Pierre Goguet : « La transformation des CCI deviendra la réforme la plus emblématique de Bruno Le Maire »
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Pierre Goguet président de CCI France Pierre Goguet : « La transformation des CCI deviendra la réforme la plus emblématique de Bruno Le Maire »

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Président de CCI France, Pierre Goguet conduit le changement de modèle des chambres de commerce et d’industrie. Privées d’une partie de leurs ressources fiscales, ces vieilles institutions sont contraintes de davantage se tourner vers l’économie de marché. Une transformation menée au pas de charge et qui ne réussira que si les CCI se montrent capables d'intéresser plus les PME.

Président de CCI France, Pierre Goguet doit davantage tourner le réseau consulaire vers l'économie de marché. En moins de 10 ans, les CCI devront en effet composer avec une baisse annuelle de leurs ressources fiscales de près d'un milliard d'euros. — Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Les CCI françaises sont en train de changer de modèle économique, sous l’impulsion de l’État qui les prive d’une partie de leurs ressources. Comment se déroule cette transformation ?

Pierre Goguet : Nous avons d’ores et déjà avancé dans la transformation de notre réseau. Depuis quelques mois, nous sommes en mouvement avec la création d’une offre nationale de services que nous allons vendre aux entreprises. Il nous faut en effet aller chercher des revenus de substitution, car l’État nous retire une partie de nos ressources, la taxe sur frais de chambre, versée par les entreprises aux CCI. Cette taxe a déjà diminué de plus de 50 % sur cinq ans et Bruno Le Maire entend encore poursuivre la baisse. Nous ne sommes pas d’accord sur la trajectoire retenue par le gouvernement, mais les CCI feront de leur mieux pour relever le défi.

Nous avons signé, en avril dernier, un contrat d’objectifs et de performance avec le ministre de l’Économie, pour qui les CCI doivent constituer le bras armé de la politique économique du gouvernement dans les territoires. Nous nous inscrivons donc dans une logique de co-construction de cette transformation, avec une forte implication des services de l’État, et aussi des partenariats avec les conseils régionaux.

L’État compte réduire de 100 millions d’euros par an vos ressources issues de la fiscalité. C’est trop ?

P. G. : Changer de modèle économique demande du temps. La volonté existe et la transformation se fera. Mais, dans une entreprise, on ne touche pas de dividendes avant d’avoir dégagé des résultats. Nous allons chercher de nouveaux revenus. Pour cela, il faut nous laisser un peu de temps.

Quel serait le bon tempo ?

P. G. : Nous sommes capables d’absorber une baisse d’une cinquantaine de millions d’euros par an, du moins au démarrage. C’est quelque chose que nous avons dit à Bruno Le Maire. Et le ministre de l’Économie a accepté de signer un contrat d’objectifs et de performance dans lequel aucune contrainte budgétaire ne figure : cela signifie qu’il a bien conscience de cette problématique.

Il n’y a aucun chiffre dans le contrat passé entre les CCI et l’État ?

P. G. : La baisse de 400 millions d’euros dont il a été question dans la presse ne figure pas dans le contrat d’objectifs et de performance. C’est une condition que Bruno Le Maire a acceptée, ainsi qu’une clause de revoyure pour suivre, pas à pas, les éventuelles difficultés du réseau. C’est ce qui explique aussi que le contrat d’objectifs et de performance a été voté par le réseau consulaire réuni en assemblée plénière à 99 %.

En tant que chefs d’entreprise, nous vivons cette baisse de nos ressources comme la perte d’un gros client : il nous faut donc aller en chercher d’autres, en sachant que cela ne sera pas qu’une partie de plaisir.

Quand allez-vous être fixés sur les prochaines échéances ?

P. G. : Nous avons rendez-vous tous les ans avec la loi de finances, qui plafonne le niveau de ressources des chambres de commerce. Cette année, nous avons dû composer avec la baisse des 100 millions d’euros annoncée. Pour 2020, nous espérons bien réussir à infléchir le montant de cette baisse.

Combien apporte la taxe sur frais de chambre aux CCI ?

P. G. : Cette année, la taxe sur frais de chambre s’élève à 600 millions d’euros. Si le ministre suit à la lettre ce qui a été annoncé, cette ressource ne représentera plus que 350 millions dans quatre ans. Je rappelle qu’il y a cinq ans, cette taxe pesait 1,3 milliard d’euros.

Quel est le poids de cette ressource fiscale dans le chiffre d’affaires ?

P. G. : Il y a deux ans, la part de la taxe pour frais de chambre représentait un tiers du chiffre d’affaires du réseau. Les deux autres tiers correspondaient à de la facturation – pour 40 % en provenance de la formation – et à de la gestion d’infrastructures, comme des ports et des aéroports.

