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Philippe Plantive (Proginov) : "Les salariés investissent plus d’un million d’euros dans l’entreprise"
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Philippe Plantive président de Proginov "Les salariés investissent plus d’un million d’euros dans l’entreprise"

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Proginov est une ETI nantaise au modèle social original : 100 % du capital est possédé par les salariés. Elle vient de procéder à une augmentation de capital au bénéfice de ses salariés. Président de cette société informatique, Philippe Plantive défend une philosophie reposant en particulier sur l’ouverture du capital des entreprises et une meilleure rémunération des collaborateurs.

Philippe Plantive, président de Proginov — Photo : David Pouilloux

Proginov est une entreprise nantaise du secteur de la tech. Quel est votre métier ?

Notre métier d’origine, qui nous a vus naître en 1996, c’est l’édition de logiciel. Nous sommes des codeurs à destination des besoins de gestion des entreprises. C’est ce que l’on appelle communément un ERP (entreprise ressource planning). Nous avons réalisé 58,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022, et nous sommes aujourd’hui 310 salariés chez Proginov, dont 160 développeurs, souvent des ingénieurs. Ils développent l’ERP Proginov dans la gestion de la comptabilité, de la paye. Ils travaillent également à la personnalisation de notre logiciel en l’adaptant au métier de notre client. Depuis 5 ans, nous avons développé notre activité dans le secteur de la santé. Cette activité, qui concerne 40 salariés, mobilise en particulier les deux datacenters que nous avons à la Chevrolière. Depuis peu, nous avons une nouvelle offre qui permet à une entreprise, en cas de cyberattaque, une reprise de son activité. Elle repose sur l’utilisation d’un troisième datacenter, dont nous gardons secrète la localisation. Le moteur de sauvegarde de ce site tiers nous a demandé 500 000 euros d’investissement.

Une vraie singularité de Proginov, c’est son modèle social qui défend notamment l’actionnariat salarié…

C’est vrai. Nous avons hérité d’une philosophie d’entreprise, que l’on aurait pu penser utopiste au départ, de la part de notre fondateur, Michel Martin. Certains le qualifiaient de capitaliste soixante-huitard. En 2009, il nous a passé la main. Très tôt, il avait décidé que la succession à la tête de l’entreprise ne se ferait pas par filiation, comme dans beaucoup d’entreprises familiales, ni par vente à un concurrent ou pire, à un fonds de pension. Il estimait que l’ambition était une bonne chose, à condition qu’elle serve, non pas à assouvir des besoins égotiques, mais à assouvir des besoins de prospérité collective et de partage. Dans sa philosophie, il y a une recherche de la performance économique, bien entendu. Mais avec la conscience que, pour que cette performance perdure, il fallait que les gens qui en sont à l’origine en profitent tous. D’où l’idée de l’actionnariat salarié.

Comment avez-vous fait ?

Nous avons créé une holding financière qui s’appelle Proginov Participations, dotée d’un mécanisme de transmission intergénérationnelle du capital. Dans le pacte d’actionnaires, il est stipulé que dès que l’on arrive à 50 ans, on ne peut plus acheter des actions Proginov et que l’on devait se séparer d’un quinzième de ses parts. Ainsi, chaque année, nous avons une Bourse en actions, où tous les plus de 50 ans se séparent de leur quinzième de parts. Cette Bourse alimente ainsi l’achat d’actions par les moins de 50 ans, qui sont libres d’en acheter autant qu’ils veulent. C’est de l’épicerie d’actionnariat, et cela se fait sur les deniers personnels. La valeur est inscrite dans le pacte d’actionnaires. Celle-ci est de l’ordre de 3 000 euros aujourd’hui.

Vous avez procédé à une augmentation de capital, de 6,4 millions d’euros à 8 millions d’euros, pour satisfaire la demande des salariés. Ce n’est pas la première fois ?

La plupart des années, l’offre d’actions rencontre la demande à peu de chose près, ou la demande est inférieure à l’offre. Dans ce dernier cas, la holding achète les parts. Mais quatre fois, dans l’histoire de Proginov, il y a eu une sur-demande d’actions. Cette année, cela a été le cas, et nous avons dû procéder à une augmentation du capital de l’entreprise de 6,4 millions d’euros à 8 millions d’euros pour satisfaire la demande de titres. Nous utilisons les capitaux propres de l’entreprise, issus d’une partie des bénéfices, pour maintenir la valeur de l’action au même niveau, en dépit de l’augmentation de leur nombre.

Quel est l’intérêt pour un salarié d’acheter des actions ?

C’est d’abord un investissement, et une réserve pour plus tard. Un autre élément important, c’est qu’en achetant une action de Proginov, on devient propriétaire d’une part de son entreprise. Cela signifie que pour certaines décisions, le salarié sera consulté, convoqué à l’assemblée générale et bénéficiera d’une totale transparence sur la vie de l’entreprise.

"C’est vraiment gratifiant de voir que nos salariés investissent, cette année, plus d’un million d’euros dans l’entreprise"

Nous poussons encore plus loin les choses avec la possibilité, à l’occasion de votes, d’orienter les choix stratégiques de l’entreprise. Quel que soit le nombre d’actions que l’on a, un actionnaire, c’est une voix. Pour certains votes, on va jusqu’à utiliser les urnes de la mairie de La Chevrolière. Sur nos 310 salariés, 270 sont actionnaires. Par ailleurs, chaque année, être actionnaire permet de toucher des dividendes par action, en fonction des performances de l’entreprise. C’est vraiment gratifiant de voir que nos salariés investissent, cette année, plus d’un million d’euros dans l’entreprise.

Comment la rémunération se répartit-elle dans l’entreprise ?

