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Philippe Saussol : « Tethys est le "Louis Vuitton" de la pyrotechnie »
Interview Var # Industrie

Philippe Saussol président de Tethys "Louis Vuitton"

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La PME varoise Tethys, spécialisée dans les applications pyrotechniques pour les sous-marins et les missiles militaires, a été reprise par Philippe Saussol, avec la participation du fonds d'investissement du ministère de la Défense et une dizaine d'autres investisseurs. Le nouveau dirigeant entend consolider le développement de la PME sur ses marchés actuels tout en accentuant son activité à l’étranger.

Philippe Saussol a repris l'entreprise Tethys aux côtés de plusieurs investisseurs. Il en assure la présidence et Marc Schwindenhammer, également entré au capital de la PME, a pris la direction générale. — Photo : Moirenc

Quelles sont les caractéristiques du modèle « Search fund » que vous avez choisi pour reprendre la PME Tethys ?

Ingénieur de formation, j’ai découvert le modèle « Search fund » lors de mon parcours, en tant qu’étudiant MBA puis directeur associé, au sein de l’école de commerce IESE à Barcelone. Au même moment, j’ai aussi renoué avec l’envie d’entreprendre et je suis rapidement arrivé à la conclusion que ce serait dans la reprise d’une entreprise que j’allais pouvoir satisfaire cette envie.

Le modèle « Search fund », né aux États-Unis en 1984, est un modèle d’entrepreneuriat par acquisition : alors que les fonds d’investissement ont l’habitude de nommer un nouveau management lors d’une opération de reprise, dans le cas présent, la démarche commence par le projet d’un entrepreneur, qui réunit autour de lui une dizaine d’investisseurs, prêts à le soutenir dans sa recherche d’entreprise à reprendre (18 mois à deux ans). Dans ce modèle, l’humain est au centre. Ces personnes qui vous accordent leur confiance sont en quelque sorte des coachs, qui investissent sur un jockey avant de trouver un bon cheval et cette dispersion apparente du capital n’est pas une difficulté car le modèle est régi par un cahier des charges prédéfini, une philosophie, une bienveillance mutuelle. Les investisseurs fonctionnent finalement comme un seul homme et participent à la réussite de l’opération en partageant leurs réseaux et idées.

Comment avez-vous convaincu Definvest, le fonds du ministère des Armées géré par Bpifrance, d’investir à vos côtés ?

J’ai d’abord convaincu une dizaine d’investisseurs, français, espagnols et italiens, de me soutenir dans un projet de reprise. Après avoir identifié ma cible, à savoir la PME varoise Tethys, j’ai pris contact avec Definvest. En acceptant de me suivre dans cette aventure, Bpifrance est sorti de sa zone de confort car ce modèle est encore peu connu en France. Ce fut une première pour eux et leur présence est importante car elle permet de renforcer l’actionnariat français de Tethys.

Pour quelles raisons avez-vous jeté votre dévolu sur Tethys ?

J’ai eu le coup de foudre pour cette PME, implantée sur le parc d’activités du Plateau de Signes, dans le Var, et spécialisée dans la conception, le développement et la fabrication de composants et systèmes complexes exploitant l’énergie délivrée par la combustion de matériaux énergétiques (poudre, explosifs) pour des applications dans les domaines militaires et civils.

Positionnée sur un secteur industriel de niche, Tethys abrite un bureau de R & D, un laboratoire d’essais et un atelier de production capable de réaliser des petites et moyennes séries. Alors que le système de pyrotechnie industrielle le plus connu est l’airbag automobile, Tethys n’est pas présent sur ce marché et lui préfère des applications sur-mesure de haute technicité. À ce titre, elle occupe une place de choix sur son secteur et je la considère comme le « Louis Vuitton » de la pyrotechnie. Son outil de production est capable de passer d’une production d’une ou quelques unités par an, comme son sectionneur pyrotechnique sous-marin grandes profondeurs à des séries de plusieurs milliers d’actionneurs pyrotechniques.