« Aucun autre établissement public, aucune administration n’a eu à résoudre une équation budgétaire aussi dure que la nôtre »

La part issue de la fiscalité se situera dans les prochaines années entre 10 et 15 % du chiffre d’affaires. Les CCI sont des établissements publics, elles devront continuer à recevoir une part significative de ressources fiscales pour continuer à assurer leurs missions de service public.

Va-t-il y avoir de nouvelles réductions d’effectifs ?

P. G. : Il y a cinq ans, les CCI employaient 25 000 collaborateurs. Nous sommes descendus à 19 000 salariés. Il y a eu des plans sociaux importants et il y a encore des chambres qui travaillent sur de nouvelles baisses d’effectifs (à l'image de ce qui s'est fait en Normandie en début d'année, NDLR). Nous abandonnons certaines activités, comme le centre des formalités des entreprises qui va être récupéré par l’État. Nous collections aussi la taxe d’apprentissage, une activité que la loi vient de nous retirer. Au pire, nous allons encore devoir réduire les effectifs de 2 000 salariés.

Aucun autre établissement public, aucune administration n’a eu à résoudre une équation budgétaire aussi dure que la nôtre. J’espère que la transformation des CCI deviendra la réforme la plus emblématique de Bruno Le Maire. Notre propre réussite sera sa réussite, mais si nous échouons cela pourrait être aussi son échec. Mais je ne crois pas que nous échouerons.

Quand est-ce que les CCI auront terminé leur transformation ?

P. G. : Dans les trois prochaines années, nous serons dans un processus d’adaptation permanente. Si les règles du jeu ne changent pas, nous commencerons à y voir clair à partir de 2022.

Cette transformation passe par la création d’une offre commune à toutes les CCI françaises ?

P. G. : Oui, les CCI sont en train de bâtir une offre nationale de services, qui pourra être complétée par chaque chambre de commerce et d’industrie, en fonction de ses spécificités territoriales. Cette offre centrale existait déjà en grande partie, sans porter son nom. Toutes les CCI proposent, par exemple, de l’appui à la création d’entreprise ou un accompagnement à l’international. Il nous faut harmoniser ces services et proposer des modalités et des tarifs communs. Cela nous permettra par ailleurs de répondre aux besoins de clients nationaux. C’est, par exemple, ce que vient de faire CCI France, en signant un accord-cadre avec la fédération des buralistes, pour aider cette profession à se transformer et à réussir sa transition numérique.

De quoi sera composée cette offre commune ?

P. G. : Notre contrat d’objectifs et de performance est constitué de plusieurs axes : l’appui aux entreprises, de la création à la transmission, en passant par le développement et l’international ; l’accompagnement de l’industrie ; la revitalisation du centre-ville et l’appui aux commerces. S’ajoutent nos autres offres, qui seront, elles, sur le marché concurrentiel.

« Assez peu d’entreprises – environ 30 % – ont recours aux chambres de commerce. Nous devons donc améliorer notre taux de pénétration auprès des PME. »

Nous avons ainsi une offre de formation très lourde, avec nos grandes écoles et nos centres d’apprentissage. Ils ont vocation à se développer, mais sans bénéficier de ressources issues de la fiscalité. Les modèles devront donc s’équilibrer par eux-mêmes. Nous attendons avec intérêt – je ne dis pas anxiété –, le nouveau modèle économique de l’apprentissage, que va définir la loi Pénicaud. On forme 80 000 apprentis par an. Nous espérons que ce qui sera mis en place correspondra bien aux besoins des territoires.

Comment les entreprises vivent ce changement de modèle ?

P. G. : C’est encore un peu tôt pour le dire. Dans le contrat passé avec l’État, nous nous sommes engagés à faire remonter au ministre, dès l’année prochaine, des indicateurs de performance et de satisfaction clients, réalisés par des organismes indépendants. Aujourd’hui, dans un domaine comme l’apprentissage, nous avons des taux de satisfaction très importants – supérieurs à 80 %. Nous avons aussi une faiblesse : assez peu d’entreprises – environ 30 % – ont recours aux chambres de commerce. Nous devons donc améliorer notre taux de pénétration auprès des PME.

Comment mieux toucher les PME ?

P. G. : Nous mettons en place une équipe de 500 commerciaux sur le réseau. Officiellement, nous n’en avions pas, même si certains de nos collaborateurs étaient dans les faits des technico-commerciaux. Nous comptons aussi sur le numérique et la livraison de la plateforme CCI Store, qui propose plus de 400 produits aux entrepreneurs.

Pour les entreprises, tout va devenir payant ?

P. G. : Non ! Pour résumer, tout ce qui relève d’une démarche collective d’information ou d’animation restera gratuit. Mais nos prestations deviendront payantes dès lors qu’une entreprise demandera un appui personnalisé. Nos facturations seront moindres en ce qui concerne la création d’entreprise.

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