Un tiers en fixe, un tiers en primes exceptionnelles, un tiers en intéressement aux bénéfices. Pour tous les collaborateurs, du standardiste au développeur, en passant par les commerciaux. Tout le monde participe à la performance de l’entreprise, tout le monde doit en profiter.

Quel conseil donneriez-vous à des dirigeants lorsque la question de la succession commence à se poser ?

Le premier, c’est d’anticiper leur succession. Les chefs d’entreprise commencent à penser à leur succession trop tard, autour de 57 ou 58 ans. À ce moment-là, le plus souvent, une holding est créée par des repreneurs (cadres de l’entreprise ou investisseurs), qui vont emprunter à une banque (via une LBO) et rembourser l’emprunt avec les bénéfices de l’entreprise. Mais souvent avec une vision de court terme, en maximisant les dividendes, au détriment de la rémunération des salariés et de l’investissement dans la recherche et le développement qui assurent la pérennité de l’entreprise. Michel Martin a raisonné autrement. Dès 50 ans, notre ancien PDG a dit qu’il voulait commencer à transmettre son capital. Il a ainsi posé cette question à ses salariés : qui veut prendre les rênes de la société ? Nous avons été sept à répondre, et cette assemblée a constitué le conseil d’administration. Il a dit : vous avez 15 ans pour racheter mes parts, qui étaient de l’ordre de 70 % du capital de l’entreprise (les 30 % restants étaient déjà entre les mains des premiers salariés actionnaires au moment de la création de l’entreprise). 15 ans plus tard, il avait tout vendu.

"En France, il y a un problème sociétal, la sur-rémunération des détenteurs du capital en détriment des personnes qui font vraiment tourner la machine économique"

En France, estimez-vous qu’il faut ouvrir le débat sur l’écart des rémunérations au sein de l’entreprise ?

Il est temps qu’il y ait une prise de conscience importante : arrêter de penser qu’en fonction du parcours scolaire, du métier que l’on exerce, il soit normal d’être mal payé. En France, il y a un problème sociétal, la sur-rémunération des détenteurs du capital au détriment des personnes qui font vraiment tourner la machine économique. Chez Proginov, entre le plus bas salaire de l’entreprise et le plus haut salaire, le mien, en tant que président, nous sommes sur une échelle de 2,57. Je gagne 2,57 fois plus qu’une femme de ménage de l’entreprise. Je ne suis pas dans le besoin, je vis très bien, mais il est probable que notre personnel d’entretien est mieux payé qu’ailleurs. Quand je rentre du ski, en TGV, et que je vois qu’une femme de ménage de l’entreprise est dans le même wagon que moi et rentre aussi du ski, ça me fait plaisir. Il faut lutter contre cette fatalité de filières ou de métiers sous-payés.

La rémunération des dirigeants est-elle à revoir ?

On parle très peu de la rémunération des patrons. Un dirigeant qui touche 200 000 euros par an, imaginons qu’on lui en retire 20 000, et que l’on donne cette somme aux salariés. Ce serait un premier pas qui irait dans le bon sens. Si on demande de l’énergie et des responsabilités à nos salariés, il est normal de leur ouvrir le capital, d’avoir des rémunérations équitables et de libérer le management, qui est un troisième volet très important pour que l’entreprise soit durable.

Trouvez-vous également que le principe de l’ouverture du capital aux salariés n’est pas assez pris en compte et pas assez important ?

D’une manière générale, les dirigeants vont ouvrir leur capital sur une toute petite partie, quelques pourcentages, notamment dans le cadre d’une démarche RSE. Mais pas beaucoup. C’est une approche timide. Ils ne veulent pas se sentir dépossédés du pouvoir de décision. C’est ce que leur dit leur expert-comptable : "Attention à ne pas partager le capital, sinon vous ne serez plus patron chez vous !" Or, quand une entreprise libère du capital à destination des salariés, vous obtenez une énergie décuplée chez les collaborateurs.

Proginov connaît une croissance à deux chiffres chaque année. Est-ce important pour vous ?

Ce n’est pas l’objectif de croissance qui va nous faire avancer, ce sont les engagements que l’on a vis-à-vis de nos clients. L’image de marque d’une entreprise ne se joue pas sur le montant d’une levée de fonds ou la croissance envisagée, mais sur le respect des engagements. C’est la même chose pour nos salariés. Les collaborateurs ne sont pas une variable d’ajustement. C’est pourtant ce que pensent beaucoup de fonds d’investissement. Si les actionnaires pensent que les dividendes ne sont pas assez importants, ils vont exiger un allégement de la masse salariale. C’est actuellement ce qui se passe chez les grands de la tech, comme Google, Meta, Amazon, Twitter et Microsoft… Notre indépendance, notre liberté, nous permettent de ne pas faire comme les autres, d’apporter un supplément d’âme à l’entreprise.

Le secteur informatique est en tension sur les recrutements. Connaissez-vous des difficultés ?

Nos développeurs, notamment, sont sourcés dans notre bassin d’écoles nantaises. Nous avons un rapport entreprise écoles extrêmement travaillé, notamment par Xavier Bossis, notre directeur général qui s’investit beaucoup dans cette démarche-là. Nous sommes friands des jeunes qui sont attachés à leur territoire et qui sont plus fidèles. Lorsqu’on habite Nantes, qui est une belle région, je ne suis pas sûr que l’on trouve d’autres eldorados dans d’autres régions. Dans l’informatique, le taux de turn-over est de 20 à 25 %, et c’est l’un des secteurs qui a le plus de mal à recruter. Nous ne connaissons pas cette difficulté-là. Notre turn-over annuel est inférieur à 2 %, et nous recevons spontanément 400 CV par an, alors que nos besoins de recrutements se situent entre 15 et 20 postes ouverts chaque année.

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