J’ai aussi trouvé chez Tethys une complémentarité entre le futur manager que je suis et le management existant, incarné par Marc Schwindenhammer, qui est entré au capital de l’entreprise et en assure désormais la direction générale.

Quels sont vos projets pour Tethys ?

Nous évoluons dans un paysage où le plus petit de nos concurrents est dix fois plus gros que nous (Pyroalliance, NLDR) ; la pyrotechnie est donc souvent liée à un marché monopolistique. Après la reprise, la priorité a été de rassurer nos clients, parmi lesquels figurent des acteurs majeurs de l’industrie française (Naval Group, MBDA, Technicatome, Air Liquide, etc.) et avec lesquels nous souhaiterions continuer à renforcer les liens au travers de véritables partenariats stratégiques.

« La priorité a été de rassurer nos clients, parmi lesquels figurent des acteurs majeurs de l’industrie française. »

Je souhaite aussi développer les domaines d’applications de Tethys, tout en restant opportuniste. L’une des vertus de cette PME est d’avoir réussi à utiliser la pyrotechnie, cette source d’énergie colossale, fiable et simple d’utilisation, pour remplir toutes sortes de fonctions, qui vont de l’injection d’un vaccin sans aiguille, à la libération de masses sur le pas de tir d’une fusée, en passant par la séparation de différents compartiments d’un satellite, ou encore le gonflage d’un gilet de sauvetage ou l’activation d’un système de destruction de données. Je souhaite ainsi amener Tethys sur des secteurs, encore peu explorés, comme le nucléaire civil, la sécurité des personnes et des biens (notamment des données), les systèmes de sécurité incendie mais aussi sur des secteurs plus traditionnels de la pyrotechnie comme le spatial, porté par le développement du New Space (accès low cost et grand public à l’exploration spatiale, NDLR). Nous travaillons à l’intuition sur des marchés porteurs, à l’image du développement amont que nous réalisons actuellement sur des systèmes d’extinction de feux par drone.

Tethys a-t-elle aussi une importante marge de croissance à l’international ?

Parce que je suis épaulé dans cette reprise par des investisseurs internationaux, nous avons en effet une carte à jouer à l’export. Nous avons déjà signé un contrat significatif avec BAE Systems (issu de la fusion de British Aerospace et MES), un groupe aux activités multiples et qui réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 20 milliards d’euros. Cette signature est pour nous une étape importante car nous entrons chez un client qui pourrait devenir demain l’un de notre top 5. Nous avons aussi récemment signé un contrat avec HoneyWell UK. Nous espérons aussi gagner des contrats en Italie et bien sûr en Espagne, un pays qui pourrait représenter 10 % de notre chiffre d’affaires d’ici deux à trois ans compte tenu du réseau très important que nous y avons.

« Les grandes entreprises étrangères sont prêtes à nous recevoir pour qualifier un second fournisseur. »

Sur ce marché de la pyrotechnie, qui reste une compétence rare, les grandes entreprises étrangères dépendent souvent d’un seul fournisseur et sont donc prêtes à nous recevoir pour qualifier un second fournisseur. Aujourd’hui, l’international représente 5 à 7 % de notre chiffre d’affaires. Nous pouvons raisonnablement faire grimper ce chiffre à 20 % d’ici deux à trois ans.

Quels sont vos objectifs de croissance ?

En 2019, Tethys a réalisé 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. 2020 devait être une bonne année (objectif à 4,20 M€), mais avec la crise du Covid-19, nous avons revu notre objectif à la baisse, à 3,7 millions d’euros. Aujourd’hui, nous sommes un petit acteur. Demain, nous voulons grandir pour atteindre une taille plus confortable. Le potentiel existe pour nous permettre de multiplier par deux, les effectifs, comme le chiffre d’affaires, d’ici six à sept ans.

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