Pierre Goguet (CCI France) : « La réduction des moyens des CCI n’est pas une bonne nouvelle pour les PME »
Interview # Politique économique

Pierre Goguet président de CCI France Pierre Goguet (CCI France) : « La réduction des moyens des CCI n’est pas une bonne nouvelle pour les PME »

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Président de CCI France, le Bordelais Pierre Goguet juge irréaliste la nouvelle coupe budgétaire de 400 millions d’euros que veut imposer l'Etat aux CCI. Et il estime que la réduction de la taxe payée par les entreprises pour financer les CCI sera préjudiciable aux PME.

« Un des plus grands plans sociaux de France se dessine dans les CCI, sans que personne n’en parle… », déplore Pierre Goguet, président de CCI France — Photo : CCI France

Le Journal des Entreprises : Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire annonce une réduction de la taxe pour frais de chambre, payée par les entreprises pour financer une partie de l’activité des CCI. Une bonne nouvelle pour les entreprises, une mauvaise pour les CCI ?

Pierre Goguet : Le ministre dit qu’il veut baisser les impôts sur la production pour rendre les entreprises plus compétitives. Pour financer les CCI, les entreprises paient aujourd’hui une taxe, dont le montant est de 300 euros par entreprise et par an. Ce montant est une moyenne et il faut savoir qu’il varie en fonction de la taille des entreprises. Une TPE paie moins qu’un grand groupe. Demain, une TPE va peut-être économiser quelques euros, mais quand elle voudra s’appuyer sur CCI pour se développer à l’international par exemple, elle va devoir payer plus cher le service. Ce n’est donc pas une bonne nouvelle pour les PME puisque ce système de redistribution va disparaître, et cela sera à la défaveur des petites entreprises.

Pour Bruno Le Maire, la taxe payée par les entreprises doit être fléchée vers des missions d’accompagnement des PME, la formation initiale et le rôle de représentation des entreprises. Le ministre n’a pas parlé des CFA, ni de la formation continue…

P. G. : Il n’a pas du tout parlé de l’apprentissage. On n’a aucune visibilité à ce jour sur le modèle économique de l’apprentissage. Cela représente pourtant une activité forte des CCI, puisque le réseau gère 140 centres d’apprentissage qui forment 80 000 apprentis. En France, l’activité de formation des CCI, comprenant la formation continue, l’apprentissage et les autres écoles, notamment de commerce, représente 40 % des revenus du réseau consulaire.

C’est un pôle rentable ?

P.G. : Non, il est pour partie financé par la taxe.

« Le ministre nous pousse à aller sur le marché, sur des créneaux où des entreprises – nos ressortissants – sont déjà présentes. Il y a de quoi être schizophrène ! »

Il y a donc danger ?

P.G. : Oui la formation est en danger. Certains centres peuvent disparaître, notamment dans les territoires ruraux, plus fragiles. Le ministre nous pousse à aller sur le marché, sur des créneaux où des entreprises – nos ressortissants – sont déjà présentes. Il y a de quoi être schizophrène !

Quelles autres activités des CCI sont selon vous les plus exposées ?

P.G. : Dès que l’on rentre dans une logique de marché, le ministre dit que nous sommes un opérateur comme un autre. Les CCI vont évoluer vers un modèle de facturation aux entreprises, et je pense encore davantage, aux collectivités locales.

Ce n’est pas une bonne chose ?

P.G. : Le ministre nous challenge et je suis assez d’accord avec sa position. Nous sommes tous des chefs d’entreprise. Faire évoluer un business model, nous savons faire. Mais pas dans ces conditions !

« Quelle entreprise est capable de trouver en quelques mois 100 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires ? La demande est irréaliste. »

Le problème, c’est l’adéquation entre le temps et le montant des ressources supprimées : nous allons devoir composer avec 100 millions d’euros de moins dès 2019. Quelle entreprise est capable de trouver en quelques mois 100 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires ? C’est irréaliste !

Cela va avoir un fort impact au niveau social…

P.G. : L’Inspection Générale des Finances estime que 2 500 à 4 000 postes seront supprimés. Nous en avons déjà perdu 5 000 depuis 4 ans, le réseau consulaire employant aujourd’hui un peu moins de 20 000 salariés. Un des plus grands plans sociaux de France se dessine dans les CCI, sans que personne n’en parle… C’est un coût humain, mais aussi financier. La suppression de 4 000 postes va coûter 400 millions d’euros aux CCI, du fait du statut de nos personnels. Pendant trois ans, les CCI financent en effet sur leurs fonds propres les allocations-chômage de leurs salariés, dans le cadre des règles de l’Unédic.

Qu’allez-vous proposer au ministre ?

P.G. : Nous ne serons pas dans l’affrontement, ni dans le renoncement. Si nous contestons la brutalité de la décision, nous sommes des chefs d’entreprise responsables. Malgré sa dureté, le discours du ministre est passé et j’espère que nous n’aurons pas à faire face à une brutalité technocratique, qu’il va raisonner de manière fine et que, si une CCI a des difficultés, il y aura des mesures adaptées. Je pense notamment à la trentaine de chambres rurales. Il y a aussi la volonté de ne pas imposer un modèle unique. Ce sont autant d’ouvertures qui, je l’espère, doivent permettre un dialogue constructif.

Faut-il que CCI France prenne la main comme le souhaite Bruno Le Maire ?

P.G. : Oui, il faut que le rôle de CCI France devienne plus important. Nous devons de plus en plus développer des programmes nationaux, nous ne pouvons plus nous permettre que chaque CCI développe ses projets chacune de son côté. Il faut un pilote pour cela et il faut que l’exécution reste dans les territoires.

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