km. À en croire la compagnie, nous pourrions envisager un premier vol de Brive en 2027-2028", annonce le président du syndicat mixte de l’aéroport corrézien.

Exploiter un foncier stratégique

Sans attendre le monde de demain, les aéroports ont tout intérêt à valoriser leur terrain. C’est l’un des atouts majeurs commun à tous les aéroports : disposer d’hectares par définition proches des pistes. De quoi intéresser des entreprises en quête de surface et surtout en quête d’infrastructures pour mener des essais de vol ou réceptionner des appareils, comme les start-up prometteuses Voltaero (35 salariés) à Rochefort ou Elixir Aircraft (828 K€ de CA 2022, 110 collaborateurs) à La Rochelle.

Brive a lancé récemment les travaux d’une zone d’activités qui abritera deux entreprises de démantèlement et maintenance d’avions. Par ailleurs, 50 hectares seront loués d’ici trois ans à un projet de centrale photovoltaïque. "Le défi, c’est de tendre vers l’autonomie financière afin que le syndicat - propriétaire - ne verse plus le million d’euros annuel à la régie exploitante, et que toutes les ressources des collectivités soient au profit du développement. C’est l’objectif pour 2027", explique Julien Bounie.

L’épineuse question des subventions

En deçà de 700 000 passagers, il est difficile pour un aéroport d’être rentable selon la Commission européenne. La plupart, propriétés de syndicats mixtes ou de chambres de commerces, sont donc subventionnés par les collectivités. "Au total, c’est 5 à 7 millions d’euros par an de la Région, à comparer aux 300 millions pour le ferroviaire", énonce Mathieu Bergé. À comparer aussi à l’Occitanie et ses 30 millions d’euros.

Avion bashing aidant, "la facilité serait de dire pas d’argent public pour les aéroports. Mais si nous avions fait cela, nous n’aurions que Bordeaux et Biarritz", répond l’élu régional. "Or, c’est une fausse bonne idée de croire que cela lutterait contre le réchauffement climatique puisque la croissance du trafic se concentre fortement sur Bordeaux. En revanche, nous sommes attentifs à ce que l’aéroport apporte au développement du territoire." C’est ainsi que la Région a établi son plan et son "classement", à l’aune duquel Périgueux, Angoulême, Agen et Poitiers n’ont pas trouvé grâce à ses yeux et ne perçoivent donc pas d’aides, de la Région du moins.

Considéré trop proche de Paris, l’aéroport de Poitiers est le seul de la région à disposer de lignes commerciales sans participation de la Région — Photo : Aéroport de Poitiers

Les situations généralement déficitaires ont été pointées du doigt par la Cour des comptes, dans un rapport publié en juin dernier. "Les aéroports intermédiaires doivent faire face aux coûts fixes importants (sécurité, sûreté) associés à l’aviation commerciale, sans recevoir pour autant le nombre de passagers suffisants pour bénéficier, comme les plus grands aéroports, de recettes extra-aéronautiques substantielles (parkings, activités commerciales…)", explique-t-elle. Elle prône une réflexion globale sur le maillage du territoire national et a minima une gestion régionale pour mettre les collectivités à l’abri de chantage de la part des compagnies low cost, "tentées de mettre en concurrence les plateformes et les dispositifs d’aides". Précisément ce qui a conduit à l’interruption de la ligne Poitiers-Lyon ou, dans un autre genre, ce qui conduit l’aéroport de La Rochelle à faire l’objet d’une enquête diligentée par le Parquet national financier, soupçonnée d’avoir financé Ryanair plus que la loi ne l’y autorise, pour qu’elle alimente toujours son tarmac.

Le cas à part de Pau

Si la Nouvelle-Aquitaine a bien embrassé la question du maillage territorial, la logique se heurte aux limites de… la région. Quid de Pau (environ 125 salariés) à 35 km de Tarbes ? "C’est toujours cet exemple qui est repris", reconnaît Nicolas Paulissen qui "ne doute pas que les territoires vont s’entendre". Les acteurs y semblent pour l’heure peu enclins. Les Néo-aquitains dénoncent un traitement inéquitable depuis que l’aéroport de Tarbes bénéficie de la reconnaissance d’obligation de service public (OSP) pour sa ligne vers Orly, ce qui lui confère des aides publiques jusqu’à 4 millions d’euros par an. "C’est quasiment le budget que la Région alloue à tous ses aéroports !" bondissent Mathieu Bergé et David Charbit.

"C’est une concurrence féroce qui aspire clairement notre clientèle sur des avions désormais similaires", déplore Nicolas Patriarche. "Cette année, ils enregistrent une hausse de la fréquentation sur leur ligne de 25 % correspondant à la dégradation sur la nôtre." Le président du syndicat mixte s’avoue "inquiet pour cette ligne" et "remonté". "Nous n’avons aucune perspective de ligne TGV, donc il en va de l’attractivité du territoire. Même si nous sommes montés en puissance sur notre desserte vers Roissy, ce n’est pas le même usage."

Survivre sans ligne commerciale

Un aéroport qui n’a plus de ligne commerciale n’est pas un aéroport mort et encore moins un aéroport fermé. Agen a recouvré quelques forces après l’arrêt de sa dernière ligne commerciale - vers Paris – en 2020. Il est le dernier sorti de la liste des "aéroports locaux" telle que l’entend la Région, mais demeure un aéroport au sens de l’UAF, toujours doté de ses bâtiments, ses pistes bitumées et de l’activité. Créé dans les années 1970, il a compté jusqu'à 40 000 passagers par an. "La ligne n’était pas rentable mais maintenue par l’État et les collectivités au nom du service public… jusqu’à l’arrivée du TGV", raconte son directeur Francis Viaud, qui reconnaît que la fermeture a été salvatrice pour la situation financière de l’aéroport, bien améliorée même si toujours déficitaire". Toujours est-il qu’il a fallu trouver un second souffle.

"Ce n’est pas à Bordeaux ou Toulouse que vous pouvez former des pilotes."

L’aéroport (7 salariés) mise sur le développement de la formation des pilotes en accueillant des écoles, même si les premiers chevaux n’ont pas été les bons. Airways a été placé en redressement judiciaire en 2021, Paris Flight Training en octobre 2023, "mais nous espérons une nouvelle école début 2024", révèle le dirigeant. "L’infrastructure est là, ce n’est pas à Bordeaux ou Toulouse que vous pouvez former des pilotes." Agen s’était positionné en 2022 comme support dans le cadre d’un dispositif incendie. "Pour l’heure nous n’avons pas été retenus." Il sert en revanche toujours de base pour les évacuations sanitaires et les prélèvements d’organes qui s’effectuent par avion (comme Poitiers, essentiel pour le CHU) et travaille en parallèle à créer une zone d’activité pour accueillir des sous-traitants de l’aéronautique.

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